Patrick Lepetit remet en question Louis-Ferdinand Céline
Patrick Lepetit, qui s’intéresse depuis des décennies à l’auteur Céline, a beaucoup varié dans sa perception de l’écrivain. D’abord convaincu après la lecture du « Voyage au bout de la nuit », et de « Mort à crédit », il est devenu extrêmement critique en lisant les autres ouvrages.
Dans son dernier ouvrage, Voyage au bout de l’abject, Patrick Lepetit, effectue un sévère devoir d’inventaire. Pamphlet, instruction à charge, attaque en règle, le Monsois assume tous les qualificatifs. Pour lui, Céline a mis son talent au service de l’idéologie nazie. Il développe les mêmes thèmes, les mêmes obsessions, dans les Pamphlets d’avant-guerre et dans ses romans écrits après 1945. « À partir de cette date, certains sont revenus de leurs engagements au côté de l’Allemagne nazie. Céline, pas du tout ! Il n’a rien appris, rien compris ! Il a été l’un des premiers négationnistes ! »
La genèse du livre Voyage au bout de l’abject a pris quelques décennies. « J’avais récupéré, il y a plus de 30 ans, un vieil exemplaire de Bagatelle, le premier volet des Pamphlets ; puis, il y a 10 ans, les deux autres. Ces livres ont été retirés de la vente après-guerre, parce qu’ils tombaient sous le coup de la loi. Ils n’ont jamais été republiés… même dans la soi-disant « édition complète » de la Pléiade. Ils sont très rares, ce qui explique qu’ils soient restés dans l’ombre pour le grand public. »
Patrick Lepetit s’investit dans la lecture des Pamphlets. « Ils me sont littéralement tombés des mains, par leur violence. En étudiant le parcours de Céline, je me suis aussi aperçu que c’était un militant d’extrême droite, au premier rang dans les réunions de Doriot, incitant à la haine des juifs, des francs-maçons et des communistes, appelant à leur exclusion dans la fonction publique, justifiant les progroms. Alors, son génie littéraire serait, plutôt une circonstance aggravante. »
Patrick Lepetit ne défendra jamais Céline
Céline était aussi médecin. En poste à la Société des Nations, en 1925, il visite les usines Ford de Detroit. Dans sa communication à la Société de médecine de Paris, trois ans plus tard, il montre son admiration pour cette forme d’organisation du travail où l’ouvrier n’est qu’une marchandise. « Dans ses écrits littéraires comme dans ses rapports professionnels, Céline est égal à lui-même », commente Patrick Lepetit.
Aujourd’hui, la réhabilitation de l’écrivain est en route et la liste de ses défenseurs très longue. Mais Patrick Lepetit n’en fera jamais partie : « Mon livre est un acte militant… une volonté de faire la lumière sur une œuvre tout à fait particulière. »
Un « voyage au bout de l’abject »
Louis Ferdinand Céline (1894-1961) est probablement l’écrivain le plus controversé du XXe siècle. Reconnu pour la singularité de son œuvre littéraire, il est aussi violemment critiqué pour ses prises de position racistes, proches de l’idéologie nazie. Céline était issu de la petite bourgeoisie commerçante de province dont il partageait les préjugés. En 1912, il rejoint un régiment de cuirassiers. En 1914, lorsque la guerre éclate, il est sous-officier. Dès le début du conflit, on le retrouve en première ligne, notamment à la bataille de Charleroi qui fut une boucherie (27 000 soldats français tués dans la seule journée du 22 août). Grièvement blessé sur le front de la Flandre occidentale, Céline est réformé comme invalide de guerre. Son premier roman, Le Voyage au bout de la nuit, en 1932, est largement autobiographique. Il y décrit son expérience du front.
Auteur majeur du XXe siècle
L’écrivain apparaît violemment antimilitariste, anticapitaliste, presque anarchiste. Il qualifie même la guerre « d’abattoir international en folie ». Ce roman va d’emblée avoir un retentissement considérable. Sa lecture est un choc, par la violence du sujet mais aussi par son écriture novatrice. Le style, incisif, ciselé, empruntant volontiers à l’oral ainsi qu’à l’argot, va influencer nombre d’auteurs du milieu du XXe siècle.
Dans la période d’avant et d’après-guerre, Céline développe des idées très proches de celles d’Hitler. Collaborateur zélé du Reich, Louis- Ferdinand Céline s’enfuit vers l’Allemagne en 1944. Commence alors une longue épopée qui va le mener de Baden-Baden à Sigmaringen (où résidaient la plupart des dignitaires de Vichy) puis Copenhague, où il sera arrêté. Remarquablement défendu par ses avocats (notamment Tixier-Vignancour), l’écrivain échappera au pire.
Malgré une réputation sulfureuse, Céline va retrouver très vite des défenseurs dans la sphère culturelle. Ce qui n’entamera pas, pour autant, la vigilance de ses accusateurs. Plusieurs livres récents prouvent que le débat est loin d’être terminé.
Voyage au bout de l’abject. 130 pages, Atelier de création libertaire 10 € par Patrick Lepetit. L’auteur a publié plusieurs livres de poésie, et des essais comme Surréalisme, parcours souterrain aux édition Dervy (2012).