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Marie-Luce Bruyère
XIe Salon de lire en français et en musique, tenu au BIEL de Beyrouth du 1er au 10 novembre 2002

Alors qu’on vient de clôturer le IXe sommet de la francophonie noué il y a quelques jours à Beyrouth, nous assistons à l’inauguration des salons littéraires francophones partout au Liban. C’est la grande occasion aux amateurs de la francophonie pour découvrir et commenter les oeuvres abondantes, anciennes et récentes de nombreux auteurs francophones libanais ; parmi eux l’écrivain Georges Saad qui a enrichi la production littéraire arabe et mondiale d’ouvrages variés dont : Marie-Luce Bruyère, son premier roman en langue française.

C’est une autobographie où Georges Saad reflète son histoire personnelle lors de son voyage en France pour compléter ses études, pendant que le Liban était la piste d’une guerre atroce.
Il s’agit d’une narration réaliste et sincère, qui suit pas à pas, de près, à chaque moment et à chaque lieu l’évolution mentale, affective et behavioriste du jeune immigré loin de son pays natal.
Grâce au zooming génial adopté par le narrateur, divers côtés de sa vie privée, notamment les souvenirs de la jeunesse, nous sont dévoilés avec minutie et hardiesse indiscrètement : l’étudiant bonasse Georges, ses premiers contacts avec les Français, ses aventures amoureuses, son dépaysement choquant, ses comportements louches et naïfs et ses penchants politiques.
Or le pinceau du romancier plonge sans cesse dans une encre ironique pour nous déverser des séquences narratives intimes, teintées d’humour et de comédie parfois mordante !
En France, Georges se comporte en vrai guignol à qui l’on tire les ficelles au gré des circonstances surgies et à l’insu des composantes de l’acte narratif : et voici le jeune garçon qui interprète son rôle humain, universel : celui du compatriote arabe innocent, embarrassé, indécis, en proie aux défies les plus tenaces et les plus féroces de l’immigration.
Le voilà ce "mignon petit lapin", cajolée par sa bien-aimée française Marie, transformé "en lion quand il lui prend la main, en petit animal domestique quand elle le prend dans ses bras, en chatte tremblante à la vue du chien !".
Tantôt il est le type libanais par excellence, tantôt le bédouin démodé : une fois "le chef des arabes en miniature", une autre fois" le garçon timide et peureux".
C’est le clochard, l’amoureux, le vagabond, sans argent, sans logement, qui erre à jamais dans les tourbillons de sa futilité.
Balloté par le désir frivole d’une liberté sans nom en France, pays des miracles, et par les dogmes systématiques et tranchants d’une éducation de base sévère reçue chez les soeurs à Zahlé, c’est le garçon de toutes les impossibilités et de toutes les contradictions.
Ses clowneries éclatent au fil des actions et renforcent l’ambiance sarcastique de l’histoire.
Les héros français étudiés au programme libanais sont ses prototypes exclutifs et éternels : chaque famille française est désormais l’incarnation idéale de la famille Vincent. Chaque fille française qu’il rencontre est à l’image de Mme Bovary, de Léopoldine, de Jeanne-d’arc. Chaque homme français lui fait rappeler Hugo, flaubert, Lamartine.
Il aime Marie. Il l’adore. C’est la madone qui charme l’esprit et ensorcelle le Cœur. C’est le cadeau decendu du ciel, le grand amour de sa vie.
Mais Cécile, la tendre et belle française le fascine aussi. Sa séduction est irrésistible. Et que dire de Brigitte ? Son image radieuse le suit partout. Que faire ? Qui aimer ? Comment ? Etre fidèle à une éducation orientale stricte ou bien s’en libérer et succomber aux tentations du plaisir charnel ? Des questions interminables auxquelles il n’a trouvé aucune réponse.
Avec une raillerie bien voulue, l’écrivain nous présente ce gamin naïf qu’il était, ce pantin burlesque qui manque d’expérience et de confiance en lui-même. Et nous arrivons facilement à sonder sa psychanalyse et ses états-d’âme.
Il essaie de nier ses origines et de s’intégrer dans la société française comme étant un autochtone.
Est-ce un manque d’infériorité vis-à-vis des Français ? Est-ce que un complexe obsessionnel qui le hante d’une manière pathologique ?
Est-ce bien le cas de tous les Libanais éhontés de leur pays, voulant à tout prix déraciner leur propre identité pour s’habiller d’une autre plus civilisée, plus moderne, plus débordante.
A l’exemple de Bassem, l’ami libanais de Georges qui déteste son pays natal et le condamne de dictature, de corruption et de fanatisme ! Bassem est convaincu que la France c’est le pays de la Liberté, le respect des droits de l’homme, l’ordre, la sécurité et la tolérance.
De même, notre héros Georges vascille vite à l’éclatement d’un fait qui toucherait ses origines ou son éducation élémentaire et plonge dans le noir. Et c’est toujours Bassem qui vient le sauver au dernier souffle. Bassem, le connaisseur par excellence des français et de leur mentalité, le coopérateur, le traducteur, l’entraîneur qui prend en charge de secourir notre petit vagabond, de l’orienter, de l’éveiller et de lui expliquer tout concernant la France. Et si par hazard Bassem était absent, un dictionnaire de poche ferait la tâche à sa place. Sans Bassem, Georges aurait pataugé infiniment dans la boue ! L’hésitation l’aurait vaincu sans merci.
Les metamorphoses scandaleuses dans l’attitude de l’immigré révèlent la fidélité riante de Georges Saad, soucieux de transcrire la réalité telle qu’elle est, refusant de nous brosser une fausse image idéalisée et grandiose de lui-même.
Ainsi, il nous peint à travers son expérience personnelle, celle de l’élève libanais ingénu, robotisé, aveuglé par un enseignement théorique et livresque. Celui qui agit d’une façon automatique et cacaricaturale avec les étrangers, selon ses préjugés acquis aux écoles primaires et surtout au bac libanais. Une tête bien pleine plutôt qu’une tête bien faite. Un manque de savoir-faire et de savoir-vivre. Par conséquent, Saad met-il en valeur l’influence ineffaçable et accablante du système didactique libanais sur l’étudiant fragile, notamment les anciens programmes, qui à son avis, paralysent l’élève, font limiter ses facultés et étouffer sa personnalité.
C’est une dénonciation agressive, voire impitoyable du secteur pédagogique libanais, qui, malgré ses lacunes, a initié beaucoup d’étudiants compétents et performants qui ont fait preuve de succés, d’estime et même d’éxellence lors de leur voyage à l’extérieur pour étudier et sont devenus plus tard de grands hommes dont l’histoire nationale et mondiale peut s’enorgueillir !
Tiraillé par la domination d’un système oriental enraciné dans ses neurones et par l’invasion soudaine et chaotique d’un mode de vie occidental bizarre, le protagoniste de "Marie-Luce Bruyère" subit un sort éphémère, bruyant, contradictoire.. Des changements progressifs le secouent et allument ses aspirations vers de vastes horizons illimités où les rêves, le suspens, les désirs et la liberté fredonnent leur majestueuse mélodie….
Georges Saad peint dans son ouvrage une fresque sociale à double dimension où chaque coin et chaque élèment suscitent à chaque fois une connotation binaire : Les traditions françaises face aux traditions libanaises. L’Occident mis en parallèle avec l’Orient. La France, ses habitants, ses villes, la politique, ses mœurs en comparaison avec celles du Liban. L’auteur tisse au fil des lignes cette comparaison ramifiée, amplifiée et ommiprésente dont l’effet montre à merveille les modes de vie différents des deux pays et la stupéfaction perpétuelle de Georges quant à ce rapprochement !
Les souvenirs évoqués exhalent les sensations et les sentiments emprisonnés au fond de l’âme…
Le don de révéler par la parole, avec audace et loyauté, ce qu’on ressent au fond du coeur est talent rare dont témoigne le romancier Saad.
Cette autobiographie met en vedette son style þéloquent, son langage simple et coulant. Les faits, il les reconstitue d’une façon bien impressionnante sans masquer leur charme.
Le roman de Georges Saad bat au rythme de tous les cœurs. Les âges, les adultes et les jeunes s’y trouvent. Les étudiants de tous les temps et de tous les lieux y voient leur profil.
Le lyrisme, le drame, la comédie et l’esthétique se sont donné rendez-vous aux environs de cent quarante pages de ce livre pour célébrer avec gloire la naissance d’une œuvre et le succès d’un écrivain !

L’inspecteur pédagogique Céline Hajjar, le 3/11/2002