Un pavé ( ! je n’ai pas fait exprès, mais je garde…) sur Mai 68 à Lyon. Un de plus. Encore et toujours le passé, diront certains. Oui. Sauf que l’on est sur des évènements, des faits souvent ignorés, volontairement ou non. Mai 68, c’était les étudiants. Puis les ouvriers. Mais aussi les « trimards » (à Lyon), les « katangais » à Paris, les « zonards » à Nantes, le « Mouvement révolutionnaire octobre » à Bordeaux, les « loulous » à Grenoble.
Bref, ces oubliés de mai 68, étaient, pour la plupart, des prolos, des SDF pour certains, des travailleurs intermittents qui n’arrivaient pas à se fixer, des jeunes qui faisaient la route. La plupart du temps, des hommes. Bagarreurs. Ne supportant pas l’autorité, les flics, les patrons. Alors, ils sont sortis lors des manifestations, lors des barricades. Ils ont participé aux occupations des facs. Les étudiants, eux, ne savaient pas trop se battre, se défendre. Les ouvriers, pour la plupart, étaient encadrés par les syndicats, qui leur déconseillaient de se mêler aux « éléments incontrôlés », aux anarchistes (drapeau noir à tête de mort pour certains, référence volontaire ou non à Makhno), aux casseurs, dirait-on sans doute maintenant.
Á Lyon, pendant la nuit quasi-insurrectionnelle du 24 mai en centre-ville, le commissaire Lacroix est mort. Écrasé par un camion lancé sur les flics, sans conducteur. Telle a été la première version diffusée par les médias et le pouvoir. Les voyous sont accusés, bien entendu. Ça débouchera sur l’affaire Raton et Munch. Mougin, troisième accusé, est mort dans des circonstances étranges… Raton et Munch seront innocentés. Un long travail de soutien a été fait, mais pas vraiment par les politiques, par les étudiants. Encore moins par les syndicats.
C’est cette histoire que raconte Claire Auzias. Avec des digressions intéressantes sur les trimards anarchistes, les hobos dans l’histoire nord-américaine, les beatniks. Le livre est illustré par de nombreux entretiens d’acteurs de cette époque. Il est fouillé, documenté, grâce aussi à un manuscrit laissé par François Routhier, militante très impliquée dans le mouvement. J’avoue ne pas avoir lu toutes les pages sur l’autopsie du commissaire René Lacroix (il y a eu une confusion avec un homonyme mort d’un accident de la route dans la même nuit, dans la région), sur le procès de Raton et Munch. C’est un peu long, mais cette mémoire méritait d’être écrite.
Jeune lyonnais, je me souviens avoir été frappé par les bombages qui ont alors recouvert la ville. Bravo pour nous avoir restitué cette mémoire, consciencieusement ignorée par beaucoup d’historiens. Le livre « Lyon 68, Deux décennies contestataires », écrit par des universitaires, qui est paru en novembre, consacre seulement deux pages aux Trimards (sur 220), plus quelques lignes autour de la mort du commissaire Lacroix. J’ai souhaité compléter mes informations avec le livre de Claire Auzias. Quelle que soit la position des uns et des autres sur la violence dans une révolution, tous ces acteurs de Mai 68 ont existé, ont combattu l’autoritarisme du pouvoir gaulliste de l’époque.
Le « Lumpenproletariat » est souvent l’oublié des grands évènements révolutionnaires. Merci à l’auteur d’avoir consacré un livre à ces lyonnais considérés par beaucoup comme peu fréquentables. Et de nous rappeler une réalité de Mai 68 souvent cachée sous le tapis par les grandes idéologies dites « révolutionnaires ».
En guise de conclusion, une réflexion :
Philosophie et révolution : deux lignes, page 349 du bouquin :
« Seul le mineur est subversif, pour autant que son devenir minoritaire ne tourne pas au fiasco, c’est-à-dire à la domination. »
http://lignesenstock.blogspot.fr/2018/01/livre-trimards-pegre-et-mauvais-garcons.html