Atelier de création libertaire Les éditions Atelier de création libertaire          1979-2024 : 45 ans de culture libertaire
Accueil | Le catalogue | Les auteurs | Les thèmes  | Les colloques | On en parle | I.R.L. | Les téléchargements | Nous contacter



Tous nos titres



Pour en savoir plus

 



Récits de Christiania
Alternative libertaire n° 35, été 1995

Dans les rues de Christiana (Danemark) se croisent Oluf le Viking qui prépare son propre hydromel auquel il n’oublie pas de mélanger quelques champignons hallucinogènes. Marius Myg Lapon mongolien qui n’a troqué son déguisement de policier que pour revêtir les vêtements de Dark Vador, Annie l’étudiante en théologie qui fonde une coopérative féminine de forgerie, « l’homme au pavé qui portait un pavé en équilibre sur la tête devant la maison de santé s’ il faisait beau, et dans la cuisine s’ il pleuvait », Soren Id qui envoya à tous les gouvernements du monde entier une déclaration d’indépendance d’une petite île de Copenhague « qu’il avait libéré » (seule la Haute-Volta proposa l’établissement de relations diplomatiques !). Un regroupement hétéroclite de hippies, de militants anarchistes ou communistes, de junkies, de paumés, d’alcooliques militants, d’anthropologues et de fraiseurs-tourneurs, d’homosexuels militants, compose la population de cet immense squat implanté dans une caserne au cœur de Copenhague.

Les Christianites tentent depuis maintenant vingt-cinq ans d’organiser et de préserver cette communauté sans police, sans hiérarchie, sans vote, où les décisions sont prises en assemblées générales et où les conflits tentent d’être résolus par la discussion plutôt que par la violence.
Jean-Manuel Traimond nous entraîne dans un amusant voyage au cœur de la Christiana des années 70 et 80, période durant laquelle il fut lui même locataire partie prenante de cette « tentative anarchiste ». A travers le portrait des Christianites les plus typiques ou les plus farfelus, on découvre tour à tour des quartiers ou des bâtisses aux noms poétiques comme « L’île aux lapins », « La maison banane », « Le tumulus nord », « L’ hélicoptère invisible », « L’arche de paix », ou nettement plus prosaïques : « La rue aux dealer » », « A l’odeur caractéristique de haschich et de bouledogue mouillé ».
La vie collective à Christiana est ponctuée d’assemblées générales de quartiers ou de coopératives, seules instances décisionnelles. L’économie est organisée en coopératives de production ou de services. Une caisse commune répartit les bénéfices des coopératives aidant celles qui sont déficitaires et recueille le loyer de Christiana, destiné à l’amélioration du cadre de vie collectif. En dehors du haschich et de l’amour, qui il est vrai semblent occuper une place centrale dans les activités des Christianites, on assiste à quelques happening de Christianites, telle que leur participation aux élections municipales de 1978 pour laquelle ils présentèrent une liste mentionnant leurs professions et leurs lieux de résidence comme l’exige la constitution danoise, mais sur laquelle ils ont omis leurs noms de famille « comme la loi danoise ne l’avait même pas imaginé ».. Ou encore cette manifestation de Pères Noël en patins à roulettes dont la décision avait été prise après que deux Christianites eurent découvert que Saint-Nicolas était formé des mots grecs niké (victoire) et laos (peuple). Arrivés devant le tribunal du travail afin de dénoncer l’injustice de cette société, un orateur conclut son allocution par « à bas le tribunal du travail » ; aussitôt les Pèpes Noël attaquent le bâtiment à la pioche et au bulldozer.
Si le récit de Jean-Manuel Traimond est entraînant et souvent drôle, il est aussi sans complaisance. Par souci de démocratie, on ne s’oppose pas an groupe de motards racistes et affublés de croix gammées qui sèment la terreur dans le squat. Ou alors on évite de justesse la destruction de Christiana par la prolifération de l’héroïne savamment orchestrée par la police de Copenhague. L’opposition entre intérêts différents est constante, nomment entre les dealers et les activistes (militants politiques), ou entre les différentes communautés installées dans Christiana. Si l’amour y est libre, les viols y sont fréquents. Si le rejet du système capitaliste est proclamé, la communauté survit grâce aux subsides de l’aide sociale, le commerce de la drogue et les échanges commerciaux avec l’extérieur. Si les Christianites sont libres, ils n’en sont pas moins soumis à la violence, à l’existence de certaines formes de hiérarchie et aux individus ne souscrivant pas totalement au contrat social organisant ce microcosme...
« Christiana est-elle anarchiste ? »
L’auteur, prudent, laisse au lecteur le soin d’en juger.

Vincent Decaen