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Le Trésor des méchancetés
Avant-propos de Jean-Manuel Traimond
Cette anthologie est née d’une fréquentation hélas assidue de la littérature et de la presse anarchistes. Si vous les fréquentez aussi, vous savez pourquoi on peut écrire « hélas ». Pourquoi tant de textes, de tracts, de brochures, d’articles, dont le fond est juste et nécessaire, sont-ils d’une forme si indigeste ? Pourquoi tant de textes destinés à convaincre les non-informés ne réussissent-ils qu’à grand-peine à informer les convaincus ?
Parce que l’anarchiste, tout plein de son indignation, en oublie que l’indignation n’est pas comme la grippe : il ne suffit pas d’y être exposé pour l’attraper.
Les anarchistes souffrent d’une regrettable tendance à s’attarder plus sur leur indignation que sur les faits qui la justifient, ou à exposer ceux-ci de manière péremptoire, bref à préférer la diatribe à la démonstration ; mais les lecteurs souffrent, eux, d’une tendance non moins regrettable, celle qui consiste à préférer les faits aux anarchistes, surtout indignés.
Nous n’avons pourtant pas manqué de maîtres en propagande qui, de Fénéon à Cousse en passant par Orwell, tenaient qu’on écoute plus volontiers l’humour que l’humeur, mais, sans doute est-ce dû à notre allergie aux maîtres, ils n’ont pas toujours fait école. C’est pourquoi cette présente anthologie ne s’est pas limitée aux auteurs anarchistes et sympathisants.
Les collections du Centre international de recherche sur l’anarchisme (CIRA), à Lausanne, se sont montrées précieuses. La petite chambre froide sous les toits qu’on y prête aux chercheurs permet de rêver à Spinoza dans sa mansarde. Compiler des affiches espagnoles, tenir entre ses mains un télégramme au CIRA des situationnistes en plein Mai 68, tourner les pages mêmes des brûlots du début du xxe siècle s’est révélé fascinant, mais le miel, lui, s’est révélé rare, et il a fallu voler loin.
Je n’ai donc pas hésité à reproduire jusqu’aux mots de l’ennemi, dès lors qu’ils semblaient efficaces. Peut-on mieux dénoncer la bêtise militaire qu’en citant le maréchal Mac-Mahon qui, rappelant que la fièvre typhoïde rend idiot, affirmait qu’il le savait bien, puisqu’il l’avait eue ? Peut-on mieux mettre en lumière le mariage du sabre et du goupillon qu’avec un texte du sabre, Napoléon, expliquant à quel point les missionnaires, le goupillon, sont utiles au commerce et à l’Empire ?
Le plan de cette anthologie suit, de haut en bas, les autorités qui nous pèsent. Les quatre premiers chapitres traitent de la religion et de l’état, les suivants de hiérarchie et d’économie, puis du communisme, du sexisme, des médias et de la culture ; les derniers chapitres sont consacrés à ces piliers que constituent l’armée, la police et la justice. Le lecteur peut ainsi, s’il le souhaite, se servir de cette anthologie comme d’un demi-manuel à l’usage de qui n’est pas, ou pas encore, anarchiste. Demi-manuel, ou manuel en creux, parce qu’il ne concerne que l’aspect critique, et non l’aspect positif, de l’anarchisme. Mais que l’on se serve de ce livre comme d’un carquois, d’un traité ou d’un grenier, qu’importe, pourvu que l’on s’en serve.
Jean-Manuel Traimond
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