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Attention Religion
Le Monde Libertaire n°1480 du 31 mai au 6 juin é007

Attention religion !

Attention religion !

« Dieu est mort », signé Nietzsche

« Nietzsche est mort », signé Dieu (Slogan de mai 1968)

« J’ai vu Dieu. Elle est noire, communiste, et lesbienne. » (Anne-Marie Fauret)

Face à la religion : argumenter, se moquer, tenter de comprendre ?

Du côté athée, les livres tentant de démontrer l’absurdité de la croyance ne manquent pas, des 12 preuves de l’inexistence de Dieu [1] (publié en 1903) de Sébastien Faure jusqu’au plus récent Cours accéléré d’athéisme [2] écrit par deux professeurs en réponse au gouvernement espagnol qui, en 2004, imposa un cours de religion catholique aux écoliers. Ce livre se veut le pendant des catéchismes religieux, mais on touche vite aux limites d’une telle entreprise, car comme le précisent les auteurs : la difficulté essentielle réside dans le fait qu’il n’existe pour les athées ni dogme ni vérité révélée. Ils n’ont à proposer qu’une « incitation à la réflexion » : « L’athée n’est ni un impie ni un blasphémateur (comment médire de l’inexistant), mais un homme qui désire continuer à penser. »
J’ai emprunté les citations (en exergue) au savoureux Guide du Paradis [3] de Pierre Conesa, qui prend à la lettre l’affirmation que « la première obligation de l’athée consiste à croire en tous les dieux ». L’auteur, bien documenté, démonte, sous forme d’un guide de voyage humoristique, les stratégies de marketing mises en place par chaque secte ou religion pour recruter leurs fidèles. Pas facile, après ça, de choisir un paradis. D’autant plus qu’il est bon de se poser quelques questions de bon sens auparavant, par exemple : « Faut-il partir armé, sachant que nombre de personnes rencontrées là-haut se sont illustrées par des massacres de masse ? »
La lecture de ce livre, démonstration par l’absurde de l’absurdité des religions devrait suffire à faire réfléchir n’importe quel.le croyant.e... On sait pourtant qu’il n’en sera rien, et qu’il ne fera rire que les agnostiques ou athées déjà convaincu.e.s. Faisons-nous plaisir : ce petit livre (trop court !) est un chefd’œuvre de pensée ironique. joyeusement blasphématoire. Mais ne nous leurrons pas : si nous voulons lutter contre l’esprit religieux, il faut aller plus loin.

Qu’est-ce qui, dans la religion, séduit ?

Et c’est là qu’intervient Jean-Manuel Traimond avec une brochure sous-titrée : Pourquoi la religion colle et quelques conseils pour la décoller. A l’origine, une question : pourquoi les gens croient ? Et pourquoi, malgré tous nos arguments, ne parvenons-nous pas à les convaincre de leur erreur ? Il y a là, indéniablement, un mystère pour les athées !
Et si l’on essayait. au-delà des évidences (la religion est anti-scientifique, opprime, etc.). d’appréhender les mécanismes, plus ou moins conscients, de la foi ? Au risque, évidemment, de découvrir que nous ne sommes pas épargné.e.s par certaines croyances...
Jean-Manuel Taimond, esprit rationnel, logique et méthodique, part d’une question de base : « Ou bien il y a dans l’esprit humain quelque chose qui le pousse vers la foi, ou bien il y a dans la foi quelque chose qui séduit l’esprit humain. » Puisque l’on ignore l’existence d’un « gène de Dieu », il reste la deuxième hypothèse. Cherchons donc ce qui. dans la foi, peut être si attirant.
Traimond propose d’y répondre en s’appuyant sur un livre de Pascal Boyer, Et l’homme créa les dieux. Ceux et celles qui ont pu l’entendre, depuis plusieurs années, expliquer, commenter et critiquer ce livre - dont la lecture se révèle assez ardue - connaissent ses talents de vulgarisateurs de théories séduisantes, et lui seront reconnaissant.e.s de nous faire partager les fruits de son travail et de sa réflexion dans une brochure concise et agréable à lire.

À la découverte du cerveau humain

Pascal Boyer s’appuie sur les (relativement) récentes découvertes en sciences du cerveau pour proposer une interprétation du fait religieux.
Pour contrer les croyances religieuses. l’athéisme doit en effet fournir une explication entièrement matérialiste de la conscience. Or. savons-nous comment fonctionne nouer cerveau ? L’esprit est divisé en un grand nombre de systèmes qu’il coordonne. C’est la concurrence entre plusieurs systèmes qui peut nous aider à comprendre certaines contradictions.
Boyer propose en outre un outil qui permet d’expliquer pourquoi le nombre de concepts religieux est, somme toute, limité. En effet, parmi toutes les croyances, certaines assertions ont davantage de succès que d’autres. Exemple (indiscutable) donné uar Traimond : « L’idée que la récitation de
certaines paroles peut changer le monde physique est très courante, l’idée que manger des courgettes rend immortel est très rare. » Pourquoi la première idée (pas plus vraie que la seconde, ni plus réconfortante) s’est-elle répandue ?
La théorie des « mèmes » (éléments culturels) permet d’avancer une explication. Boyer propose d’appliquer la théorie de l’évolution à la diffusion de ces éléments de la culture. Il s’agira donc d’observer comment de tels éléments se retrouvent dans les religions, comment ils sont créés, utilisés et transmis. Des exemples ? « une prière. un nom d’ange, un rituel, une description des enfers, l’idée que les morts habitent la cave, l’idée que les ancêtres punissent l’égoïsme » - autant de mèmes qui « ont du succès », car ils se sont reproduits. Reste à comprendre comment ces mèmes - davantage que d’autres - ont réussi à séduire.

Les mèmes qu’on aime

Jean-Manuel Traimond s’attarde sur le cas du traitement des cadavres - sujet sur lequel toutes les religions donnent des règles précises. Or, deux systèmes, dans notre cerveau, entrent en jeu ici : d’une part, il faut faire disparaître un corps en putréfaction, potentiellement dangereux ; d’autre part, il faut garder trace des personnes aimées. Un mème qui permet de résoudre ce conflit aura toutes les chances de réussir.
Car il faut garder à. l’esprit qu’avant même l’unification - artificielle - d’une religion, avec ses dogmes et son clergé, il y a des attitudes, des comportements religieux : c’est à cela qu’il faut s’attaquer, et pas seulement aux institutions.
On sort de la lecture de cette brochure avec plein d’idées pour tenir tête aux croyant.e.s de tous bords. Il ne s’agit pas pour autant d’un guide de l’athée militant, mais plutôt d’une piste de réflexion. Pas simple, c’est certain - et l’on pourrait juger trop difficile, ou inutile, le détour par les « mèmes » pour critiquer la religion. Mais le risque est alors de s’en tenir à des slogans - tout le contraire de ce que nous propose la collection Texte/Contre-texte de l’Atelier de création libertaire : donner la parole à des « défricheurs de chemins anarchistes ».

Et c’est bien en défricheur que Jean-Manuel Traimond nous guide à travers une pensée complexe, jamais complaisante. Loin de s’en tenir au simple compte-rendu du livre de Boyer, il éclaire ces analyses à la lumière de la pensée anarchiste, pour aboutir à une réflexion sur notre société de technologie avancée et pour critiquer la foi... dans la science - qui n’épargne pas toujours les militant.e.s libertaires ! Et comme la brochure se termine sur un bel éloge des livres, je ne résiste pas à cette dernière citation : « Les révolutions se font à coups de fusils, mais ce sont les livres qui montrent les cibles. »


Caroline, La rue


NOTES :

[1Sébastien Faure. Les 12 preuve ; de l’inexistence de Dieu. Les éditions libertaires. 2004

[2Antonio Lépez Campillo, Juan Ignacio Ferreras, Cours accéléré d’athéisme. ÉditionsTribord, 2004

[3Pierre Conesa, Guide du Paradis. Publicité comparée des Au-delà. L’Aube, 2007