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Psychanalyse et anarchie
CANAL PSY n° 20, septembre-octobre 1995
L’Atelier de création libertaire (Lyon) publie un petit ouvrage consacré aux liens possibles entre psychanalyse et anarchie (Psychanalyse et Anarchie, 1995, par Roger Dadoun, Jacques Lesage de la Haye, Philippe Garnier, présentation par Alain Thévenet).
Le thème est tout à fait intéressant ; depuis de nombreuses années, un mouvement politique, l’anarchisme, interroge la psychanalyse avec beaucoup d’intensité comme s’il y avait la découverte possible d’un lointain cousinage ; il est vrai que l’anarchisme n’est pas seulement un courant politique, mais aussi une sorte d’art de vivre qui accorde au sujet une place centrale toujours et par définition irréductible à n’être qu’un morceau indifférencié du collectif. Cette question du sujet dans sa rencontre avec les autres est bien celle qui permet la discussion entre anarchie et psychanalyse.
L’ouvrage commence par une présentation d’Alain Thévenet qui montre que si la révolte politique trouve bien ses racines dans la puissance de l’inconscient, il importe pourtant de se démarquer des déviations normalisantes et des perversions que la psychanalyse a subies dans son histoire.
Le texte de Roger Dadoun est à inscrire dans un mouvement de pensée que l’on pourrait, en empruntant le titre de l’un de ses ouvrages, appelé psychanalyse politique. I1 met en évidence les contradictions historiques de la psychanalyse, tout en développant de façon particulièrement intéressante l’idée de Freud selon laquelle la psychanalyse est la « troisième révolution culturelle » (après les révolutions copernicienne et darwinienne).
L’article de Jacques Lesage de la Haye est très différent. D’une part l’auteur est de formation reichienne, d’autre part sa contribution est très concrète et analyse particulièrement les conflits de pouvoir existant dans les groupes (même anarchistes). Ce texte tend à montrer qu’il serait dangereux pour un « mouvement » d’ignorer que des problèmes psychologiques peuvent être à la base de prises de position politiques et, d’une certaine façon, de « militer ». À l’inverse, la réduction du politique au psychologique serait particulièrement pernicieuse.
La contribution de Philippe Garnier s’appuie sur les travaux de Lacan et de Legendre. Elle est d’une très grande richesse et d’une particulière densité. À plusieurs reprises, traitant de la « fonction paternelle », l’auteur fait allusion au texte de Lacan : « L’inconscient, c’est le Père, le Père, c’est la religion. Une psychanalyse, de réussir, montre que du Père, on peut s’en passer, à condition de s’en servir. » À notre sens, le grand mérite du travail de Philippe Garnier est de tenter d’élucider le lien psychanalyse-anarchie, en approfondissant cette distinction entre « s’en passer » et « s’en servir ».
Voici donc un ouvrage qu’il faut avoir lu. La question du pouvoir au centre de l’anarchisme (ni Dieu ni maître) est analysée par des auteurs très différents, sous l’éclairage de la problématique psychanalytique, notamment par rapport à la question de la pulsion.
Paul FUSTIER Professeur à l’Université Lyon 2
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