Claire, Laplume et Goudron
De Laplume et du Goudron
Il est des histoires que l’on aimerait ne pas voir s’arrêter. Il est encore des histoires qui survivent à notre culture enfantine et manichéenne. Le bien contre le mal. Les cow-boys contre les indiens. Les gendarmes contre les voleurs. Faire l’inversion. Se mettre de l’autre côté du manche. Vous aurez alors une définition à peu près correcte de la justice sociale. Il est enfin des histoires qui semblent si vraies que l’on se plait de croire en leur existence. En 1897, Georges Hyppolite Adrien, dit Darien, nous contait les édifiantes tribulations de Georges Randall, incarné bien des années plus tard par Jean-Paul Belmondo (la rupture d’anévrisme à son chien chien) dans le film de Louis Malle. Le film est chiant. Le livre est sublime. Et Darien de nous promener de Paris à Londres, en passant par la Belgique. Et le voleur de nous introduire subrepticement, à pas feutré, sans faire de bruit dans les belles demeure de France et de Navarre, et bien au-delà car l’anarchiste et le voleur ne connaissent pas, ne reconnaissent pas l’imbécile et hypocrite principe de frontière. Et nous, par empathie, de suivre notre compagnon, notre ami, notre frère en bateau, en train, à pied et quelques fois en prison. Vols, cambrioles, fric-frac, barbotages à la clé. Au trousseau de clés et à la pince monseigneur. Les garants de l’ordre bourgeois n’y peuvent alors rien changer. Les palais d’injustices, assistés de leurs fidèles maisons poulagas ont beau traquer les artisans de l’effraction, l’armée hirsute et menaçante, joyeuse et revancharde, désordonnée et individualiste de ces Travailleurs de la Nuit débarque pour de vrai. Pini et Duval ont précédé Randall, accompagné des frères Schouppe et de Parmeggiani. Alexandre Jacob, quant il n’est pas l’honorable antiquaire Escande, a fait du vol un art majeur, politique et social. Bonnot et ses tragiques ont fait cracher les banques au bassinet. Cinquante ans après Darien, Claire Auzias rend hommage à tous ces entrepreneurs de démolition publique agissant en secret et en privé. Avec « les aventures extraordinaires de Laplume et Goudron » (édition Libertaire, juin2007, 10€) nous retrouvons le monde inversé de notre enfance, celui où les voleurs font la nique à la flicaille. Un road-movie illégaliste, une histoire sans fin où n’importe quel évènement de la vie quotidienne est sujet à de délictueuses et savoureuses digressions. Laplume et Goudrons livrent leurs souvenirs. Une fiction si vraie, si réelle qu’on y croirait. Qu’on s’y croirait. Et l’attentat à la propriété redevient une réponse à la misère à l’heure où les tentes fleurissent sur les quais de Seine, au bord du périph ou ailleurs. Autour d’un ballon de gros rouge qui tâche (Un Gaillac Marcel s’il te plait !), d’une ballade entre copains, jeunes et moins jeunes, nos deux acrates, activistes de la maraude, nous content leur traque au larfeuille des parasites que sont bourgeois, rentiers et notaires. La chasse est ouverte ! Il y a du Jacob en eux. Et sus aux coffiots. A lire. Parce que le roman est plaisant d’abord, bien écrit, bien senti, drôle et mêlant tous les argots. A lire ensuite parce que la première de couverture avec le dessin de Charmag donne envie simplement de le lire. Deux cambrioleurs, Laplume et Goudron, s’affairent à siroter leur bourre-pif autour d’un coffre-fort. La tapisserie de l’appartement, à rayures jaune et bleues pâles, est-elle une allusion à la livrée d’infamie des prisonniers de guerre sociale que portaient les fagots de Guyane et de Nouvelles Calédonie ? A lire enfin parce que, loin de nous balancer une quelconque morale, obséquieuse et si peu bandante, Claire Auzias répond à la question de la possibilité d’écrire une histoire contemporaine, récente, actuelle de l’illégalisme. Produire, consommer et, depuis la nuit des temps, voler. Il y eut Barrabas. Il y eut le monde interlope de la Cour des Miracles. Il y eut Mandrin, Cartouche et tant d’autres. Autant de re-distributeurs des fruits volés de la torture du travail. Tripalium en latin dans le texte. Puis vint l’anarchie. Eriger la pratique en théorie, n’en déplaisent aux sectateurs encartés de l’acte politique dans la norme et la légalité. Et c’est au nom de cette légalité que le voleur, honnête homme comme les autres, finit par tâter de la paille humide du cachot. Hier comme aujourd’hui le principe de sécurité prévaut. C’est pourquoi Alexandre Jacob ne dit rien ou pas grand-chose de ses exploits et de ceux de ses comparses à l’historien marxiste Jean Maitron en 1948 : « d’où discrétion » écrit l’ancien voleur, ancien bagnard devenu marchand forain dans la Berry. Ne pas compromettre et se compromettre pour pérenniser l’acte et le Travail (ici au sens argotique du terme). Le temps avance et la fiction peut alors s’estomper. Darien est mort, Pini a trépassé, Duval et consort bouffent les pissenlits par la racine. Jacob s’ennuie à perpette au cimetière de Reuilly. Mais ceux-là ne craignent plus rien. Une réhabilitation peut-être ? Pas de prescription pour les vivants. Cinquante ans après Georges Randall, Laplume et Goudron continuent le travail de sape de l’édifice bourgeois. Ca fait du bien même si c’est pour de rire et pour de faux. Ca fait du bien pour rêver à plus d’égalité. Et ce n’est pas utopique.
Saint Dié, le 19 décembre 2007
Tags: anarchiste, Auzias, Goudron, Laplume, vol
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