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Julien Le Pen, un lutteur syndicaliste et libertaire
L’Ours n° 505, février 2021

Julien Le Pen, les engagements d’un libertaire réformiste

Cette biographie de Julien Le Pen (1878-1945) met en avant ses engagements syndicaliste et libertaire qui lui permettent d’être « réformiste chez les révolutionnaires et révolutionnaire chez les réformistes ».

SYLVAIN BOULOUQUE, Julien Le Pen, un lutteur syndicaliste et libertaire, Lyon, Atelier de création libertaire, 2020, 371 p, 18 €

Sylvain Boulouque s’appuie avant tout sur les sources internes (presse syndicale, anarchiste), mais aussi les archives d’État, les Archives nationales, celles (municipales et départementales) de Paris, celles de la préfecture de police (que l’auteur a eu la chance de pouvoir consulter alors que leur éloignement du centre de Paris tout comme des fermetures intempestives dues à un manque chronique de personnel ont rendues beaucoup moins accessibles), celles de Seine-Inférieure, celles de la CGT mais aussi, plus surprenants, les 5 dossiers trouvés dans les Archives d’histoire sociale et politique de la Fédération de Russie. La plus grande partie de l’ouvrage est composée de 55 textes de Julien Le Pen, des interventions lors de congrès et des articles parus dans Le Libertaire, qui fut un temps quotidien, et dans La Révolution prolétarienne à un moment où Simone Weil y écrivait.

Une approche politique

Les 28 pages d’introduction sont une approche très politique du parcours du militant syndicaliste. Dès lors, d’autres éléments biographiques sont laissés de côté, mais si l’on sait qu’« il reste encore de nombreux aspects écrits en pointillé », des moments importants dans la vie d’un homme sont à peine abordés, comme le décès de son fils, tuberculeux, en 1924. C’est ainsi que l’on ne dispose pas de portrait quand bien même un signalement de police le décrit en 1934, et que le choix judicieux – et symbolique – a été fait de publier en couverture une photographie de congrès sur laquelle il figure, peut-être, parmi les délégués du bâtiment.

Correspondant à ce que nous savons du monde du travail dans la première moitié du siècle, la mobilité d’entreprise, voire de spécialisation au sein d’une qualification, fait que le monteur électricien peut être employé dans une usine qui produit des bougies d’allumage puis, bien sûr, dans le bâtiment, un secteur au syndicalisme fort et combatif. Nous croisons tout au long de ces pages les différentes modalités du mouvement ouvrier d’alors, la coopération, les universités populaires de la Belle Époque qui ont joué un rôle essentiel dans l’engagement de Julien Le Pen.

Minoritaire à la CGTU

Les péripéties du mouvement syndical au début des années 1920 le voient, alors qu’il est hostile à une scission, se ranger aux côtés des communistes, dont il partage l’idéal révolutionnaire mais pas le tropisme moscovite, puis s’en éloigner. Il est parmi les minoritaires de la CGTU tout en refusant en 1926 de participer à la for mation de la CGT-SR et préférant rejoindre la CGT. En tant que militant, il voyage dans tout le pays, d’un congrès à une grève, ce qui le conduit, alors que le préfet Lallemand a décrété l’état de siège en Seine-Inférieure, à être en octobre 1922 emprisonné deux mois au Havre à la suite d’une manifestation qui a dégénéré. Il vit aussi la tragédie du meeting électoral du PC tenu dans la grande salle de la Grange-aux-Belles en janvier 1924, une bagarre qu’il tente en vain d’empêcher (en coupant le courant, talent de l’électricien) avant que le service d’ordre du parti ne tire et tue deux militants. A la fin des années 1920, alors que CGTU et CGT-SR y sont opposées, il défend la mise en place des assurances sociales qui, écrit-il dans Le Libertaire, « peuvent apporter une bien modeste amélioration au triste sort des travailleurs spoliés ». Selon les mêmes principes, il participe aux négociations dans sa branche.

Tendance Syndicats à la CGT

Au milieu des années 1930, après avoir abandonné sa collaboration au Libertaire, il rejoint la tendance Syndicats de la CGT avec des militants qui participent à la revue La Révolution prolétarienne. Les trois textes de Syndicats reproduits dans l’ouvrage sont intéressants, notamment le dernier, de janvier 1940, qui met bien en évidence les effets du pacte germano-soviétique sur le syndicalisme français. Prisonniers d’une certaine historiographie, nous avons été un peu piégés par l’assimilation de Syndicats à René Belin et Georges Dumoulin, actifs à Vichy tandis que Julien Le Pen était opposé à la Charte du Travail. D’ailleurs, la question de sa participation à la Résistance se pose. Sylvain Boulouque estime, arguments à l’appui, qu’il est « légitime de penser qu’il s’est engagé dans le réseau Libération Nord ». Il ne s’appesantit cependant pas sur certaines controverses publiques, dont il estime qu’elles « ne sont que d’un intérêt relatif », qui souvent alourdissent sans rien apporter les livres d’histoire du mouvement ouvrier.
Plus qu’une biographie, il s’agit d’une microstoria du syndicalisme révolutionnaire tout au long des deux décennies de l’entre-deux-guerres (mais aussi des premiers mois de la guerre). Il permet de mettre à distance le manichéisme simpliste révolutionnaire/réformiste et révèle la pluralité d’engagements dynamiques qui ne paraissent contradictoires que parce qu’ils sont observés des décennies plus tard, sans que soit prise en compte l’évolution d’approches individuelles marquées par ces combats et leurs conséquences. À une autre échelle, ce livre est complémentaire de celui de Daniel Colson, paru un tiers de siècle plus tôt chez le même éditeur , et se révèle tout autant que lui indispensable pour comprendre le mouvement syndical dans l’entre-deux-guerres.

Christian Chevandier