Jacob dans l’impasse
DE LA REPRISE NON-INDIVIDUELLE
ET A DES FINS COMMERCIALES D’UN MEC BIEN
Samedi 23 octobre 2004. Reuilly. 15 km au Sud de Vierzon. Un trou du cul du monde parmi tant d’autre. 17h15. Claude Nerrand, président de l’office du tourisme local, et Patrick Bertrand, adjoint au maire d’une commune sans étiquette et pourtant renommée pour son gros rouge qui tache, dévoilent une plaque de rue. Assistance peu nombreuse. L’impasse porte désormais le nom de Marius Jacob.
La mode est à la commémoration. Argument facile et publicitaire. Il y a 60 balais, les tommies nous libéraient des sicaires de tonton Adolf. Les étals des marchands du temple de la culture regorgent de bouquins sur l’événement. Il y 50 piges « le dernier des grands voleurs anarchistes » (dixit le Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier Français de Jean Maitron) se donnait la mort par injection de morphine et par inhalation de gaz carbonique dans sa maison du hameau de Bois Saint Denis à Reuilly, petit village berrychon. Anecdote humainement ordinaire. Ne pas crever physiquement démoli. Mais, si vous passez par là-bas, on ne sait jamais, prenez le temps de pousser la porte de la boulangerie du centre et d’admirer deux superbes pâtisseries répondant (à la demande de l’ancien colonel Nerrand) aux doux nom de « Marius Jacob » et d’« Arsène Lupin ». Véridique ! Il faut entretenir le mythe. Pourquoi pas ? Cela fait venir le péquin moyen. Le Val de Loire a ses châteaux, le Berry ses sorcières et Reuilly Arsène Lupin par l’entremise d’Alexandre Marius Jacob. C’est là où le bât blesse.
Systématiquement, le nom de l’illégaliste anarchiste est accolé à celui de gentleman cambrioleur. 22 mars 1905 : la cour d’assises de la Somme condamne Alexandre Jacob aux travaux forcés à perpétuité pour association de malfaiteurs, vols (il en avoue 156 lors de l’instruction), tentative de meurtre, meurtre, etc. Juillet 1905 : Messieurs Leblanc et Laffitte sont heureux de vous annoncer la naissance de leur petit dernier dans les colonnes du magazine Je Sais Tout. Arsène Lupin a depuis intégré le panthéon des héros littéraires français.
Méconnaître le réel pour mieux valoriser l’imaginaire, la fiction. Il n’est guère de papiers dans les torchons régionaux et nationaux qui dérogent à ce principe. Autom-ne 2004 : sortie du film « Arsène Lupin » avec Romain Duris et Kristin Scott Thomas. Ici Paris, le 25 octobre, consacre deux pages à « L’incroyable histoire du vrai gentleman cambrioleur ». Pour le Berry Républicain du 7 novembre, « Arsène Lupin termina sa vie en Berry ». Et le remplissage fait vendre. Même dans les revues de vulgarisation historique. Flash Back. Le n°127 du mensuel L’Histoire ,en novembre 1989, se penche sur quelques lignes sur « Alexandre Jacob, gentleman cambrioleur ». Plus récemment, la revue d’histoire populaire Gavroche, dans son numéro de septembre 2004, par l’entremise de M.François Roux, évoque « Marius Jacob, le révolté à vie ». Mais l’article est surtitré : « Un modèle pour Arsène Lupin ».
Vulgariser n’est pas inventer ni même fabriquer. Or, la discipline historique a ceci d’exigeant qu’elle doit se baser sur des sources irréfutables. Sans quoi, le révisionnisme guette. Quelles sont-elles ici ? Trois biographies dont une seule peut être sérieusement consi-dérée comme acceptable. Encore faut-il préciser qu’Alain Sergent, auteur en 1950 d’ « Un anarchiste de la Belle Epoque », tient son propos de la bouche même du vieux forain Marius Jacob (le choix du prénom s’explique ; Alexandre revenait trop cher à faire imprimer sur le barnum du marchand itinérant). Mais il est aussi le premier à verser dans l’épique, c’est à dire à faire du théoricien illégaliste un aventurier des plus extraordinaires. Au mois d’août 1964, il écrit même un article pour le mensuel Historia (n°213) : « L’homme qui servit de modèle à Arsène Lupin ». De fait, les aspects libertaires s’édulcorent et le rapprochement avec le gentleman cambrioleur peut s’établir sans problème.
Que l’on prouve la présence de Maurice Leblanc à Amiens – ne serait-ce qu’une seule journée – du 8 au 22 mars 1905 et là effectivement on pourra éventuellement affirmer le lien Jacob/Lupin. Dans le cas contraire, on nage dans une espèce de processus de « mythification » (excusez le néologisme) qui ne peut que nuire à la portée politique de la geste jacobienne.
Car, à Amiens, Alexandre Jacob est passé de la propagande par le vol à la propagande par la parole : « le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend » affirme-t-il dans sa célèbre déclaration « Pourquoi j’ai cambriolé ? » (Germinal 18 mars 1905).
Certes, à Amiens, nous pouvons objecter la présence du magazine Gil Blas et l’exis-tence de l’article de Georges Pioch dans Le Libertaire, article qui prend ouvertement la défense du « bandit d’Abbeville » et des Travailleurs de la Nuit. Leblanc a participé à Gil Blas et, dans cette feuille érotico-libertaire parisienne , il rencontre régulièrement l’anarchiste Pioch. Cela ne fait en rien de Jacob l’inspirateur de Leblanc.
Le contexte de la « Belle Epoque » est nettement plus propice à clarifier la genèse du redresseur de tort au tempérament philanthropique. L’historien Jean-Marc Berlière indique dans un de ses ouvrages sur l’histoire de la police que le XIXe siècle finissant vit dans la psychose du crime, sur la peur généralisée de l’insécurité. En d’autres temps, un célèbre pré-sentateur TV aurait dit « La France a peur« . Peur des Apaches de Paris, peur des bandes agissant en province. Sarkosy aurait-il des relents de Clémenceau ?. Les Brigades du Tigre sont créées pour remettre la France sur les voies de l’ordre. Mais l’imaginaire collectif se prend aussi de sympathie lorsque le criminel lui ressemble et, qui plus est, lorsqu’il s’attaque à des victimes qui, en temps ordinaire, sont les profiteurs sociaux de l’ordre capitaliste. Nous sommes en pleine révolution industrielle et la paupérisation galopante laisse sur le carreau des masses de plus en plus prolétarisées.
En ce sens, les actes de Jacob avant 1905 s’inscrivent dans un contexte social bien particulier. En ce sens, la naissance de Lupin n’est pas due au hasard ni même à la seule imagination de Leblanc.
Les premières aventures de Lupin paraissent, c’est vrai, quelques mois après le procès d’Amiens mais, à la demande de Pierre Lafitte (son éditeur) M.Leblanc crée un personnage français (c’est à dire un peu gouailleur, un peu roublard, un peu ….) à l’image du Sherlock Holmes de Conan Doyle. Le même détective so british se retrouve d’ailleurs travesti sous la plume de Leblanc et devient l’ennemi juré Herlock Sholmes. Rajoutons enfin notre voix à celles de la petite fille de Leblanc et de son biographe J.Derrouard, à savoir que l’idée du ban-dit au grand coeur, un peu « anar » à ses débuts était dans l’air au début du XXe siècle. Nous avons vu dans quel cadre. Un peu anar à ses débuts ? Cela mérite un petit développement car, avec le temps, Lupin – qui évolue toujours en milieu bourgeois (cf les premières lignes de la première aventure de Lupin) – devient germanophobe et flic ( 813, l’agence Barnett et Cie, Victor de la Brigade Mondaine, etc. ). La comparaison avec Jacob devient de la sorte des plus incongrues et des plus désobligeantes pour l’anarchiste. Et inopérante.
Alors qu’il fallait mettre en avant l’anarchiste, la multitude de papiers ayant Jacob pour sujet ont opté pour le héros, pour l’amalgame avec le personnage de fiction!!! Nom de rien ! Que c’est dommageable à la propagande et à l’histoire du mouvement. Car avec Jacob, on tient un personnage clé, central. Pourquoi se référer aux ouvrages de M.M. Caruchet et Thomas, biographes de Jacob après Alain Sergent mais également romanciers, journalistes et affabulateurs alors que seuls les volumes publiés aux éditions L’Insomniaque peuvent réellement aider à comprendre Jacob ? Et pour cause ! Il s’agit de ses écrits ! Affabulateurs, dis-je ? Le premier imagine une entrevue entre Jacob et Durutti en 1937 alors que l’anar espagnol est mort en 1936 !!! Encore plus courtelinesque est la très hypothétique amitié liant l’anarchiste voleur à Léon Bronstein (dit Trotski), exilé à Paris ; les deux hommes allant même disserter poésie de gaingois sur la tombe de Charles Baudelaire. Affabulateurs dis-je ? Le second se prévaut de l’utilisation du dossier d’instruction ayant servi au procès d’Amiens pour édifier son lecteur sur les travailleurs de la nuit, savoir quelques 20000 pièces et un acte d’accusation d’environ 160 pages. Or ledit dossier est à ce jour introuvable. Ni aux archives de la Somme où il devrait être, ni aux Nationales et encore moins aux archives contemporaines de Fontainebleau. Alors, Monsieur Thomas indique l’ avoir eu d’une manière rocambolesque : un dossier perdu, un ami juge d’instruction, un dossier retrouvé dans une grotte perdue au fin fond d’Yvetot et ayant servi à planquer les archives de la Justice française à l’arrivée des blindés allemands. Soit ! Yvetot ! En Normandie ! Une grotte ! Et pourquoi pas « L’aiguille creuse » tant qu’on y est puisque Yvetot c’est aussi un des lieux d’Arsène Lupin. Comme quoi, si on voulait se mordre la queue on ne pourrait mieux s’y prendre. Une petite dernière prouve qu’aucun des deux cités précédemment n’a sérieusement éructé sur Alexandre jacob. Il suffit par exemple de lire la réédition des « Vies de Jacob » (Mazarine 1998) pour y trouver moult détails sujets à caution. Il y est écrit par exemple que Jules Clarenson finit par s’évader du bagne et que l’on perd dès lors sa trace. Jules Clarenson est un des Travailleurs de la nuit. Il participe avec Jacob et Honoré Bonnefoy au fameux coup de la rue Quincampoix (6 octobre 1901). Relégué, il s’évade effec-tivement du bagne et rejoint la France où il est arrêté de nouveau. Retour à la case Guyane et, le jour de son arrivée là bas, Clarenson meurt. Là, on peut affirmer que l’on perd définitivement sa trace !!!! Le fait est vérifiable aux archives de l’outre-mer à Aix en Provence.
Le problème des sources pour qui s’intéresse un tant soi peu à Jacob n’est pas insoluble et, face à la pléthore, de celles-ci il n’y a pas lieu de trancher le nœud gordien. Encore moins d’inventer des faits que l’on retrouve dans la multitude d’articles sur Alexandre Jacob. J’en veux pour exemple les passages sur le bagne ou encore ceux sur la guerre d’Espagne. Là Jacob n’est plus Lupin mais on se met à penser à Chéri-Bibi ou à Pancho Villa ! Et pourquoi pas Vidocq, premier flic de France en son temps !!!! Le temps est aux commémorations.
Cinquante ans après sa mort, la maison d’édition libertaire L’Insomniaque réédite les « Ecrits » de celui qui ne fut ni le gentleman cambrioleur d’un quelconque romancier bourgeois et normand, ni un énième Robin des Bois ni même un autre Papillon tentant la Belle dix-sept fois pour fuir l’enfer guyanais. Cela n’a rien d’une commémoration. Cela est un hom-mage à l’homme et à la sympathique reproductibilité de ses actes. Car, entre la marmite à renversement d’Emile Henry ou de Ravachol et les browning de Bonnot, le père Jacob offre une autre voie, hélas refoulée aux poubelles de l’histoire. Alexandre Jacob est à dix lieues de ces innombrables clichés qui ont fait la fortune de quelques ouvrages à prétentions historiques et qui dissimulent mal une authentique figure de l’anarchisme français, de l’individualisme anarchiste. Théoricien de l’illégalisme, Alexandre Jacob a su mettre en pratique ses convictions. Durant toute sa vie. La rééditions des « Ecrits » tombe à point nommé. Relisons Jacob et sortons-le de l’impasse !!!!
Paru dans Le Coquelicot n°44
Tags: anarchiste, Bernard Thomas, gâteau, impasse, Insomniaque, Jacob, Leblanc, Lupin, mythe, Nerrand, Pioch, presse, Reuilly, vol, William Caruchet
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