Être anarchiste oblige !
Union pacifiste - février 2011
André Bernard offre une autobiographie de sa vie d’anarchiste. Ce livre, comme ceux de Louis Lecoin ou de Roger Monclin, a sa place parmi les écrits antidépresseurs des pacifistes intégraux. Quand, face à l’horreur renouvelée et préméditée par les profiteurs de guerre, votre moral se barre en chaussettes, plonger dans des ouvrages si simples et généreux redonne de l’énergie pour continuer des activités créatives pour la paix.
La Calotte, le journal sans dieu, ni tribun, ni César, repris par André Lorulot en 1930 et que lisait son père, lui fait découvrir dès douze ans les idées antireligieuses, antimilitaristes, antialcooliques, antitabagiques, naturistes, végétariennes, humanistes et autres, toutes consubstantielles à l’anarchie. Puis, un premier contact, en 1952, avec le groupe Sébastien Faure, rassemblant les libertaires de Bordeaux (Aristide et Paul Lapeyre, Jean Barrué, des Espagnols, etc.) lui fit comprendre qu’il avait trouvé sa vraie famille.
« Pour bien agir, il faut, dans la mesure du possible, rendre ses actes conformes à l’idéal qu’on porte en soi, au but qu’on se propose. » Cette phrase de Sébastien Faure, le penseur du désarmement unilatéral, écrite en 1921, André la fera sienne.
Son itinéraire de réfractaire à l’armée, avant le statut d’objecteur et en pleine guerre d’Algérie, l’insoumission, suivie de l’émigration en Suisse (à partir du ler octobre 1956, ce qui lui fait participer à la création du Cira de Lausanne), puis à Bruxelles (où il rencontre l’IRG en 1960), son mariage (le 25 mars 1961, avec Anita Ljungqvist rencontrée lors d’un chantier du SCI ), le retour en France, l’arrestation non violente (mise en scène à Marseille, le 12 mai 1961) et les condamnations à répétition pour refus de tuer (en tout vingt-deux mois de prison) forment autant de pages exemplaires de la résistance à la guerre.
Aristide Lapeyre rappelait que « nous avons le devoir d’employer la ruse contre la violence qui nous est faite, quand notre force est dérisoire. » Pour beaucoup d’humains, l’insoumission et la désertion paraissent une folie. Difficile de choisir volontairement de se faire emprisonner. D’où l’exil, puis quand l’exigence morale devient trop impérieuse, l’action spectacu¬laire afin de faire avancer la prise de conscience collective contre l’autorité étatique, la violence et l’armée.
Sous le pseudo de François Pelasse, dans le n° 1 de Ravachol (référence à la propagande par le fait, l’illégalisme, les expropriations et les attentats), il précise que « l’État n’a bien que la puissance que l’on veut bien lui accorder. Les riches n’ont bien que les richesses que l’on veut bien leur procurer. Ils sont à la merci du bon vouloir des cordonniers, des tailleurs, des paysans et autres producteurs.
« Que ceux-ci prennent conscience de leur valeur, de leur force,
« Que le prolétaire refuse son corps au militarisme,
« Que tous les systèmes de police, de douane, de contribution soient ignorés, c’en est fait !
« L’ordre injuste s’écroule, la Révolution sociale non violente est ! »
Devenu correcteur à Paris, grâce à May Picqueray, André s’épanouit dans l’aventure qu’est la revue Anarchisme et Non-Violence ; il sniffe les collages surréalistes et entre en créativité artistique ; il participe à l’extraordinaire ouvroir d’imagination qu’est la revue anarchiste Réfractions. Il se retire en Gironde (2007) et renoue avec les libertaires de la rue du Muguet.
Il profite de cette retraite stratégique pour gaillardement attaquer tous les poncifs potriarco-patriotiques. Ses écrits plantent autant de jalons vers nos émancipations.
Racines
André greffe un mémorable arbre généalogique libertaire : « Faire violence, c’est faire autorité [...] dès qu’il y a contrainte ou obligation, il n’y a plus d’anarchie. » E. Armand.
« Le violent étouffe toute la partie sympathique et intellectuelle de son être [...] en brutalisant autrui, il s’abrutit plus ou moins lui- même. » Pierre Kropotkine.
« Pour être libre, voyez- vous, il n’y a qu’à vouloir. La liberté que l’on nous a sottement appris à attendre comme un présent des hommes, la liberté est en nous, la liberté c’est nous. Ce n’est ni par fusils, ni par barricades, ni par agita¬tions, ni par fatigues, ni par clubs, ni par scrutins qu’il faut procéder pour l’atteindre, car tout cela n’est que du dévergondage. Or, la liberté est honnête et on ne l’obtient que par la réserve, la sérénité et la décence. » Anselme Bellegarrigue.
« La lutte libératrice a lieu non dans la rue, mais dans les consciences, entre les conceptions mensongères, sanguinaires, obscures du passé et les espoirs sincères, doux et radieux du présent. La Révolution n’est pas une idée qui a trouvé des baïonnettes ; c’est une idée qui a brisé les baïonnettes. » Fernand Elosu.
Il en résulte que la violence n’est pas anarchiste. Comme l’écrivait dès 1954 le regretté agent financier de l’IRG Roger Paon : « La morale anarchiste demande tout à l’individu et apparaît donc beaucoup plus exigeante que n’importe quelle théorie sociale ou socialiste. L’erreur essentielle de nos camarades [libertaires espagnols] est, à mon sens, d’avoir cru possible une révolution anarchiste par la violence, qui aurait dû se maintenir par le même moyen. »
Les makhnovistes auparavant avaient aussi trahi l’anarchisme. L’insurrection des consciences ne peut jamais réussir par la domination, les armes ou les armées. Lucidité oblige !
René Burget
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