Alexandre Jacob, anarchisme et changement social
Gaetano Manfredonia est docteur en histoire et professeur de sciences économiques et sociales en lycée. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les mouvements anarchiste et ouvrier dont La Chanson anarchiste en France des origines à 1914 (L’Harmattan, 1997) et L’Anarchisme en Europe (collection « Que sais-je ? », PUF, 2001). Tout en proposant une histoire originale et inédite du mouvement anarchiste, Gaetano Manfredonia analyse l’idée de changement social par le prisme d’une nouvelle typologie du monde libertaire, dont Jean Maitron entrevoyait le déclin, pour ne pas dire l’échec, du fait d’une « dispersions des tendances ». Et Manfrédonia, dans Anarchisme et changement social, (Atelier de Création Libertaire, juin 2007) de nous prouver que c’est tout le contraire qui se produit. La multiplicité des initiatives libertaires que l’on peut ranger dans trois tendances aux limites volontairement perméables (insurrectionalisme, syndicalisme et éducationnisme-réalisateur) engendre bien le dynamisme d’un mouvement qui réussit à survivre à toutes ses crises. Et même à se renforcer. Quelle place donner alors à Alexandre Jacob ? Comment situer sa déclaration « Pourquoi j’ai cambriolé » ? L’insurrectionnalisme de ses propos apparaît clairement lorsqu’il conclut sa déclaration par un tonitruant : « anarchiste révolutionnaire, j’ai fait ma révolution, vienne l’anarchie ». Mais la reprise individuelle des illégalistes s’inscrit aussi dans la volonté d’une jouissance logique et immédiate des fruits de la vie spoliés par ceux qui possèdent. « La propriété c’est le vol » écrivait Proudhon. « Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend » affirme le voleur Jacob. Il est vrai que l’épisode des Travailleurs de la Nuit s’inscrit dans le contexte particulier de l’espoir déçu d’une révolution imminente. L’idée d’un Grand Soir s’éloigne de plus en plus à la fin du XIXe siècle cédant le pas à l’entrée des libertaires, à la suite d’Emile Pouget et Fernand Pelloutier, dans les syndicats où il y aurait de la besogne pour les « camaros à la redresse ». Malgré cela, un certain nombre, à l’image de Libertad dans l’anarchie en date du 30 mai 1907, refuse cette voie : « Nous avons vu ce qu’était exactement un syndicat : une association d’individus qui se lèvent en face d’autres hommes afin d’obtenir par la force du groupement des conditions meilleures de vie. Le syndicat peut en cette occasion paraître se dresser en face du patronat. (…) Le syndicat ne se lève pas contre la base même de l’exploitation. Il décide d’en réglementer les conditions ». La déclaration de Jacob, bien qu’antérieure, se situe de toute évidence dans cet individualisme que l’on retrouve dans les propos du créateur des Causeries Populaires. L’éducationnisme-réalisateur, décrit brillamment dans l’ouvrage de Manfredonia, n’est pas absent de la théorie illégaliste de Jacob. C’est notamment le cas lorsque ce dernier affirme : « Le peuple évolue tous les jours. Voyez-vous qu’instruits de ces vérités, conscients de leurs droits, tous les meurt-de-faim, tous les gueux, en un mot toutes vos victimes, s’armant d’une pince monseigneur aillent livrer l’assaut à vos demeures pour reprendre leurs richesses, qu’ils ont créées et que vous avez volées ? Croyez-vous qu’ils en seraient plus malheureux ? J’ai l’idée du contraire ». L’expérience des Travailleurs de la Nuit aurait donc la valeur pédagogique de l’exemple. Mais peut-être Jacob reste-t-il inclassable comme il affirme à Josette Passas le 28 juin 1954 : « Je crois que Lecoin, encore qu’il soit pusillanime en matière de risque judiciaire, publiera la lettre du proc et la commentera avec le texte du papier de Danan. Il ne m’a pas encore répondu. Et Vergine n’est pas venu. De fait, je ne leur suis pas sympa. Je suis trop en dehors de toute école, de toute chapelle. Défense de l’Homme est un excellent périodique libertaire mais, au fond, très austère, un peu genre Revue des deux mondes ». La lettre au procureur de Marseille, qui dénonce les abus des trop perçus dans les greffes de France et de Navarre, ne paraîtra pas dans Défense de l’Homme. Elle est publiée, à titre posthume, par l’entremise de Pierre valentin Berthier dans l’Unique d’Emile Armand au mois de décembre de cette année. Là encore l’anarchiste prouve sa capacité à argumenter, à polémiquer, et démontrer la justesse de ses idéaux. Toutes sa vie révèle finalement qu’il a vécu en anarchie et pour l’anarchie.
Tags: ACL, anarchiste, déclaration, insurrectionalisme, Jacob, Manfredonia, vol
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