Lupinose aiguë à Siné Hebdo ?
Alors que la grippe aviaire n’a finalement confiné que quelques centaines de milliers de nos amis avicoles de Bresse, des Landes ou du Gers ; alors que la grippe porcine risque fort bien de nous forcer à suivre l’exemple des cons finis mais à moitié de la maison close de Secret Story ; aucune menace de ce type ne pointe à l’horizon de la lupinose. Bien au contraire. Si l’enfermement réduisait les effets de la pandémie grippale, l’ouverture d’esprit serait en tout cas fortement recommandée en matière d’illégalisme anarchiste en général et de Travailleurs de la Nuit en particulier.
Mais la lupinose se révèle particulièrement virulente en cette rentrée de septembre 2009. Elle attaque là où on l’attend le moins, transformant en vérité vraie et absolue l’axiome suivant développé par Alain Sergent d’abord, et par tant d’autres ensuite : Jacob + cambriolages + procès à sensation + réparties cinglantes + etc.. = Raoul d’Andrésy = Dom Luis Perenna = Jim Barnett = qui vous savez. Pour ceux et celles qui n’ont pas compris, disons que ça commence par un A- et se termine par -rsène Lupin. Michel Onfray, dans les colonnes du numéro 53 du très satirique Siné Hebdo l’a attrapée. Le philosophe affirme même que l’honnête cambrioleur, devenu dans son argumentaire un aventurier de premier ordre, un faiseur d’exploits, bref un « baroudeur » génial, généreux et redresseur des torts capitalistes, si l’on en croit le dessin qui accompagne l’article, que l’honnête Jacob donc « ne théorisa pas la reprise individuelle mais la prouva en la pratiquant comme on prouve le mouvement en marchant ».
Ne pensez-vous pas Monsieur Onfray que l’on puisse en même temps émettre une idée, développer son principe, alimenter sa théorie et l’appliquer ? La difficulté dans le cadre du vol politique, puisqu’il s’agit de cela, réside dans l’acceptation non schizophrène d’un seul et même personnage. Le militant peut très bien voler, penser et affirmer politiquement la justesse de son vol. Pour admettre une telle représentation, il convient de sortir du cadre restreint et étroit du parti institué dans lequel l’anarchisme et plus particulièrement l’individualisme ne peuvent s’exprimer.
« Le modèle d’Arsène Lupin », suivant le précepte de Sébastien Faure dans l’Encyclopédie Anarchiste qui affirmait qui quiconque refusait l’autorité pouvait se réclamait de l’idée ou de la cause, se pose bel et bien lors de ses multiple confrontations avec l’appareil judiciaire en théoricien de la dite reprise individuelle. Il pose un constat que l’on peut nommer lutte des classes. Il affirme un but avec le droit de vivre ou la jouissance naturelle et immédiate des fruits de la production. Il élabore un moyen, le vol, qui n’est pas une fin en soi. Jacob l’affirme dans la plus célèbre de ses déclarations :
« Pour détruire un effet, il faut au préalable en détruire la cause. S’il y a vol, ce n’est que parce qu’il y abondance d’une part et disette de l’autre, que parce que tout n’appartient qu’à quelques-uns. La lutte ne disparaîtra que lorsque les hommes mettront en commun leurs joies et leurs peines, leurs travaux et leurs richesses ; que lorsque tout appartiendra à tous. Anarchiste révolutionnaire, j’ai fait ma Révolution, vienne l’Anarchie ».
Ouvrons un dictionnaire pour nous convaincre de la pertinence d’une théorie du vol élaborée par l’honnête homme qu’il fut. Théorie : « Ensemble relativement organisé d’idées, de concepts qui se rapportent à un domaine déterminé ». C’est ce que dit Jacob. Théoricien : « Personne qui étudie, élabore et défend la théorie, les principes d’une doctrine ». Larousse 2000. C’est ce que fait Jacob tout au long de sa vie. Rajoutons juste à cette définition que l’honnête cambrioleur applique à lui-même les principes de sa théorie. Il le fait sciemment, sachant très bien où elle peut le mener : à l’état d’anarchie, au bagne ou à l’échafaud. Il le fait malgré les atermoiements de quelques pontes libertaires de la fausse Belle Epoque qui savonnèrent d’abord la pente de la propagande par le fait, puis celle qu’utilisèrent les sectateurs de la pince monseigneur, souvent comparés comme leur ennemis bourgeois à des parasites sociaux. C’est dans cet optique que le journaliste Victor Méric prend ardemment la défense du « bandit sinistre » (le terme est celui de la presse nationale de l’époque) dans le Libertaire au mois de mars 1905 à l’occasion du procès d’Amiens, dénonçant entre autre le « pape de la rue Mouffetard » et l’équipe des Temps Nouveaux par la multiplication dans son texte du qualificatif grave pour désigner les dits penseurs anarchistes qui ne bougèrent pas le moindre petit auriculaire pour soutenir Jacob.
Oui, celui-ci a connu des aventures extraordinaires et ce serait stupide de nier le fait, finalement inhérent à la délictueuse activité théorisée. Il le serait encore plus de l’habiller du costume flamboyant et très bourgeois du gentleman cambrioleur parce que tous les aspects politiques, justement, s’en trouveraient au mieux largement édulcorés, au pire totalement niés. Arsène Jacob ne peut pas être Alexandre Lupin. Et réciproquement.
Alors offrir un boulevard à Jacob ? Pourquoi pas si on peut y circuler librement, c’est-à-dire sans agent pour nous siffler quand on ne traverse pas là où il faut, et s’il est écrit sur la plaque commémorative que Jacob fut militant, adepte et théoricien de la reprise individuelle. Il est vrai que le message serait plus porteur de le voir là que coincé dans une impasse … ou dans un cimetière. Sachez à ce propos qu’à celui de Reuilly où repose Jacob à perpétuité, une plaque a été déposée sur sa tombe. On peut y lire juste en dessous du nom et prénom : « Peut-être Arsène Lupin ». L’anecdote prouve que la lupinose s’insinue partout … même dans les feuilles d’un journal satirique.
N°53
Mercredi 09 septembre 2009
Diogène and Co
Saint Jacob, volez pour nous …
Sérieux comme des papes athées, quelques Savonarole de la morale qui siègent à l’assemblée nationale, flanqués du président de la République lui-même et du ministre du Budget, veulent moraliser le capitalisme libéral et, pour ce faire, dirigent nos regards vers les traders dont les salaires sont une honte car, rendez-vous compte, certains de ces mercenaires gagnent plus que leurs patrons ! Sus aux traders – mais n’exagérons rien – longue vie à la religion du capital …
Alors que faire ? Les moulinets constituent la seule réponse qu’on est en droit d’attendre d’un gouvernement libéral : indignation vertueuse, protestation verbale, simulation d’un prurit éthique, et puis plus rien. Les choses continuent comme avant.
Je propose qu’on sorte de l’oubli Alexandre Marius Jacob (1879-1954), un baroudeur qui rencontra l’anarchie à 17 ans. Jacob ne théorisa pas la reprise individuelle mais la prouva en la pratiquant – comme on prouve le mouvement en marchant. Et je ne crois plus aux idées (notamment libertaires) que quand elles sont praticables, sinon elles sont religion pure … Cet homme peut donc être écouté et entendu.
Jacob était un gentleman cambrioleur, le modèle d’Arsène Lupin : il volait, certes, mais pas pour singer les bourgeois en achetant leurs babioles et accéder à la trilogie consumériste cigarettes, whisky et petites pépées (ne t’énerve pas Bob, c’est une façon de parler …), mais dans la perspective de redistribuer l’argent aux pauvres.
L’impératif catégorique de son action ? Ne forcer que les serrures des parasites sociaux (notaires, banquiers, militaires, juges agents immobiliers, assureurs, curés, aristocrates …) et reverser 10% des gains à la cause anarchiste, notamment aux journaux (ne rêve pas Bob …) et aux familles de détenus politiques ! Son éthique lui faisait épargner ceux qui remplissent des fonctions utiles : les médecins, les enseignants, les écrivains – il ajourne son forfait quand il découvre qu’il s’apprêtait à cambrioler Pierre Loti.
Au procès dit des Travailleurs de la Nuit, il fit assaut d’ironie, d’humour et de causticité. Ce lecteur de Nietzsche et de Proudhon affirma le droit au vol : « ceux qui produisent tout n’ont rien et ceux qui ne produisent rien ont tout ». Il fut condamné aux travaux forcés à perpétuité en Guyane. Au bagne, il ne fit aucune concession aux gardes-chiourme auxquels il rendit la vie impossible, et fit dix-sept tentatives d’évasion.
Vingt-cinq ans après (dont huit et onze mois aux fers), il fut libéré, devint forain sur les marchés du centre de la France, fit probablement passer des armes aux libertaires espagnols, vit sa femme mourir d’un cancer. Il la rejoignit volontairement avec une piqûre de morphine et un vieux poêle réglé pour achever le travail. Il laissait ce message : « Linge lessivé, rincé, séché mais pas repassé. J’ai la cosse. Vous trouverez deux litres de rosé à côté de la paneterie. A votre santé ». A Reuilly (excellent vin blanc !) où il est enterré, une impasse porte son nom : offrons-lui une rue. Que dis-je ? Un boulevard !
Michel Onfray
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