Archive pour juillet 2009
Quelques jugements sur Bakounine comme théoricien
Au cœur de l’été, quelques jugements définitifs sur Bakounine comme théoricien : de quoi vous dégoûter, pour le cas où vous n’auriez pas encore été effrayés…
Isaiah Berlin, Les penseurs russes, Paris, Albin Michel, 1984:
« Ce n’est pas un penseur sérieux. Il n’est ni un moraliste, ni un psychologue. Il ne faut chercher chez lui ni théorie sociale, ni doctrine politique, mais une façon de voir et un tempérament. Point d’idées cohérentes à extraire de ses écrits, en aucune de ses périodes. » (p. 152).
« Bakounine, l’ami officiel de la liberté absolue, n’a pas légué une seule idée qui mérite d’être considérée en elle-même » (p. 154).
Tchijevski, Hegel en Russie, Paris, 1939 (en russe) :
« Le nihilisme anti-philosophique de la dernière période de Bakounine n’a pas de rapport avec l’histoire de la philosophie. »
Basile Zenkovsky, Histoire de la philosophie russe, Gallimard, 1953, t. 1:
A propos de la philosophie anarchiste développée par Bakounine après 1864: « Médiocre programme d’Aufklärung » (p. 286)
Question nationale, question sociale
L’activité révolutionnaire de Bakounine peut être sommairement partagée entre deux périodes: l’une au cours de laquelle il s’occupe essentiellement de la question des nationalités en Europe, en particulièrement de la question slave (1845-1863), l’autre, bien mieux connue, où il est actif sur le terrain de la révolution sociale (1864-1874). Toutefois, l’originalité de Bakounine parmi les révolutionnaires du XIXe siècle consiste à avoir toujours eu en tête ces deux questions, à l’articulation desquelles je souhaiterais consacrer les billets de cette rubrique. En somme, quels sont les problèmes politiques et historiques concrets (au XIXe siècle, on parlait alors de la question des nationalités et de la question sociale) sur lesquels l’activité théorique et pratique de Bakounine a tenté d’avoir prise?
Bakounine dans « Il était une fois la révolution »
Un ouvrage de Bakounine apparaît dans Il était une fois la révolution de Sergio Leone (1971). À la suite d’une discussion animée avec son compère mexicain Juan Miranda (joué par Rod Steiger), le personnage du révolutionnaire irlandais Sean Mallory (James Coburn) laisse tomber par terre le livre qu’il était en train de lire: Bakunin, The Patriotism. On peut regarder cette scène sur youtube (elle se trouve environ 8mn après le début de la video qui, malheureusement, est en VF). Si vous avez le DVD dans la version uncut, cela se trouve 1h18 après le début du film.
Cette scène pose deux problèmes distincts. Un problème philologique d’abord: de quel ouvrage précisément s’agit-il, puisque Bakounine n’a jamais écrit un ouvrage qui s’appellerait Le patriotisme? Un problème d’exégèse ensuite: que signifie cette scène, pourquoi un patriote irlandais est-il en train de lire ce que Bakounine a écrit sur le patriotisme, et pourquoi jette-t-il l’ouvrage dans la boue au cours de la discussion?
Bakounine et la philosophie
Dans cette rubrique du blog, je souhaiterais m’intéresser aux rapports que Bakounine a entretenus avec la philosophie, non seulement parce que j’ai moi-même une formation de philosophe, mais aussi parce que le rapport de Bakounine à la philosophie fait partie des éléments qui sont le plus constamment minorés par les commentateurs. Je reviendrai d’ailleurs dans un prochain billet sur la mauvaise réputation de Bakounine comme théoricien.
Alors, Bakounine philosophe? Non, et lui-même a très vite cessé de nourrir la moindre ambition sur ce terrain. Mais dire cela, ce n’est pas encore régler la question de ses rapports à la philosophie. Dans les prochains billets de cette rubrique, je reviendrai sur les différents aspects de la question, à savoir: que Bakounine a reçu une formation philosophique, qu’il a rompu avec la philosophie, qu’il s’en est tenu éloigné pendant plus de 20 ans, puis qu’il a décidé de combattre aussi sur ce terrain dans la dernière période de son œuvre. Lire la suite de cette entrée »