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Corrida
A CONTRETEMPS, bulletin de critique bibliographique, n°16, Avril 2004
Ernest Cœurderoy, quarante-huitard frénétique, avait sans doute un défaut majeur : il souffrait de la souffrance des autres. De son exil, l’écorché vif nous livra quelques pages admirables sur la trahison et l’éloignement. Déplacé partout, ignoré de ses semblables, fou d’un amour impossible pour les humains, il s’entêta, avec une belle cons-tance, à la haine : haine de l’oppression, des chefs et des esclaves. Après la Suisse, la Belgique et l’Angleterre, Cœurderoy séjourne en Espagne, où son indignation va trouver à s’exprimer, cette fois, dans la dénonciation d’une coutume locale. Cette Corrida que publie ACL occupe un chapitre de ses Jours d’exil, écrit en 1855. Cœurderoy - « gitano du socialisme » - y manifeste une belle sympathie pour le taureau et une profonde aversion pour ses exécuteurs enluminés. « Matador, bourreau, tueur de bêtes, assassin d’amour, assemblage de muscles, d’os et de sang qu’on revêt de broderies d’argent et d’or ! Je ne te parlerai pas de sensibilité, de cruauté, de l’univers, des rapports des êtres entre eux, des droits de l’homme et de ceux de l’animal, du principe de ton existence et de la sienne. Tu ne sais rien de tout cela ; ton métier est de détruire pour vivre ! » Le reste est à l’avenant, noir de colère et échevelé. En introduction de Corrida, on lira avec profit un texte d’Alain Thévenet - « Ernest Cœurderoy, poète, anarchiste » - qui situe la vie et l’œuvre de l’irascible exilé. En postface, un texte
d’Yves Bonnardel - « Les pieds dans le plat » - nous livre une analyse percutante de la détestation de l’antitoromachique voyageur.
Monica Gruszka
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