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La Bourse du travail de Lyon
A CONTRETEMPS n° 21

David Rappe a raison de s’étonner, en ouverture d’ouvrage, que l’apport des Bourses du travail au syndicalisme français d’avant 1914 - cette part essentielle de son originalité et de sa « spécificité » - soit encore si peu étudié. Et de préciser : « Si l’on connaît globalement l’histoire des Bourses du travail [...], on connaît peu par contre les dynamiques et les objectifs internes que celles-ci s’étaient attribués, ainsi que le rôle qu’elles jouaient dans le quotidien des travailleurs de chaque localité [...]. » Le travail qu’il nous livre ici a donc le mérite - et ce n’est pas rien - de combler cette lacune pour ce qui concerne la Bourse du travail de Lyon .

Bien sûr, c’est la loi du genre universitaire, son étude - tirée d’un mémoire de maîtrise sur la Bourse de Lyon des origines à 1914 et d’un mémoire de DEA sur celles de la Loire, du Rhône, de l’Isère et de la Drôme des origines à 1939 - pêche, sans doute, par trop de cette sécheresse si caractéristique des approches académiques. Mais, même si l’on eût aimé que surgisse, sous le poids des mots de l’historien, quelque chose du rêve émancipateur qui présida à cette riche expérience d’autonomie ouvrière, cette étude mérite qu’on s’y arrête, ne serait-ce que pour apprendre de ce temps, et éventuellement s’en inspirer.

Cette question du lien, D. Rappe - qui se réclame lui-même du syndicalisme révolutionnaire et milite dans cette sphère - se la pose avec d’autant plus d’acuité que sa démarche transcende le simple intérêt historique pour un objet de musée. Ainsi, écrit-il, « différentes expériences militantes, souvent à caractère autogestionnaire et libertaire comme les centres sociaux italiens ou certains espaces de vie et de lutte collectives » semblent, aujourd’hui, « fairele lien » avec cette histoire, même si, prend-il soin de préciser, aucune d’elles « n’est encore allée aussi loin que l’expériencedes Bourses du travail ni n’en a revêtulemême caractère de masse ».

Pour Daniel Colson, qui préface cet ouvrage, les Bourses du travail symbolisèrent à merveille l’ancienne revendication proudhonienne du nécessaire « séparatisme » de la classe ouvrière. « Si elle se prend au sérieux, assura l’auteur de De la capacité politique des classes ouvrières, si elle poursuit autre chose qu’une fantaisie [...], il faut qu’elle sorte de tutelle, et [...] qu’elle agisse désormais et exclusivement par elle-même et pour elle-même. » Tout à la fois contre-société et projet social d’autonomie, les Bourses du travail gèrent, en même temps et dans un même mouvement, le quotidien des travailleurs (placement, formation, santé, éducation, culture) en préparant l’avenir, le seul qui en finira avec les mauvais jours et dont la condition repose sur l’abolition du salariat par l’association libre des producteurs libres.

En étudiant la vie quotidienne de la Bourse du travail de Lyon, du début des années 1890 à la guerre de 1914, à travers son mode de fonctionnement, ses réalisations et ses conflits, D. Rappe touche une vérité essentielle : là se construisit un « autre socialisme », basé sur une « action syndicale autonome [...] porteuse de pratiques, d’une tactique, d’une stratégie et d’une finalité » et partant de ses propres profondeurs.
Cette expérience, le futur poids du marxisme sur le mouvement ouvrier fera tout pour l’occulter. Au nom de ses intérêts bien compris par son élite autoproclamée. Preuve s’il en est que les professionnels du socialisme, hier comme aujourd’hui, ont tout à craindre de la classe ouvrière quand, « par elle-même et pour elle-même », elle construit sa propre émancipation. Le livre de D. Rappe est, sur ce point, tout à fait probant.

Gilles Fortin