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Le Japon mal rasé
Alternative libertaire n° 158, janvier 2007
« Il n’est pas de pays sans anarchistes. Excepté le Vatican, peut-être. Bien sûr, dans un pays aussi respectueux de l’autorité que le Japon, ils ne sont pas très nombreux. » Mais ils existent. Et c’est là ce que veut nous montrer Jean-Manuel Traimond, dans son ouvrage Le Japon mal rasé, récit d’un voyage atypique au pays du Soleil Levant, dans ces couches invisibles que sont les anarchistes, les Burakunin, ou encore les Coréens. L’objectif est affiché dans le titre, puisqu’il est question de rompre avec l’image lisse d’une société ordonnée hiérarchiquement. On y apprend notamment qu’une forme de pensée pré-anarchiste y apparut dès le milieu du Vllle siècle, hors de toute influence occidentale et qu’elle est liée à une certaine relation avec la nature. Puis c’est le Tôyo Shakai To, le parti socialiste oriental, d’essence nihiliste, taoïste et bouddhiste qui réussit à rassembler 3 000 adhérents en 1882 avant d’être interdit par le gouvernement... deux mois plus tard.
C’est au XXe siècle que la pensée libertaire prend toute son importance avec le plus célèbre des anarchistes japonais, Kôtoku Shûsui. Celui-ci, d’abord socialiste, découvre l’anarchisme en prison en lisant Kropotkine et durant un voyage en Californie où il fréquente les syndicalistes révolutionnaires de l’lndustrial workers of the world (IWW).
Puis il revient au Japon où il écrit dans le Heimin Shimbun, (le journal de l’homme du
peuple) « Yo ga shisô no henka (j’ai changé d’opinion). » Il tente alors d’infléchir le Parti socialiste vers l’anarchisme en faisant voter une motion sur l’action directe qui faillit passer... avant que le Parti socialiste ne soit interdit.
Un anarchiste mythique
Quelques années plus tard, suite à un complot contre l’empereur ourdi par les adeptes anarchistes de l’assassinats, le pouvoir profite de cette occasion pour faire arrêter et exécuter Kôtoku Shûsui par pendaison, « innovation d’origine occidentale ». Alors que la répression s’accroît, le mouvement anarchiste se divise entre les « purs », qui refusent de travailler et pratiquent le racket « comme des poules, nourries parce qu’elles crient, mais gardés en cage pour le couteau du boucher », et les « anarcho-syndicalistes » travaillant et s’organisant en syndicats. Pendant la guerre, toutes et tous les anarchistes qui osent encore élever la voix se font emprisonner, torturer et/ou exécuter. L’après-guerre voit le retour d’un anarchisme moribond rassemblé au sein de la Fédération anarchiste japonaise qui compte quelques centaines de membres mais qui disparaît quasiment en raison de la concurrence des partis traditionnels et du mouvement étudiant.
L’ouvrage qui est un recueil de témoignages, de récits de voyage et d’éléments historiques permet de se familiariser avec un Japon tout à fait en décalage avec celui qu’on a l’habitude de voir dans les médias. De plus les anarchistes ne sont pas le seul groupe décrit par l’auteur, et les parties consacrées aux Burakunin (les intouchables) et les Coréens au Japon sont tout aussi intéressantes.
Mathieu (AL Aix)
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