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Anarchisme et changement social
Cahiers Jaurès n° 190 octobre-décembre 2008
L’histoire de la mouvance anarchiste fut longtemps dominée par la grande thèse pionnière de Jean Maitron, mais depuis plusieurs années, un renouvellement des perspectives et de nouveaux travaux ont été entrepris. Cet effort est notamment porté par Gaetano Manfredonia, qui, après plusieurs recherches spécifiques (Luigi Fabbri, la chanson libertaire...) et quelques travaux de synthèse (un Que-sais-je ? dont la réédition est attendue, deux chapitres remarqués de l’Histoire des gauches...), propose de revisiter l’histoire du mouvement anarchiste au XIXe siècle.
L’auteur part d’une interrogation civique, sur la difficulté de penser aujourd’hui le changement social après l’échec des voies révolutionnaires de la tradition léniniste. Il établit une nouvelle typologie fondée sur les pratiques plus que sur les doctrines professées ou l’étude organisationnelle. Il veut montrer la pluralité des pensées de la révolution chez les anarchistes, où l’idée d’insurrection est balancée par des appels à l’autonomie de la classe ouvrière ou des solutions davantage centrées sur l’individu. Il déboucherait ainsi sur une histoire moins isolée de l’anarchie, au contraire reliée à son environnement politique, social et culturel, avec la coexistence de trois grandes voies : insurrectionnalisme, syndicalisme, éducationnisme-réalisateur. Il réfléchit aux liens qui peuvent exister par exemple entre le troisième courant et celui des réformateurs sociaux, ou le premier et le communisme révolutionnaire. C’est évidemment adopter un point de vue radicalement différent de celui de Maitron, mais aussi de la méthode historique traditionnelle. L’auteur s’en explique dans une introduction argumentée où il indique ce que sa démarche doit à la sociologie compréhensive de Weber. Il passe ensuite à une présentation systématique de sa typologie, évitant de replacer les éléments étudiés dans leur contexte, afin de mieux dégager les types idéaux. À l’aide de sa typologie ainsi construite, il reprend l’histoire du mouvement anarchiste, depuis William Godwin et Proudhon jusqu’à Bakounine et Kropotkine.
Le changement de méthode est fécond et permet de mettre en valeur l’importance des préoccupations éducationnistes et réalisatrices au détriment des aspects insurrectionnels de la chronique militante. On comprend l’intérêt de cet exercice de décantation, et/ou de distillation.
Certes, cela n’invalide pas les travaux précédents, plus historiques, mais cela permet de donner à lire un autre « possible », ce qui correspond bien à l’objet de notre discipline. Comme l’anarchie, l’histoire est plurielle. On est un peu surpris que l’auteur se soit arrêté en 1914, lui qui a su obtenir la reconnaissance du courant anarchiste comme autonome et significatif, au sein, ou à côté, des gauches françaises du XXe siècle, avant de le démontrer avec talent... Gageons que ce n’est que partie remise et que le moment venu, dans quelques années, nous sera proposé sur ce modèle une nouvelle visite de l’anarchisme contemporain.
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