Archive pour octobre 2012
Un monument à Bakounine : la statue cubo-futuriste de Korolev (1919)
[Comme promis dans un précédent billet, je donne ici la traduction de l’article de John Ellis Bowlt sur le monument érigé à Moscou en 1918-19 par Boris Korolev en l’honneur de Bakounine. L’article a initialement paru en anglais dans la revue Canadian-American Slavic Studies, vol. X, n°4, hiver 1976, p. 577-590. Le numéro de la revue dont est tiré cet article est en grande partie consacré à Bakounine. Pour éviter d’avoir à acheter en ligne chaque article à 25€, on peut se tourner vers le CIRA de Lausanne qui dispose de la revue dans sa bibliothèque. Pour les mêmes raisons, j’ai retraduit l’article depuis la version allemande qui a paru dans Bakunin ? Ein Denkmal !, Berlin, Karin Kramer Verlag, 1996, p. 47-55.]
Un monument à Bakounine : la statue cubo-futuriste de Korolev (1919)
« Les ouvriers et les membres de l’Armée rouge sont décontenancés et indignés lorsqu’ils découvrent que le monument se trouve sur le point d’être dévoilé. »1 Telle fut la réaction du public à la statue de Michel Bakounine qui fut installée en septembre 1919 à Moscou, porte Miasnitski (devenue plus tard rue Kirov). L’auteur de ce monument provocateur était le sculpteur, peintre et architecte Boris Danilovitch Korolev (1884-1963)2, un artiste qui plus tard, en Union Soviétique, fut prisé non pas pour ses sculptures abstraites, mais pour ses bustes et statues expressifs et néanmoins orthodoxes de Lénine. Comme beaucoup de représentants connus du réalisme socialiste – Alexandre Deïneka, Vera Mouchina, Youri Pimenov – Korolev commença sa carrière artistique comme « formaliste ». Jeune homme, Korolev était presque aussi radical dans le domaine de la sculpture que l’était Bakounine dans le champ de la théorie politique. Comment les chemins de l’artiste et du politique se croisèrent-ils ? Cette contribution raconte l’histoire de leur étrange rencontre.
Bakounine et Fichte
Au cours de sa jeunesse, en Russie, Bakounine se plongea dans la philosophie allemande, à laquelle il s’initia au sein du cercle de Stankevitch à partir de 1836. Le premier auteur pour lequel il se prit véritablement de passion fut Johann Gottlieb (littéralement: Jean Théophile) Fichte (1762-1814). Il fut adepte de cette philosophie vers 1836-1837 avant de la délaisser progressivement après l’été 1837 pour celle de Hegel, dont il venait de lire la Phénoménologie de l’esprit. Ce dernier devait occuper une place bien plus durable dans la pensée de Bakounine, qui ne s’en détachera qu’à partir de 1842-43, en même temps qu’il se détachera de la philosophie elle-même.
Mais qu’en est-il exactement de son rapport précoce à Fichte? Cet enthousiasme de jeunesse n’a-t-il laissé aucune trace dans les développements ultérieurs de sa pensée?