De la production littéraire des anarchistes italiens

Poésie d'un rebelleLa production littéraire des anarchistes italiens est un aspect souvent négligé de la production écrite des anarchistes italiens et est plus importante qu’on pourrait le penser. Parmi les auteurs de nouvelles, pièces de théâtre, saynètes, poésies, etc., on retrouve les plus grands noms de l’anarchisme italien : Pietro Gori, le plus connu, Camillo Berneri, Felice Vezzani, Gigi Damiani et aussi Errico Malatesta, etc. Certains n’avaient pas eux-mêmes de muse littéraire, comme Luigi Fabbri, mais pouvaient montrer combien ils appréciaient les textes de ce genre, qui émanaient également de militants anonymes, souvent des autodidactes, qui trouvaient ainsi un terrain d’expression plus adapté à leur plume et à leur sensibilité. Les poésies et les textes dramatiques, notamment, servaient à enrichir le programme des « soirées de propagande », organisées pour faire rentrer des fonds ou à l’occasion de commémorations.

Ils remplissaient aussi les colonnes des journaux, parfois en feuilleton pour les romans, à l’image de ce que pratiquait la presse populaire à grand tirage. S’il se trouvait des journaux pour les refuser, il est arrivé aussi, dans les moments difficiles, que des publications survivent grâce à ces productions culturelles. Ces textes ne sont pas tous une réussite du point de vue esthétique, mais ils ont tous en commun de faire, à leur façon, dans un contexte précis mais parfois aussi de manière intemporelle, œuvre de propagande. Les anarchistes italiens ont donc fait des usages multiples de l’art et de la littérature et n’ont pas hésité à puiser aussi dans la production d’hommes de lettres de profession, qu’ils aimaient à fréquenter : Luigi Pirandello, Edmondo De Amicis, Octave Mirbeau, Emile Zola, Victor Hugo – la liste est loin d’être exhaustive – que nous rencontrerons sans doute au cours de prochaines « conversations ». L’ouverture de ce blog étant presque contemporaine de la parution de l’ouvrage Poésie d’un rebelle, illustrons ce premier texte par une poésie de Gigi Damiani, qu’il publie une première fois en 1946, dans un recueil intitulé Sgraffi (« égratignures ») et qu’il reprend en 1949 dans le recueil Diabolica carmina (« vers diaboliques »). Le texte remonte sans doute au début des années quarante, à la fin de l’exil tunisien de Damiani qui essaie, par tous les moyens, d’obtenir l’autorisation de rentrer à Rome, et enrage contre les gouvernements démocratiques qui ne la lui donneront qu’en 1946. Son impatience lui fait écrire « Tiens bon ! » (Tieni duro !) qui a sans doute servi d’encouragement à Damiani lui-même et à tous ceux qui l’ont lu alors. Peut-être peut-il être utile aujourd’hui encore ?

Tieni duro !

Tiens bon !

E buon per me se la mia vita intera
mi frutterà di meritare un sasso
che porti scritto : non mutò bandiera.
Giuseppe Giusti

Et tant mieux pour moi si ma vie entière
Me fera mériter une pierre
Sur laquelle serait écrit : il n’a pas changé de bannière.

Giuseppe Giusti

Spina dorsale mia che sempre ritta sei giunta verso il fin dell’esistenza che non piegasti mai ne la sconfitta e che caparbia ne la resistenza sfidasti la bufera e del dolore l’angoscia che t’inclina allo sconforto, resisti ancor ché son brevi l’ore che di un vivo faranno un freddo morto. Resisti dell’età agli acciacchi e al peso resisti al desiderio di riposo sta su, perché di te non rida Creso e non sghignazzi il Prete e il birro astioso schernendo chi governa ed anche dio ancor ne la battaglia ritta incedi finché non ce ne andrem nel Grande Oblio, spina dorsale mia, morendo in piedi, morendo in piedi e sventolando alto nel brivido final dell’agonia di tutta un’esistenza sullo spalto il fiammante vessil dell’anarchia. Ma colonne vertébrale, toi qui es arrivée bien droite vers la fin de l’existence, toi qui jamais n’as plié dans la défaite et qui tenace dans la résistance as défié la tempête et l’angoisse de la douleur qui pousse au découragement, résiste encore car brèves sont les heures qui au vivant donneront la froideur de la mort. Résiste aux infirmités et au poids de l’âge, résiste au désir de te reposer, reste droite, pour que Crésus ne se moque pas de toi, ni ne ricanent le prêtre et le sbire hargneux, méprise ceux qui gouvernent et même dieu, marche encore bien droite dans la bataille jusqu’à ce que nous partions pour le Grand Oubli, ma colonne vertébrale, en mourant debout, en mourant debout et en agitant bien haut dans le frisson final de l’agonie de toute une existence sur le devant de la scène la flamboyante bannière de l’anarchie.

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L’histoire de l’anarchisme italien est liée, par bien des aspects, à l’histoire de l’émigration italienne. Malatesta lui-même a passé une bonne partie de son existence hors d’Italie, en Amérique du Sud et à Londres (mais aussi en Égypte et ailleurs), avant son retour rocambolesque en Italie en 1919, et il était en contact avec des militants répartis aux quatre coins du monde. Le fil conducteur choisi pour ce blog offre donc un vaste champ d’investigation. Ce sera la seule contrainte que nous nous imposerons : nos « conversations » auront toutes pour point de départ les vicissitudes des anarchistes italiens dans le monde et aborderont, au fil de l’actualité, de l’humeur, peut-être aussi des réactions et des demandes des lecteurs, des sujets variés, que nous illustrerons si possible de photographies, documents d’archives, correspondances, textes traduits de l’italien…

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