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Parisquat
Introduction

C’était...

Carrefour des Gobelins à Paris. La manifestation s’avance, ils sont au moins cinquante mille. Les plus jeunes sont devant, ce sont les lycéens, ils ne sont pas venus pour s’emmerder et dévalent l’avenue sans se soucier de la préséance. Les étudiants suivent en bon ordre avec banderoles et camions sono. Des petits groupes s’animent le long du cortège, sans doute les « casseurs » ; ils finissent par dépasser tout le monde et arrivent en tête sur les barrages de police. Ils annoncent la fin de la récréation. Jets de pierres, riposte lacrymogène, « la fête est gâchée », des voitures sont retournées et incendiées, des vitrines sont brisées, « étudiants pas casseurs »...
Sommes nous en 1994 ou en 2006 ? Contre le CIP ou contre le CPE ? Douze années séparent ces deux mouvements qui se ressemblent. J’assiste à cette manif du 16 mars 2006 et je me pose ces questions. De passage à Paris, par curiosité ou par hasard, je suis passé voir cette manifestation, histoire de constater que tout est question de point de vue.
C’est troublant de « revoir » ces mêmes scènes avec mes yeux d’aujourd’hui ; je me retrouve plongé parmi les images de mes vingt ans et je me sens vieux. Ce sont les années qui défilent, je reconnais les militants rencontrés à la fac, les libertaires des SCALP, les trotskistes de la LCR... Ils n’ont pas changé, juste pris du galon. Je croise d’anciens potes autonomes * de l’époque des squats, ils sont prêts pour la castagne avec la police. Je les trouve un peu décalés et puis je ne peux m’empêcher, moi aussi, de jouer à repérer les flics en civil et évaluer le dispositif antiémeute. Quand ça pète, mes vieux réflexes reviennent instantanément, c’est comme le vélo paraît-il ; éviter les charges, prendre les flics à revers... Je suis étonné, comment ai-je pu me laisser prendre au jeu ? Après tout ce temps ?
J’ai été politisé au lycée puis à la fac, peu à peu j’ai recherché ce qui se faisait de plus « radical » : les libertaires, les SCALP et enfin les squats politiques. Le mouvement des squats est une nébuleuse complexe : il y a les squats d’artistes, les squats africains, les politiques, les punks, les zonards, etc. Ils cultivent leurs différences, chacun a ses particularités, mais tous s’inscrivent dans des codes et une histoire collective.
De 1995 à 2000, j’ai fréquenté puis habité dans des squats à Paris. J’ai eu envie de parler de cette période parce qu’elle est une des plus riches de ma vie. On m’a donné une culture de la mémoire, il faut raconter, expliquer, comprendre. Et puis je n’aime pas l’idée que les souvenirs puissent se perdre. En discutant de ce projet avec mes amis de l’époque, je me suis rendu compte que tous avaient quelque chose à dire : « Et n’oublie pas ça, et tu parleras de ça aussi, et machin ceci... », « Fais un truc un peu perso... », « Tu te souviens de la fois où... » J’ai senti le besoin que les gens avaient de reparler de tout cela. Qu’il restait comme un goût d’inachevé et des comptes à régler, avec d’autres et avec soi-même. Bref, on avait besoin de s’exprimer là-dessus. Cette histoire sera écrite avec leurs voix, ça m’a paru évident.
Sans savoir vraiment comment le projet allait prendre forme, j’ai préparé des entretiens pour recueillir les témoignages. Mais j’ai dû un peu déchanter parce que, à partir du moment où c’est devenu formel (entretiens enregistrés), les gens n’avaient plus tellement envie de parler. Il y a même eu une sorte de parano de la part de certains : « Ça va devenir quoi, en fait, ce que tu enregistres ? » Au passage, je tiens à remercier celles et ceux qui ont bien voulu répondre. Ils parlent de leurs expériences avec sincérité, sans fard, ce qui n’est pas très courant dans ce milieu.

À propos des entretiens

Je n’ai pas fait un travail « sociologique », je suis allé voir mes amis et j’ai retranscrit nos discussions. Pour les préparer, chaque personne a reçu un questionnaire. Ensuite, j’ai expliqué ma démarche. Les entretiens se sont faits à l’aide d’un dictaphone. Tous les prénoms des interviewés et des personnes citées ont été changés, afin de préserver une certaine discrétion. Je n’ai pas eu la possibilité de faire relire les textes à tout le monde. Il y a quand même eu des retours avec des modifications.
Je ne sais pas vraiment à qui s’adresse ce travail. Quelque part, c’est un peu le livre que j’aurais aimé trouver à l’époque où je squattais. J’étais toujours à la recherche des histoires des « anciens », d’anecdotes et de conseils. C’est aussi une manière de répondre à la question : « Qu’ai je fait de tout ce temps ? »