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La culture libertaire
LETTRE 8 DE L’ACL, été 1996

GRENOBLE MARS 1996

Je ne veux pas ici faire le bilan du colloque de Grenoble, que je pense cependant « globalement positif », en particulier par les rencontres et les échanges qu’il a permis. Aussi par les contributions, bien sûr, qui ne pourront cependant être complètement appréciées que lors de leur publication, surtout pour certaines d’entre elles particulièrement denses (je pense notamment à celle de John Clark).
J’ai seulement envie de répondre ici à quelques critiques qui nous ont été faites à cette occasion, de la part de certains libertaires. Quant à la collaboration avec l’université, d’abord. Considérer celle-ci comme l’organe principal de transmission du pouvoir me paraît quelque peu anachronique. Aujourd’hui où se développe, chez les officiels, le souci premier de rentabilité et d’efficacité, l’Université me paraît pouvoir rester un lieu où peuvent, avec quelques réserves bien sûr, continuer à être cultivés un souci de connaissance et de réflexion désintéressées et, à ce titre, utilisables, après digestion personnelle par chacun d’entre nous. On peut certes lui reprocher de fonctionner en vase clos, ce que lui reprochent aussi les chefs d’entreprise qui trouvent qu’elle ne fabrique pas assez de cadres opérationnels. Faut-il lui reprocher, parallèlement, de ne pas fabriquer de cadres révolutionnaires, ni « d’armes » directement utilisables par ceux-ci ? Il me semble que cette notion est assez étrangère à la tradition et à la pensée libertaire. Mais, lieu d’échanges et de critique, parmi d’autres, l’université est peut-être susceptible de fournir des outils aux anarchistes. La réflexion d’Alain Pessin déclarant que la participation des libertaires était utile à l’université ne pourrait-elle pas être retournée ? J’ajouterai que la plupart des universitaires apparaissent, aux yeux des technocrates aux mains de qui le pouvoir repose, comme des espèces de dinosaures un peu gênants. Gênants ne serait-ce que parce que leur présence est un obstacle possible à la dictature d’une culture de « masse » , essentiellement télévisuelle et qui vise à l’uniformité, à l’ordre moral et à la pensée unique.
Au reste, à part trois ou quatre exceptions, tous les intervenants universitaires à ce colloque où il n’y avait pas que des universitaires, étaient aussi, ou d’abord, des militants libertaires. Le militant libertaire, professionnellement universitaire, doit-il être considéré comme une espèce dangereuse, qu’on peut autoriser à penser en rond, mais qui doit changer de casquette lorsqu’il sort de son bocal ?
Pendant les débats, quelqu’un est intervenu pour déplorer qu’il y ait d’un côté ceux qui ont la pratique (et qui auraient été absents) et de l’autre ceux qui parlent de cette pratique. Or il y avait à ce moment, derrière la tribune : John Clark, Claire Auzias, Mimmo et moi. Toutes personnes qui n’ont pas à prouver leur implication personnelle dans le mouvement libertaire. On peut regretter que certaines composantes actives de ce mouvement n’aient pas été représentées. Le colloque ne pouvait être exhaustif. Mais peut-être, la prochaine fois, saurons-nous convaincre d’autres copains, proches ou moins proches, de se joindre à nous.
Peut-être n’y avait-il pas non plus assez de temps prévu pour les débats. Cependant, je pense que les véritables débats se poursuivront avec le temps, à partir de la publication des interventions qui suscitera, je l’espère, controverses, rebondissements, idées nouvelles, etc.
Ceci m’amène à enchaîner sur un reproche fait parfois à l’Atelier de création libertaire qui serait un groupe « d’intellectuels ». Outre que, n’appartenant pas au Front national, je ne perçois pas bien pourquoi le qualificatif « d’intellectuel » aurait une connotation injurieuse, j’ai envie de préciser ce qui suit. Actuellement, se retrouvent à l’ACL : un chômeur, un retraité, trois membres de la CNT, un d’Alternative libertaire, un informaticien, un surréaliste. Ce mélange, je le précise, circule entre cinq personnes, microcosme finalement peut-être représentatif du mouvement libertaire en général. Il n’y a pas actuellement, dans ce noyau de cinq personnes, de membre de la F.A., mais il pourrait y en avoir et nous avons d’excellentes relations de collaboration avec des membres et des structures de cette organisation (Publico, Radio libertaire, etc.). Tiens, il n’y a pas non plus d’universitaire...
Tout ça pour dire qu’à l’ ACL, nous nous considérons comme partie intégrante du mouvement libertaire. Si nous publions des livres, organisons des colloques, c’est bien sûr que nous y trouvons du plaisir. Le hasard fait que nous nous retrouvons, tous les cinq, à partager ce plaisir. C’est aussi, et dans le même temps, que nous considérons qu’il s’agit là d’une action militante, au même titre que le syndicalisme, ou l’action politique, par exemple.

Alain Thévenet


Ce fut une belle réussite

Que trois cent personnes, étudiants, professeurs de l’université de Grenoble, militants et libertaires des quatre coins de France, d’Italie, d’Espagne, de Grèce, d’Italie, d’Allemagne, sans compter les divers pays d’où venaient quelques intervenants (USA, Angleterre, Pologne)... se rencontrent autour d’un thème encore à défricher, est un signe qui ne peut pas tromper. Les idées libertaires ne sont pas à classer dans des boîtes d’archives, mais sont présentes partout où l’imaginaire se conjugue avec le désir de vivre d’autres relations humaines et la nécessité de s’engager dans telle ou telle manifestation, pour refuser les injustices et proposer des solutions alternatives.
On ne peut que se réjouir de ce frémissement libertaire, de ce retour des anars, dont on aperçoit des signes à l’intérieur du mouvement mais aussi de l’extérieur. Quant à nous, nous vous présentons cette lettre spécial colloque libertaire, afin de poursuivre des débats dont nous sommes fiers d’être les promoteurs. Certes, pour continuer cette activité qui vise à permettre à la pensée libertaire, et aux libertaires, de poursuivre leur résistance à la pensée unique, il faut rester modeste et lucide, mais il faut aussi parfois se dire : ce fut une belle réussite. Merci à toutes et à tous...

Mimmo


L’anarchie à l’université

Avant même son ouverture, le colloque « La culture libertaire », inscrit dans les lieux et couvert par « l’autorité » universitaire, pouvait provoquer le scepticisme : qu’allait donc faire l’anarchie à l’université ? Ne risquait-elle pas de s’y perdre ? demandait-on.
Pour un universitaire qui, comme moi, ne cesse d’étudier et d’écrire sur l’anarchie depuis au moins quinze ans, l’idée que l’université puisse être pour l’anarchie un lieu de perdition semble incongrue. D’abord parce que l’anarchie ne me semble pas de nature à se perdre, où que ce soit. Ensuite parce que cette idée elle-même me semble au fond contradictoire avec l’esprit anarchiste, dans la mesure où elle contribue à séparer l’université de la vie pour en faire un lieu étranger, distinct, imperméable et inaccessible. On sait que c’est là une démarche de pensée qui, dans tous les domaines, celui de la politique, de la religion, de l’art, concourt à sanctifier un objet, à cesser de le considérer pour ce qu’il est, c’est-à-dire un produit de la vie collective, pour voir en lui quelque chose qui en impose à la vie collective. Dans la réticence anarchiste à l’égard de l’université, il y a le même trajet, concernant cette fois la culture. Rejeter la culture universitaire dans l’inaccessible et l’inappropriable, c’est bien contribuer à lui construire un pouvoir et à le justifier, alors qu’il faudrait bien davantage rendre cette culture à la vie, en détruisant justement les oripeaux de pouvoir dont elle ne manque jamais de se draper.
C’est bien dans cet esprit que la rencontre de Grenoble a été voulue, et c’est ainsi qu’elle a pu se tenir, grâce à la clairvoyance des militants de l’Atelier de création libertaire. Jamais ce colloque ne s’est institué en docte diagnostic autorisé par les titres universitaires de l’un et de l’autre. Je l’ai vécu en tout cas comme un moment de complète liberté de l’esprit, allié à un climat d’amitié fraternelle. Mimmo a à juste titre souligné la capacité d’auto-organisation libertaire, et le co-organisateur, que j’étais avec lui, a en effet observé la prise en charge spontanée de tous, chercheurs et militants, sur le déroulement de la manifestation.
II y avait trop à dire pour qu’en trois jours nous ayons une chance de sortir de ces débats avec une conviction plus claire. Trop de communications et pas assez de temps offert à la libre discussion, sans doute. Mais je pense que nous avons au moins, tous ensemble, centré l’attention sur un problème qui apparaît bien comme un enjeu collectif décisif pour le mouvement libertaire aujourd’hui. Car il ne lui suffit pas de constater que dans les faits et depuis une cinquantaine d’années, des démarches culturelles progressives se substituent aux démarches politiques, encore faut-il élaborer à mesure une critique radicale de cette culture en formation. C’est à ce prix seulement qu’elle pourra être autre chose que ce qui nous reste quand on a perdu les idéologies, pour paraphraser une définition célèbre de la culture. Autre chose, c’est-à-dire une création lucide, une intention libertaire authentique et une aventure nouvelle, et non pas elle-même un oripeau fait des pièces rapportées de ce que nous fûmes et de ce que nous voulons être.
Il me semble que cette lucidité a progressé quelque peu au cours des trois journées de réunion sur la culture libertaire. Nous n’y avons pas ouvert un chantier théorique. Il y fut sans cesse question d’imagination, ce qui est synonyme non pas d’isolement dans une spéculation à la cohérence douteuse, mais bien d’engagement, d’audace et de volonté.
Des projets s’y sont dessinés, et d’autres rencontres suivront. Qu’elles aient eu lieu, qu’ils prennent forme ici ou là ou n’importe où ailleurs, c’est là un problème dénué de toute signification.

Alain Pessin


Un lieu de réflexion et d’échanges

Pas facile d’écrire un récit, trois semaines après Surtout que j’ai pas envie de vous parler du contenu du colloque car ça, vous pourrez le trouver dans la publication des interventions. Ce dont j’ai envie de vous parler, c’est en quoi ce colloque m’a apporté quelque chose.
Le plus important est clairement que ce colloque a permis une libre réflexion sur des thèmes liés à la culture libertaire. Réflexion alimentée par des récits de vécus (Bonaventure, Christiania, l’édition libertaire...) plus ou moins connus. Bien que cela puisse sembler ordinaire, la libre réflexion m’a tant frappé parce qu’elle me manque ailleurs. Trop souvent on se trouve dans un monde de dogmes plus ou moins classiques (analyse économiste, priorité des classes, discours masculin...) ou dans un monde de pratiques peu réfléchies (squats, collectifs militants, revues...). Une réflexion libertaire est quasi absente dans les lieux politiques publics. Bien sûr, on peut s’enrichir des livres et autres écrits mais l’échange vif de réflexions me semble quand même rare. Entendre des discours différents voire opposés à son propre discours, pouvoir en discuter dans un esprit d’apprentissage et de remise en cause, m’apporte une telle dose d’air frais que je ne peux qu’en parler en premier.
Ce colloque me donne un goût de ce que pourrait être un lieu de réflexion et d’échange libertaire. Libertaire également dans sa forme : écoute, ouverture d’esprit, respect mutuel. Loin des engueulades politiques, des violences verbales ou du consensus vide et facile. Exigeant dans son désir d’honnêteté, de qualité et d’autocritique permanente. Bon, je délire. Mais que cette ouverture d’esprit n’implique pas de consensus ! L’essentialisme écolo, la théorisation masculine, le réformisme m’ont profondément gêné dans plusieurs interventions et, quelquefois, je me demandais ce que ces interventions faisaient là. Par contre j’ai été ébloui par les interventions de Roger Dadoun, de Claire Auzias et de Ronald Creagh. Leur qualité, rigueur ou innovation m’ont réellement fait avancer sur mon chemin libertaire. L’étroitesse d’esprit de certaines personnes dans la salle m’a, elle, rappelé à quel point la « mouvance » libertaire était encore dogmatique et renfermée sur elle-même.
Mes critiques ? Un manque réel de rencontres informelles. Absence de moments de socialisation prolongée, par exemple une bouffe entre intervenants et participants. Pas assez de temps de discussion pendant et après les interventions prévues. Le manque de possibilité de non seulement écouter et apprendre mais aussi de réagir et de pousser la réflexion commune. La sous-représentation aussi d’intervenantes, autrement dit, la domination (encore !) de mecs et de discours masculins. Ce qui a fait ressortir la richesse des interventions de Claire Auzias (entre autres par rapport à l’importance de la tradition orale, ressentie) et de Rossella Di Léo (sur le rapport patriarcal entre anarchisme et culture libertaire).
En positif, je rajouterai la gratuité du colloque qui permettait l’accès à tout le monde sans exception. Positif aussi, l’entremêlement du milieu militant sur le terrain (organisés, squatters, syndicalistes, individus isolés...) avec le milieu universitaire, réfléchi mais en recul des pratiques. La possibilité donc, pour des étudiants de rencontrer une pratique libertaire, et pour les militants de sortir de leur enclos idéologique.
En négatif aussi, l’occasion manquée de créer un colloque libertaire qui le soit également dans sa forme. Pas de travail sur la parole (et la communication compréhensible par tous et toutes), sur l’organisation d’un échange des savoirs (horizontal et non vertical), sur le type de savoirs (théorique et ressenti)...

Je saluerai à la fin, l’ouverture de l’organisation du colloque qui était prêt à donner la parole à des militant(e)s de base, à des antispécistes et aux féministes... qui sont souvent exclu(e)s (de façon explicite ou de fait) des débats libertaires. Je ne peux qu’être heureux d’avoir suivi ces débats. Pour les raisons positives ci-dessus, parce qu’elles m’ont permis de rencontrer des gens et de créer des liens avec elles et eux et parce qu’elles m’ont donné envie de continuer sur cette lancée.

Léo


Je voudrais exposer quelques critiques constructives à la suite du colloque de Grenoble sur la Culture libertaire.
Je ne nie pas l’utilité de telles rencontres, au contraire. Elles sont nécessaires pour l’avancée, le renouvellement de la réflexion, et la possibilité d’enrichir les pratiques. Ces rencontres devraient même être plus fréquentes d’autant plus que beaucoup d’anars rejettent ce genre de rencontres parce que jugées trop intellectuelles.
Les critiques que je ferai portent surtout sur le déroulement de ces journées. A mon avis, il y avait trop d’interventions dans une seule journée ce qui, du coup, ne laissait pas assez de place aux débats éventuels.
Pour une autre fois, ce serait bien qu’il y ait plus de choses sur des expériences concrètes pour faire un lien entre théorie et pratique.
Dans le « public » , il y avait des anars d’autres pays, parmi les intervenants aussi, et il aurait été intéressant qu’ils nous parlent de la situation (politique, sociale...) chez eux.
J’ai regretté également que le questionnaire réalisé par Mimmo soit si peu utilisé. Je pensais qu’il serait plutôt le point de départ du colloque et non sa conclusion. Personnellement, j’aurais souhaité en savoir plus à la fois sur les réponses et sur la méthode (combien de questionnaires envoyés, par quels biais...)
Pour finir, deux détails qui ont leur importance, de mon point de vue : les locaux étaient un peu trop petits et j’ai trouvé que beaucoup d’intervenants lisaient leur texte écrit et donc pas prévu pour l’oral.

Anne


Comme promis, voici quelques échos recueillis autour de moi et qui reflètent aussi ce que je pense dans la forme du colloque. Beaucoup de camarades auraient eu des choses à dire dans les débats, mais le manque de temps fait qu’on ne peut atteindre une dynamique qui leur permettrait de prendre la parole.
Autrement dit, on n’arrive jamais à ce moment où on aurait < brisé la glace ». Moi-même, je me suis fait violence pour prendre le micro. Donc nous préférerions davantage d’ateliers plus propices aux échanges, à la prise de parole.
A part ça nous étions ravis de ce mélange hétéroclite de professeurs d’université, de jeunes proches du SCALP si l’on en croit les t-shirts. Le copain berger en Valais (Michel) venait en montagne bourbonnaise. Ça tombait bien, nous avons fait le voyage ensemble.
Si vos pas – ou les pas de votre monture – vous amènent par ici, n’hésitez pas.
Merci encore pour tout ce boulot, le questionnaire...

Ghislain


Ça a été très instructif pour moi, ce regard sur le monde anarchiste et le monde universitaire, avec des moments très forts, déterminés sans doute par ma disponibilité limitée d’écoute plus que par la qualité des interventions, mais malgré tout très forts, grâce aussi aux contacts informels dans la salle, avec SPK, les regards et les sourires échangés, la générosité spontanée pour l’hébergement et au retour, en prolongement étroit avec un anarchisme vivant, moins étriqué que celui des quelques anabaptistes du public. Tout cela était très beau. A la réflexion, et avec du temps, mais il m’en faut pour penser, c’est pourquoi je ne pouvais intervenir en cours de débat, il me semble que pas mal d’approches qui présentent l’anarchie comme une permanente rupture mentale justifient le rôle de ceux qui les font. Plus souvent, les praticiens croient, ils croient en eux-mêmes, en dépit et contre tout, ils ont besoin d’une solide assise de foi. Et c’est cette contradiction entre les deux attitudes dont tu [Mimmol as fait les frais parce qu’elle s’est développée entre la salle et la tribune au cours des heures et toi, tu participes un peu des deux (...). L’incident a le mérite de nous rappeler les réalités humaines.

Michel


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