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Pour ne pas perdre espoir

Traditionnellement les anarchistes lisaient beaucoup et s’écrivaient beaucoup. Comme le souligne Laurent Gallet, historien et bibliothécaire, animateur du Centre de documentation libertaire de Lyon. Aujourd’hui, il nous propose un ouvrage regroupant une centaine de lettres d’anarchistes lyonnais. Le titre est simplement beau : A vous et à l’idée qui ne meurt pas. Oui, elle ne meurt pas cette idée grâce à la présence, à l’action de ces femmes de ces hommes qui dans les entreprises, face à la répression, à l’emprisonnement, au bagne, ont tenu avec courage à défendre l’Idée. Souvent les courriers se perdent et paradoxalement, c’est la police, par ses perquisitions, qui permit de conserver ces lettres. Bien sûr les militants brûlent les documents à la veille des contrôles. Méfiance, il ne faut pas mettre en danger des compagnes, des compagnons. Ainsi, le compagnon Sanlaville arrose de pétrole les documents dans les bureaux de l’Insurgé. « Si la crainte de voir la justice utiliser sa correspondance contre soi est un puissant motif pour sa destruction, il faut bien reconnaître que, pour une bonne part, les lettres qui sont parvenues jusqu’à nous l’ont été justement parce la justice s’y est intéressée. »

Avec son sens de l’archive, de la conservation, Lauret Gallet, sait chercher dans les Archives départementales du Rhône mais aussi dans celles de la Loire, du Nord, de la Drôme, de la Côte-d’Or, ces textes. Il nous les restitue accompagnés d’une courte introduction. Nous sommes dans les années 1893-94, les menaces contre les anarchistes sont monnaie courante, les lois scélérates (https://monde-libertaire.net/index.php?articlen=5839 ) permettent d’arrêter tout individu pour une attitude, une remarque, des critiques qualifiées d’anarchistes.
Le choix des lettres fut compliqué. Certes les auteurs devaient être anarchistes, même s’ils le niaient. Soulignons que la police ne fait pas dans la dentelle, le sens de la nuance en politique n’est pas son fort !!! « Des militants guesdistes, broussistes, blanquistes, allemanistes, socialistes-révolutionnaires se voient parfois affublés du qualificatif d’anarchistes. »

Au cœur de la vie militante
La richesse des informations est multiple. Nous sommes dans la vie militante, nous vivons la vie des journaux. Ils changent de titre pour survivre. Les comptes sont rigoureux, il en va de la capacité d’imprimer. Cette rigueur se retrouve dans l’approche du militant. Laurent Gallet conserve l’orthographe des autrices et auteurs, nous en ferons de même. «  je suis partisans des prinssipes anarchiste convincue que je suit de leurs utilitées pours le biens de l’humanitées. » la sincérité de l’engagement transparaît dans chaque lettre.
Vous retrouverez les échanges lors du procès des 66 avec des inconnus et des personnes comme Elisée Reclus, Pierre Kropotkine (voir les pages 21 et suivantes). La justice est aveugle et aux ordres. Une femme est arrêtée, son mari la défend, tous deux sont pris dans l’étau de la justice, de sa complexité. Ils écrivent au préfet, au procureur, au ministre, ils veulent vivre libres, car ils s’estiment honnêtes, fiers de leurs origines modestes, de leur travail et de leurs idées. Jules Chazeaud conclut sa lettre au préfet, dénonçant les conditions de vie, par ces mots : « Je ne récrimine pas, je constate et vous salue ». Ils se méfient des manœuvres des pouvoirs publics pour les humilier. Vous découvrirez les conditions de détention, les difficultés pour communiquer avec l’extérieur. La force du témoignage, du vécu, de la dignité du militant reste intense malgré le temps qui passe. « Je suis anarchiste par amour, a-t-on dit ? Oui, par amour de l’humanité, par amour de ces masses de travailleurs opprimées qui luttent péniblement pour l’existence […] Je suis anarchiste parce que je ne vois, dans la société actuelle, qu’égoïsme, intérêt et lâcheté ; parce que l’anarchie, pour moi, c’est le symbole de l’humanité. On doit avoir le courage de ses opinions, on doit dire ce que l’on pense et faire aussi ce que l’on dit. Je ne sacrifierai donc jamais ma vie à un gouvernement quel qu’il soit. » L’auteur de ces propos ? Antoine Marie Cyvoct, ex-gérant de l’Etendard révolutionnaire, coaccusé des 66.

« L’anarchie, pour moi, c’est le symbole de l’humanité »
D’autres anarchistes rapportent leurs conditions de vie au bagne en Guyane, en Nouvelle-Calédonie. Quelques-uns échangeront avec Louise Michel notamment au sujet de la santé de sa mère, Marianne.
Certaines lettres montent la tendresse, l’intimité de ces militants avec leurs enfants, leurs compagnes, les liens d’amitiés avec d’autres compagnons.
Difficile de défendre ses idées lorsque le pain manque au foyer. Ils demandent leur libération car ils ne sont pas tous jugés. La nourriture est infâme dans les prisons, les militants sont considérés illégalement comme des droits communs sans nouvelles de l’extérieur, ni presse militante. La pression sur les familles, les employeurs conduisent certains à céder à écrire des lettres de reniement plus ou moins sincères. Mais ils n’oublient pas, au cœur des luttes sociales, les principes anarchistes. « Religion et Capital sont les deux principaux obstacles à l’émancipation prolétarienne. Luttons pour l’anéantissement de ces pieuvres. »

• Laurent Gallet
A vous et à l’idée qui qui ne meurt pas
Correspondances d’anarchistes lyonnais (1880-1918)
Ed. Atelier de création libertaire, 2024