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Récits de Christinia
L’Affranchi, printemps 95

« Dès 1971, anarchistes et théologiens, yogis et trafiquants, militants communistes et alcooliques militants, clochards repentis et clochards pratiquants, cas sociaux et clarinettistes, anthropologues et fraiseurs-tourneurs occupèrent une caserne de Copenhague, créant le plus vaste squat d’Europe : Christiania ».

Le récit de jean-Manuel Traimond, qui a vécu à Christiania de 1979 à 1984, a le mérite de porter un regard à la fois amoureux et sans complaisance sur cette expérience de vie qui dure depuis plus de vingt ans. C’est au travers d’une galerie de portraits, plus surprenants les uns que les autres, qu’il nous fait entrer dans cette étrange société où quelque mille personnes vivent, sans pouvoir constitué, à sept cents mètres du parlement danois. S’agit-il d’une expérience anarchiste ? Telle est la question que l’auteur pose à ses lecteurs à la fin du livre.
La discussion que nous avons pu avoir avec lui, dans le cadre d’une rencontre au Centre international de recherche sur l’anarchisme (CIRA) de Lausanne, a permis de préciser les problèmes induits par cette question. Tout d’abord sur le plan économique,Christiania n’est guère autonome. Bon nombre des scandinaves qui y vivent touchent l’aide sociale, ce qui constitue une sorte de subvention de l’État danois. Les étrangers (un quart des habitants) trouvent assez facilement à s’employer dans les nombreuses coopératives autogérées et autres bars qui fleurissent à Christiania. Nombreux sont les habitants de Copenhague qui viennent y faire la fête et consommer. Le commerce de haschich, tenu par près de cent cinquante « pushers », favorise sans doute aussi la prospérité générale !
Dans la discussion au CIRA, on s’est également interrogé sur la dimension subversive de Christiania. N’a-t-on pas affaire à un ghetto, à une concentration de contestataires et de déviants qui poseraient plus de problèmes s’ils étaient disséminés dans la société ? Là aussi, la réponse doit être nuancée. Beaucoup de christianites se contentent d’être fiers de leur propre émancipation et ne se soucient guère du reste du monde. Cependant, l’ouverture (relative) sur l’extérieur et certaines actions comme celle des pères Noël (distribution de marchandises aux clients des grands magasins par une « armée » de christianites déguisés en pères Noël) plaiderait pour l’inverse. Cela dit, Christiania n’échappe pas à la règle qui veut que dans la société capitaliste, toute expérience subversive tende à s’intégrer.
Finalement, et jean-Manuel Traimond le souligne à juste titre, ce qui est le plus intéressant à Christiania, c’est l’organisation ou plutôt l’absence d’organisation politique. Les décisions collectives sont prises en assemblée générale et assemblée de quartier ; on y vote pas. Les minorités n’ont pas à se plier aux décisions majoritaires, il n’y a pas d’institution de contrainte... De ce point de vue, et aussi parce qu’une majorité des christianites « partagent les analyses anarchistes sur l’État, l’autorité ou le travail (...) Christiania constituerait un laboratoire idéal pour déterminer si les hommes peuvent édifier une société anarchiste ».
Un laboratoire ? Christiania l’est sans aucun doute. Pas tant pour savoir si une société anarchiste est possible – pour nous rien n’est à priori impossible et nous ne pensons pas que tous ceux qui se disent anarchistes souhaitent le même type de société. En l’occurrence, le modèle adopté à Christiania s’apparente plus à l’association des égoïstes envisagée par Stirner qu’à une organisation collectiviste ou communiste libertaire mais parce que cette aventure montre qu’un modèle d’organisation, fut-il le plus libertaire qui soit, n’implique pas en tant que tel, la solution de tous les problèmes. En particulier ceux de la violence et de la subsistance de certaines hiérarchies... Un livre qui incite à la réflexion.