Histoire de SES yeux
Une grande majorité des témoignages, articles, souvenirs, etc…, que nous avons pu récolter sur Alexandre Jacob, mettent en avant l’attrait physique du personnage. L’image de Jacob, amplement déformée, remodelée, recomposée depuis sa mort en 1954, découle de cette vive émotion qu’a suscitée le procès d’Amiens du 8 au 22 mars 1905. La vulgarisation des thèses lombrosiennes sur le criminel-né trouve alors dans la presse un exemple des plus probants et la description physique du « chef » des Travailleurs de la Nuit doit ainsi renforcer le portrait du criminel atavique. Mais le charisme d’Alexandre Jacob ne fait guère de doute non plus. Son regard intrigue, dérange, pénètre, séduit, bien après sa condamnation et son envoi au bagne. L’homme, lui-même, était conscient de cette particularité parfois gênante, parfois très heureuse. Florilège
Le Petit Parisien, 10 mars 1905
Nous avons aujourd’hui à examiner minutieusement le chef de cette redoutable association. Il a une tête étrange, diabolique au milieu de laquelle percent deux points lumineux, deux yeux d’une vivacité extraordinaire. Jacob est laid, affreux et cependant l’intelligence donne à son visage une expression curieuse.
L’Aurore, 10 mars 1905
Jacob est un type vraiment étrange, de petite taille, souple et agile comme un marin. Son visage, aujourd’hui amaigri, reflète à la fois la haine et la douceur. Quand il s’adresse au président ou au procureur général, ses muscles se tendent et ses deux yeux, deux grands yeux noirs profondément enfoncés dans l’orbite, ont des éclairs farouches. Au contraire, quand il lance une plaisanterie aux témoins ou lorsqu’il s’adresse à son dévoué défenseur, Me Justal, il se fait empreint de bonté. C’est une figure énigmatique et troublante, inspirant tour à tour les sentiments les plus contradictoires.«
Le radical, 11 mars 1905
Le principal accusé a aujourd’hui 26 ans. De petite taille, l’allure souple, la physionomie mobile. Jacob est une figure certes curieuse. (…) Ses grands yeux noirs enfoncés sous l’arcade sourcilière éclairent et soulignent ces divers jeux de physionomie.
Le Figaro, 14 mars 1905
Mais où l’on retrouve vraiment en lui, non le cabot de cour d’assises, mais le voleur de nuit, c’est quand, oubliant la galerie et son rôle, il écoute un témoin à mi-voix. Alors, il tend au-dessus de la barre son cou et tout son buste ; il colle la main à son oreille et plate où tortille sa fine moustache blonde ; ses grands yeux à la pupille noire et luisante dans le globe bleuté, des yeux superbes, des yeux d’Arabes, brillent de tout leur éclat. Il sort ses mâchoires de loup, il plisse son front haut et bombé, il rapproche ses arcades sourcilières ou passe sa main dans ses cheveux désordonnés. Il a vraiment alors des attitudes de bête à l’affût. On retrouve dans l’énergie de son attitude, dans le feu de son regard, le chef de bande. On cesse de rire et l’on s’inquiète.
(lettre d’Alexandre Jacob à Josette Passas, 29 juin 1954)
C’était en 1900 à Paris. Je travaillais alors en intermède avec un Napolitain acrobate chez Médrano. Travail très spécial. Quartiers riches, hôtels particuliers. Pendant l’heure du dîner, le soir, lui, avec aisance, comme un singe grimpait aux fenêtres entrouvertes au premier étage et, en 4 à 5 minutes, butinait dans les vide-poches, regardait mon signal et, leste, redescendait agrippé aux saillis du mur. La récolte était toujours copieuse, très payante. Non loin de (Madrid), il y a, il y a sans doute encore, un petit hôtel de deux étages dont les fenêtres du rez-de-chaussée n’étaient pas grillagées. Je dis à l’Italien : « Laisse-moi faire celui-là ». D’accord. J’entre par la fenêtre, il est 7h, 7h30. J’allume la lampe électrique et, comme j’ouvre l’armoire à glace, le reflet d’icelle me projette une femme. Je me suis fait comme un rat. Je m’avance vers elle en lui projetant le faisceau du rayon lumineux en la regardant fixement. Et comme je suis auprès d’elle, figée comme extatique, elle me tombe dans les bras, sans un cri d’alerte, à peine avec un souffle et me dit : « Chéri ». dans ces moments là, on n’a pas le tricotin. Je ne pensai absolument pas à ça. Mais comme elle me serrait comme dans un étau, elle … me viola. Elle me demanda pourquoi j’étais là, je lui dis la vérité. « Fouille » me répond-elle. Je manque d’aplomb, ne prend rien. Je regarde le signal dans la rue. La voie libre, je m’échappe. Mon copain à qui je raconte l’alerte me traite d’idiot et, le lendemain, sans rien en dire, retourne au même hôtel, seul. Le surlendemain, je lis sur le journal Le Journal qu’une tentative de vol aurait été commise à l’hôtel de la comtesse Tamara d’Erlanger. Le voleur, poursuivi par les agents, n’avait pu être pris. C’est la comtesse elle-même qui avait donné l’alarme. L’Italien n’avait pas les yeux qu’il fallait.
Passons encore d’autres cas moins spectaculaires. Prenons celui de ma comparution aux assises. Tout le monde a été stupéfait de l’attitude du président. C’est moi qui présidais. Le procureur général est venu lui-même jusqu’au banc des accusés, pris mes mains dans les siennes (l’innocent) et obtempéra à ma demande de faire distribuer un supplément de nourriture (fromage et saucisson) parce que je disais que notre défense était en état d’infériorité parce que nous étions à jeun. Jamais on n’avait vu cela et on ne le vit plus. Il suffit qu’il y ait réceptivité, ambiance favorable. Or, aux assises, j’étais gonflé à bloc bien que physiquement déficient par trente mois de détention.
Aux îles, à Royale, le commandant (Lagarade) disait au Dr Rousseau : « Ce Jacob, avec son regard, me fait peur. C’est Lucifer ». Rousseau en rigolait avec moi.
A ma libération, ma pauvre mère aimait à me présenter à ses amis. Pour lui faire plaisir, j’acceptais mais quelle corvée. Je ne pouvais pourtant pas mettre mes yeux dans ma poche. Au début, en entrant, je baissais bien un peu les volets mais, dès qu’ils s’ouvraient, je tapais dans l’œil d’une femme et cela sans la moindre intention de ma part. C’est bien simple, dans le même mois, ma mère reçut trois demandes en mariage. Et les autres, vexées de mon indifférence, me traitaient de satire. La maman était fière, contente du succès féminin de son fils. Mais moi, j’en étais excédé. A l’atelier, même jeu avec bon nombre d’ouvrières. Dans le métro, j’aurais fait plus de dix touches tous les jours si telles avaient été mes intentions, mon désir.
Sur le voyage, aux marché, j’avais beau surveillé le jeu des paupières, je remarquai toujours des défaillances dès que le ressort des paupières jouait et que le venin fusait. Il serait trop long de te narrer les avatars que ce magnétisme a suscités. Mais cela est peu de chose au regard de ce qu’il advint lorsque j’avais des relations sexuelles avec une femme. En sorte que, en plus de ce magnétisme de malheur, très souvent je ne pouvais pas me séparer de ma partenaire.
Souvenirs de Jo Attia (dans Jean Marcilly, Vie et mort d’un caïd, Fayard, 1977)
Ce type, malgré son âge, j’étais fasciné par ses yeux, des quinquets de môme, éblouissants de richesses, tellement brillants que … Là, le « grand » Jo Attia fit une pose rêveuse puis reprit dans un sourire émerveillé : Que … tu vois, rien qu’à les regarder, tu te laisser aller au vol à l’étalage.
Lettre de Rolland Hénault, 3 mai 2001
Mme Bougnoux, personne très instruite et très intelligente, que j’ai connue, et qui fut institutrice à Reuilly : « Ce qui me frappait, c’était son regard, on ne peut pas le décrire, il y avait quelque chose d’insaisissable, de très profond, de très mystérieux, il dégageait une puissance inhabituelle ».
Entretien avec Madeleine BRISELANCE Montreuil, le 19 février 2002
Je devais avoir au moins entre douze et quatorze ans parce que je faisais les marchés avec mes parents. Il m’intriguait avec son regard tout à fait exceptionnel. Il n’y a qu’un homme qui m’a rappelé cette force dans le visage et dans le regard surtout. C’est un artiste de cinéma qui s’appelle Charles Denner. Evidemment celui-ci n’avait pas la stature mais il avait le même regard gênant, tellement profond. Avec Jacob, on était presque gêné par un regard pareil. Je l’admirais à cause de cette tête extraordinaire qu’il avait, ses cheveux tout blancs, son regard incroyable et son accent.
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