L’HUMANITE 1905


L\'Humanité Une du 18 avril 1904Lorsque paraît le premier numéro de L’Humanité, le 18 avril 1904, grâce notamment aux subsides de la bourgeoisie dreyfusarde, Jean Jaurès entend bien faire de ce « journal quotidien socialiste » un instrument d’unification des gauches françaises une feuille d’information défendant ouvertement la laïcité et la classe ouvrière. Malgré des débuts prometteurs, l’année 1905 s’annonce sombre pour le journal. Son tirage ne cesse de chuter. Si nous pouvons y retrouver la plume d’Octave Mirbeau, les sympathies libertaires s’y font pourtant rares. Jean JaurèsForce est alors de constater que L’Humanité, rendant compte des débats du procès d’Amiens, ne mentionne jamais l’anarchisme d’Alexandre Jacob et de ses compagnons … sauf peut-être, et encore juste à la fin,  pour signaler et dénoncer le scandale de la condamnation du bijoutier et écrivain Jacques Sautarel. Il convient alors de souligner un traitement finalement peu original de l’affaire des « bandits d’Abbeville ». A l’image des grandes feuilles nationales, L’Humanité résume l’histoire de Jacob et de Travailleurs de la Nuit à l’énoncé édifiant d’un fait divers plus extraordinaire que les autres. Mais il est vrai que dans un climat d’insécurité savamment entretenu, l’illégalisme, en tant que théorie politique, ne pouvait être qu’occulté.

 

8 mars 1905   Devant le jury de la Somme

LES « BANDITS D’ABBEVILLE »

Vingt six accusés aux assises – Une bande redoutable – Assassins et voleurs – Les crimes qu’ils ont commis – Un procès formidable. Les jurés de la Somme qui vont siéger ce matin à la Cour d’assises à Amiens, auront devant eux une bande de vingt trois accusés que la justice a longuement poursuivis avant de les tenir en son pouvoir. Improprement on a donné aux prévenus le nom de « bandits d’Abbeville » car les crimes qui leur sont reprochés ont eu pour théâtre les villes de toutes les régions. Mais leur dernier exploit accompli en des circonstances dramatiques se termina par l’arrestation de l’un des malfaiteurs les plus redoutables qui fut pris aux environs d’Abbeville. Et c’est ce qui valut à tous leurs complices cette désignation inexacte.

Au banc des prévenus. En Cour d’assises comparaissent aujourd’hui : Alexandre Marius Jacob, dit Escande, dit Georges ; Léon Pélissard, dit Edme ; Félix Bour, dit Herselin ; Lazarine Roux, dite Rose, dite Béziat ; Marie Berthou, veuve Jacob, mère de Jacob-Escande ; Léon Ferré, dit François, dit Mercier ; Ecélie Bononi, femme Ferré, dite Angèle ; Alcide Ader, Honoré Bonnefoy et Jules Clarenson, François Brunus, Georges Apport, Joseph Ferrand, dit Dunin ; Noël Blondel, François Vaillant, Emile Augain, Louis Chalus, Bonaventure Sautarel, Eugène Charles, Marius Baudy, Emile Limonier ; Louise Tissandier, dite Alice Vincent ; Auguste Westerman.

Trois autres accusés sont en fuite : Georges Vambelle, dit Lombardi, Henry et Antoine Deschamps.

Comment ils opéraient. Pour accomplir les 150 vols dont ils sont accusés, tous les prévenus avaient de faux noms, de faux états civils, des cartes d’électeurs qu’ils fabriquaient pour dépister la police. Ils avaient des procédés très ingénieux, un système de correspondance cryptographique dont le chiffre était le mot « La Portugaise ». Leur méthode se pratiquait ainsi : deux éclaireurs s’en allaient par le chemin de fer, de ville en ville, chercher les maisons dont les maîtres étaient absents et qui fussent faciles à dévaliser – même en voyage. Quand ils avaient trouvé le cambriolage à faire, ils envoyaient une dépêche dont le texte était indifférent. Mais, signé « Georges », le télégramme signifiait : « Venez » ; signé d’un tout autre nom, il voulait dire : « Rien à faire ». Avertis, les affiliés partaient de manière à arriver dans la ville la nuit tombée. Voyageurs corrects, ils descendaient à la gare tranquillement, avec à la main leurs valises, qui ne contenaient encore que leur outillage de voleurs, complet, perfectionné, nickelé : scies, vilebrequins, ciseaux, rossignols et pinces-monseigneur. Directement, ils allaient à la maison indiquée. Les éclaireurs avaient pris les précautions classiques pour vérifier que personne n’était revenu depuis leur inspection : ils avaient mis aux portes « comme témoins » de ces petits scellés de fil que brise le moindre effort et dont l’intégrité atteste à coup sûr que la porte n’a point été ouverte. Dans la maison déserte, ils forçaient portes, tiroirs et coffrets, emportaient l’or, l’argent, les valeurs, les bibelots, puis regagnaient Paris ou une autre ville où ils allaient opérer. Le butin se négociait et se partageait à Paris. Maisons particulières, villas, hôtels, églises reçurent leurs visites. C’est ainsi qu’ils commirent des vols à Reims, au Mans, à rennes, à Béziers, à Narbonne. On retrouve leurs traces partout : à Bordeaux, à Marseille, à Toulouse, à Lyon.

L’arrestation

C’est à Abbeville que devait ses terminer leur carrière. Leur chef, Marius Jacob, accompagné de Pélissard et de Bour, étaient occupés à dévaliser la maison d’une dame Tilloloy dans la nuit du 23 avril 1903. Ils furent surpris par un commerçant, M.Leleu – un cafetier qu’un mal de dents empêchait de dormir. M.Leleu donna l’éveil à la police. Deux agents, Auguier et Pruvost, se mirent à la poursuite des trois cambrioleurs qui, ayant aperçu le cafetier à la recherche de la police, avaient pris la fuite. Après une chasse à l’homme des plus mouvementées, Jacob, Pélissard et Bour furent rejoints et arrêtés à la gare de Pont Rémy où ils se disposaient à prendre le train pour Calais. Les agents les invitèrent à entrer dans le bureau du chef de gare. Mais à peine quelques paroles avaient-elles été échangées que deux des malfaiteurs sortaient des revolvers de leur poche. Auguier et Pruvost se jetèrent avec résolution sur eux, des employés de la gare accouraient pour les aider, mais les bandits, aussitôt, firent feu et la panique s’empara des employés, les deux agents restèrent seuls aux prises avec leurs agresseurs. L’agent Pruvost, atteint de deux balles, l’une en plein cœur, l’autre à la cuisse, expirait au bout de quelques secondes. Le brigadier Auguier essuyait, lui aussi, un coup de feu en pleine poitrine mais le projectile glissait sur une côte et la blessure ne fut pas mortelle. Les trois bandits à la faveur du tumulte purent s’enfuir et gagnèrent les champs. Suivant de près leurs agents, arrivaient d’Abbeville, le procureur de la République Steinlen, le juge d’instruction Hatté et un brigadier de gendarmerie. Ils étaient en automobile et mis par les employés de la gare sur la trace des malfaiteurs, ils se lancèrent à leur poursuite. Jacob qui s’était perdu dans un marais fut rejoint le premier ; puis quelques heures après Pélissard et Bour étaient surpris par les gendarmes à Picquigny. Pélissard fut arrêté mais Bour parvint à gagner Paris où les agents l’attendaient à la gare. L’enquête pour retrouver et saisir les complices des trois malfaiteurs fut très longue. Elle se termina par l’arrestation de vingt autres individus faisant partie de la bande, ceux qui comparaissent aujourd’hui en Cour d’assises.

Le ministère public qui aura à requérir contre eux sera le procureur général d’Amiens M.Régnault. Les débats s’annoncent comme devant être très long car il faudra entendre plus de deux cents témoins venus de toutes les régions de France. Des mesures d’ordre très sévères ont été prises tant aux abords de la prison qu’autour du palais de justice. On craint, en effet, ou des évasions ou des incidents tumultueux au dehors de la salle d’audiences.

9 mars 1905 : LES « BANDITS D’ABBEVILLE »

A la Cour d’assises – On manque de jurés – Longs débats prévus – L’acte d’accusation.

Abbeville, 8 mars. Les débats consacrés à l’affaire dite des cambrioleurs d’Abbeville ont commencé ce matin. Ils dureront plus de quinze jours. De sévères mesures de précautions avaient été prises pour le transfert des accusés de la prison au Palais de Justice. La maison d’arrêt étant distante de la Cour d’assises d’environ deux kilomètres, les cambrioleurs, enchaînés, ont été placés dans trois voitures cellulaires dont deux envoyés de Paris par le service pénitentiaire. Des gendarmes à cheval, renforcés par des chasseurs du 30e régiment les escortaient. Une foule de curieux stationnait sur le parcours. La salle d’assises n’a jamais eu en une seule affaire une telle affluence d’accusés. Les cambrioleurs occupent six bancs.

L’audience L’audience est ouverte à midi un quart. Une quinzaine d’avocat, dont Mes Justal, Lagasse, André hesse, Silvy, Fabiani, Lewoulman et Philippe du bureau de Paris, sont assis au banc de la défense. Le public est extrêmement nombreux et le Palais de Justice est occupé militairement. M. le conseiller Wehekind préside. Le siège du ministère public est occupé par M. le procureur général Régnault, assisté de son substitut M. Pennelier. C’est Me Rossignol, huissier, qui remplit les fonctions d’audiencier dans cette affaire où les fausses clés ont joué un si grand rôle. Cent cinquante six témoins ont été cités par l’accusation. La composition du jury est des plus laborieuses : c’est à qui des jurés invoquera une cause d’exemption, chacun cherchant à se soustraire à l’obligation de siéger dans une affaire qui occupera une quinzaine d’audiences. Finalement la cour ayant excusé un trop grand nombre de jurés, le président se voit dans l’obligation, afin d’atteindre le nombre de trente jurés obligatoires pour procéder au tirage au sort définitif, d’extraire de la liste supplémentaire une douzaine de nouveaux noms. Ordre est donné à la gendarmerie d’aller chercher ces jurés à domicile et de les amener au Palais. L’audience, suspendue à midi 50, est reprise à deux heures.

Le chapeau de Jacob Les accusés sont alors introduits. On sait que parmi eux il y a quatre femmes. Elles sont assez élégamment vêtues. L’interrogatoire d’identité de Jacob, le principal prévenu, a été marqué d’un incident. Comme le président lui demandait de se lever, Jacob refusa.

–         Découvrez-vous alors, reprit M. le conseiller Wehekind.

–         Vous êtes bien couverts vous , répondit l’accusé, qui garda son chapeau sur la tête.

–         Avez-vous des jurés à récuser, poursuivit le président ?

–         Je les récuse tous, répondit Jacob, puisqu’ils sont nos ennemis.

L’interrogatoire de forme terminé, le greffier a commencé la lecture de l’acte d’accusation, lecture qui, commencée à dix heures trois quart, n’était pas encore terminée à six heures au moment où l’audience fut levée. Elle sera reprise demain à midi.

10 mars 1905 : LES « BANDITS D’ABBEVILLE »

Un accusé qui aime rire – Belle série d’exploits. Amiens, 9 mars. Au début de l’audience ouverte à midi un quart, le greffier reprend lecture de l’acte d’accusation, lecture interrompue hier au soir, puis il est procédé à l’appel des témoins. Le président commence ensuite l’interrogatoire de Jacob et lui rappelle ses condamnations antérieures. Il l’informe qu’il va s’occuper d’un vol commis en 1899 à Poilhes (Hérault).

–         Pardon, interrompt l’accusé d’un ton goguenard, au milieu des rires de la salle, je voudrais savoir auparavant si tous les jurés savent lire et écrire.

La victime du vol, M.Couderc, fait sa déposition dont Jacob ne conteste pas les termes. Il demande simplement à dire deux mots au jury. Et d’un ton emphatique, campé entre deux gendarmes, devant le banc des jurés, Jacob déclare que les actes qu’on lui reproche sont la conséquence de nos institutions sociales. Nous avons vu défiler à la barre des témoins, pendant l’interrogatoire de Jacob, la plupart des victimes de ses nombreux cambriolages. Le dangereux malfaiteur opéra tour à tour à Béziers, à Narbonne, commit entre temps une fructueuse escroquerie à Marseille, se remit à cambrioler à Cette, puis à Rouen, à Reims, à Laval, à Rennes, au Mans, à Amiens, à Beauvais, à Cambrai, à Liège. Dans cette dernière ville, ce fut M.Delyeur, vice-président du tribunal de première instance que Jacob cambriola en compagnie de son ami Ferrand. Il explique que par ce vol un nommé Sauvenay fut injustement condamné à trois ans de prison. Nous trouvons ensuite Jacob et Ferrand à Bourges, Nevers, Saint Martin du Mont, à Paris, où ils dévalisent M.Bourdin, un bijoutier de la rue Quincampoix auquel ils emportent pour 130000 francs en or, en bijoux et en titres. Les malfaiteurs s’étaient introduits chez le commerçants en perçant un trou dans le plafond au-dessus du lit. Quelques jours avant, Bonnefoy avait loué l’étage au-dessus ; il avait versé 277 francs, montant du premier terme et s’était rendu chez un tapissier pour louer des meubles. En ce qui concerne ce vol, Bonnefoy proteste de son innocence. Il s’est borné, dit-il, à louer l’appartement mais il ignorait ce que devait en faire Jacob. Jacob reconnaît tout avec des mots aimables ou agressifs à l’adresse des témoins qui viennent à la barre raconter leurs mésaventures. L’audience est levée à cinq heure et demie et renvoyée à demain matin.

 

11 mars 1905 : LES « BANDITS D’ABBEVILLE »

Amiens, 10 mars. Le président annonce au début de l’audience qu’il va s’occuper de certains vols commis par Ferrand et par un autre des prévenus, Brunus, poursuivi comme receleur de la bande. Il sera aussi question, ajoute le président, des maîtresses de Jacob.

« Dirait-on que j’ai un sérail ! » s’écrie l’accusé.

Puis, toujours le chapeau sur la tête, il répond aux observations qui lui sont faites qu’il a bien le droit de se défendre. Un officier en garnison à Dijon, le capitaine Balaud, dépose d’un vol de bijoux dont il fut victime à Dijon en 1901. Le produit du cambriolage fut saisi chez Brunus qui proteste de son innocence. Impuissant à imposer le silence à l’extraordinaire accusé qu’est Jacob, le président cherche à se rattraper avec les avocats. Comme le défenseur de Brunus, Me de Wailly, interrompant l’interrogatoire, demandait respectueusement à poser une question, le magistrat lui répondit : « Non. Je ne me permets rien. Taisez-vous. Nous sommes en province ici et pas à Paris. » Nous apprenons ensuite que Ferrand a commis deux vols de plus à Amiens et à Chartres. Lorsque le président en a fini avec le meilleur élève de Jacob, les gendarmes amènent Baudy au pied de la Cour, et, pour varier, on reparle encore vols et cambriolages. Un conseiller de la Cour de Rouen, M.Deuve, a eu une de ses maisons qu’il n’habitait pas dévalisée par la bande. Les débats se poursuivent ainsi, longs et monotones.

12 mars 1905 : LES « BANDITS D’ABBEVILLE »

Les exploits de la bande – L’esprit de Jacob – Eglises cambriolées. On s’occupe aujourd’hui de Ferré, un des membres importants de la bande et des meilleurs collaborateurs de Jacob. Interrogé, l’accusé nie les nombreux vols qui lui sont reprochés. Jacob, lui, continue à tout avouer. C’est le type de l’accusé narquois qui cause le désespoir du président. L’auditoire rit à chacune de ses réponses comme aux meilleures répliques d’un vaudeville à la mode. Un habitant d’Amiens, dont la maison fut cambriolée, constate devant le jury que des pièces d’argenterie qui avaient été laissées sur la table de la salle à manger n’ont pas été emportées par les cambrioleurs.

–         C’était du ruolz, s’écrie Jacob, du simple ruolz ; c’est pour ça que je n’en ai pas voulu !

La salle se tord littéralement. Le président aborde ensuite les vols commis dans les églises de Compiègne et de Brumetz (Aisne). A ce propos, le curé de cette dernière localité, dont l’église fut dévalisée, raconte qu’il a eu l’accusé Bour comme enfant de cœur.Quand le prêtre a terminé sa déposition, Jacob lui donne sa bénédiction. Bour, comme Ferré, nie tout. Le contre-amiral Aubry de la Noë fait ensuite le récit du vol dont il fut victime à Cherbourg. Puis c’est une course à travers la France dont toutes les parties furent fructueusement visitées par la bande. Les débats seront repris lundi à midi.

14 mars 1905 : LES « BANDITS D’ABBEVILLE »

La tapisserie de la cathédrale de Tours – Le vol de Vernon – A Angers ou en prison.

Amiens, 13 mars. Parmi les vols sur lesquels les accusés s’expliquent aujourd’hui, le plus important est celui des fameuses tapisseries, La Nativité, Les Trois Mages, qui ornaient la cathédrale de Tours. Il fut commis par Jacob, Pélisssard et Bour qui pénétrèrent dans la basilique en se sevrant d’une échelle prise dans un chantier voisin. Ils coupèrent le grillage d’un vitrail qu’il brisèrent à la base. Les tapisseries volées par la bande datent du XVIIe siècle et sont d’une très grande valeur. Elles avaient été transportées au domicile de Jacob, et sa mère et sa maîtresse pour les rendre méconnaissables les avaient découpées. Un morceau des tapisserie servit pendant quelques temps de tenture dans la chambre à coucher de Jacob mais il avait disparu lorsque M.Hamard perquisitionna chez lui. Nous voici ensuite transportés à Vernon où deux membres de la bande opérèrent un fructueux cambriolage. Ils mirent la main notamment sur cent soixante obligations représentant une valeur de 250000 francs. A l’occasion d’un vol commis à Angers, l’ancien commissaire de police d’Angers a arrêté deux des cambrioleurs de la bande, Ferré et Augain qui étaient armés. Ferré était nu pieds, ses chaussettes étaient dans une sacoche contenant des outils de cambriolage. Me Justal fait remarquer au jury qu’Augain a été reconnu par six personnes comme s’étant trouvé avant le 8 août à Angers alors qu’il n’est sorti que ce jour-là de la prison de la Santé. C’est un fait qui doit montrer combien les témoins peuvent facilement se tromper quand ils déclarent reconnaître des accusés. Après l’audition des deux témoins, l’audience est levée.

15 mars 1905 : LES « BANDITS D’ABBEVILLE »

Orageux débats – Le président et la défense – Les avocats quittent la salle – Protestation au garde des sceaux – Hostilité du barreau d’Amiens. Amiens, 14 mars. Un très vif incident et qui défraiera longtemps les conversations au Palais s’est produit dès le début de l’audience ce matin entre les avocats des accusés et le président. Comme celui-ci ordonnait à Lazarine Roux, l’une des femmes compromises dans l’affaire, de se lever, elle répondit :

–         Je suis fatiguée

–         Je vous dit de vous lever, réitéra le président.

Me Lagasse demanda alors plus d’égards pour ses clients.

Incident Il y avait évidemment de l’orage dans l’air, mais on pensait que, malgré tout, il n’éclaterait pas lorsque l’un des avocats, Me Fabiani, demanda à poser une question à celui des témoins qui déposait. Le président – Je vous donnerai la parole, maître, car vous êtes toujours poli … vous. A ce vous, Me Lagasse se lève. Il déclare qu’au cours de sa carrière, il n’a jamais vu des débats d’assises ainsi menés et il se plaint avec véhémence du manque d’égards du président pour la défense. Le président réplique qu’il accorde aux gens les égards qu’ils méritent. La phrase, malheureuse, achève de tout brouiller.

Je quitte la salle, s’écrie Me Lagasse.

Et il s’en va suivi de tous ses confrères pendant que le président lui souhaite ironiquement « un bon voyage ! ». Les accusés, eux, sont debout à leurs bancs au milieu d’un infernal tohu-bohu. Le procureur général prend des réquisitions, demande et obtient l’expulsion de dix des prévenus.Le public, très hostile aux avocats parisiens, accueille leur manifestation par des huées. Le président déclare la séance suspendue. Que va-t-il se passer ? Les avocats consentiront-ils à revenir à la barre ? Le bâtonnier de l’Ordre d’Amiens fait prévenir ses confrères locaux de passer leur robe et leur demande de se présenter à l’audience pour servir de défenseurs d’office à Jacob et à ses co-prévenus. Enfin, Me Lagasse et ses confrères réapparaissent dans la salle. Ils viennent d’envoyer au garde des sceaux une protestation collective dans laquelle ils racontent les faits et relèvent la façon d’agir du président à leur égard.

Entre confrères Il y a déjà quelques jours qu’ils se plaignent d’avoir rencontré, auprès de leurs confrères d’Amiens et des magistrats de la cour, une véritable hostilité. Un journal local rapporte qu’on les accuse d’avoir prélevé leurs honoraires sur la cagnotte du vol ; on prétend que, dans toutes les visites qu’ils auraient faites à leur arrivée à Amiens, ils auraient trouvé porte close. De là, leur irritation. Il y a, au fond de ce débat, une question de boutique et une question de gros sous. Ce n’est pas pour le relever aux yeux des esprits impartiaux.

Les débats L’incident d’hier, qui s’est prolongé assez longtemps, a singulièrement écourté les débats. Nous avons entendu M.Hamardet les inspecteurs de la Sûreté parisienne qui ont fourni des détails sur la bande. Puis, on s’est occupé d’un vol commis à Abbeville par Bour, Jacob et Pélissard, et dont les péripéties furent les plus dramatiques. Poursuivis par deux agents, les trois cambrioleurs firent usage de leurs armes. Un coup de revolver tua l’un des poursuivants, pendant que l’autre tombait grièvement blessé d’un coup de poignard. L’accusation prétend que la balle qui tua provenait du revolver de Bour.

16 mars 1905 : LES « BANDITS D’ABBEVILLE »

Les derniers témoins – Deux réquisitoires. Amiens, 15 mars. On entend, ce matin, les derniers témoins. Parmi eux, M.Gastine-Renette explique comment il arriva à conclure que la balle qui tua l’agent Pruvost, dans les circonstances que nous avons rapportées hier, provenait du revolver de Bour. La parole est ensuite donnée au procureur général pour son réquisitoire sobre et bref, spécialement dressé contre Jacob, Bour et Pélissard. Le ministère public réclame contre le dangereux trio et contre toute la bande une condamnation sans merci. Dans un second réquisitoire, M.Pennelier, substitut du procureur général, s’occupe d’abord du seul vol commis à Paris, celui de la rue Quincampoix, commis au préjudice d’un bijoutier, M.Bourdin, vol dont nous avons parlé en suivant, au cours des audiences, les exploits de Jacob et des ses complices. Il aborde ensuite la réalité de l’entente entre tous les accusés. M.Pennelier terminera son réquisitoire à l’audience de demain matin.

17 mars 1905 : LES « BANDITS D’ABBEVILLE »

Fin du second réquisitoire – Les premières plaidoiries. M.Pennelier a achevé son réquisitoire hier ; Me Justal a présenté, avec chaleur, la défense de Jacob. Il demande aux jurés les circonstances atténuantes en faveur de son client qui, dit-il, n’a pas tué et qui ne peut être condamné à mort. Me Cattoire, du barreau d’Amiens, qui s’est chargé des intérêts de Bour, s’est efforcé de montrer que la preuve matérielle n’était pas faite que l’accusé se soit servi de son arme à Pont Rémy. Après lui, Me Pecquet a pris la parole. Son client Pélissard a ssisté au drame de Pont Rémy mais n’y a pas pris part. Son rôle fut des plus effacé dans l’association. Il n’a commis que quelques vols et mérite l’indulgence du jury. Sur la demande du défenseur de Bonnefoy, l’audience est renvoyée à aujourd’hui.

18 mars 1905 : LES « BANDITS D’ABBEVILLE »

Amiens, 17 mars. Les plaidoiries continuent. Mes Roux, Lagasse, Charles Philippe et Fabiani ont successivement présenté la défense de Bonnefoy, Sautarel, Lazarine Roux et Ferré. Me Lagasse a plaidé l’acquittement de Sautarel. Ses collègues ont sollicité du jury les circonstances atténuantes en faveurs de leurs clients.

19 mars 1905 : LES « BANDITS D’ABBEVILLE »

Amiens, 18 mars. Cinq plaidoiries au cours de l’audience d’hier. Me Silvy a demandé l’acquittement de la femme Ferré et Me Lafont celui d’Ader. Me Bergouhnioux a, en ce qui concerne Clarenson, plaidé l’irresponsabilité. C’est encore l’acquittement de Léontine Tissandier que réclame Me Bompard. Après lui, Me Girard discute les charges qui pèsent sur Baudy et plaide pour Blondel les circonstances atténuantes.

21 mars 1905 : LES « BANDITS D’ABBEVILLE »

Amiens, 20 mars. Les plaidoiries touchent à leur fin. Les avocats discutent les charges qui pèsent sur leurs clients. Ils demandent tous l’acquittement sauf Me Caumartin qui réclame pour Ferrand, le lieutenant de Jacob, les circonstances atténuantes. L’audience se termine par la plaidoirie de Me Justal pour la mère de Jacob, dans laquelle l’accusation voit une des receleuse de la bande. Demain, le verdict après la dernière plaidoirie.

22 mars 1905 : LES « BANDITS D’ABBEVILLE »

Fin des plaidoiries – 676 questions posées au jury. Amiens, 21 mars. Me André Hesse a terminé aujourd’hui la série des plaidoiries en présentant la défense de Limonier. Le président a ensuite demandé aux accusés s’ils avaient quelques chose à ajouter pour leur défense. Bonnefoy proteste alors de son innocence. Son vœu le plus cher est d’être rendu à la société pour continuer à travailler et élever ses enfants. Ferrand déclare que Gabrielle Damiens, trompée par lui, a porté de fausses accusations contre Baudy, Limonier et Sautarel. Le président lit au jury les 676 questions auxquelles il a à répondre. L’audience est renvoyée demain à dix heures pour le verdict.

 

23 mars 1905 : LES « BANDITS D’ABBEVILLE »

Le verdict Amiens, 22 mars. Le jury est entré dans la salle des délibération à dix heures trois quarts ce matin et il y a passé la journée entière. Il avait à répondre à 676 questions. Enfin, à huit heures quarante cinq, il a rapporté son verdict. Jacob, Bour, Ferré, Roux (Lazarine), la veuve Jacob, la femme Ferré, Brunus, Blondel, Vailland, Baudy et Charles bénéficient des circonstances atténuantes. L’accusation de participation à une association de malfaiteurs est retenue à l’encontre de Jacob, Pélissard, Bour, Ferré, Brunus, Vailland, Ferrand et Baudy. Le verdict est négatif touchant la question d’incendie concernant Ferré, affirmatif pour le meurtre et les tentatives de meurtres à Bour et à Jacob, mais avec circonstances atténuantes. Le verdict est négatif pour Ader, Apport, Augain, Chalus, Westermann, Limonier et Tissandier Léontine. La Cour prononce l’acquittement de ces dernier et se retire pour délibérer. La Cour rend son arrêt à onze heures : elle condamne Jacob et Bour aux travaux forcés à perpétuité ; Pélissard et Bonnefoy à 8 ans, Ferrand à 20 ans, Sautarel à 5 ans, et Clarenson à 5 ans de travaux forcés ; Lazarine Roux à 5 ans de réclusion, Ferré à 10 ans, Brunus à 5 ans, Blondel à 5 ans, Vaillant à 10 ans, Charles à 5 ans, Baudy à 10 ans de la même peine ; la veuve Jacob et la femme Ferré à 5 ans de prison. La session est close.

24 mars 1905 : LES « BANDITS D’ABBEVILLE »

Le cas de Jacques Sautarel (De notre correspondant particulier) Amiens, 23 mars. Les journaux d’Abbeville apprécient très sévèrement le verdict rendu hier dans l’affaire des cambrioleurs d’Abbevillecontre Jacques Sautarel reconnu coupable sans circonstances atténuantes et condamné à cinq ans de travaux forcés. Aucune charge sérieuse n’a pu être relevée contre lui, le juge d’instruction avait conclu à un non-lieu et seule la chambre des mises en accusation l’avait renvoyé devant les assises. On estime en général ici qu’il a été condamné pour ses opinions anarchistes et la presse modérée elle-même se fait l’écho de ces bruits. Le comité de la Ligue des Droits de l’Homme, réuni d’urgence, a décidé de suivre l’affaire. On craint une erreur judiciaire.

Tags: , , , , , , ,

1 étoile2 étoiles3 étoiles4 étoiles5 étoiles (2 votes, moyenne: 5,00 sur 5)
Loading...

Imprimer cet article Imprimer cet article

Envoyer par mail Envoyer par mail


Laisser un commentaire

  • Pour rester connecté

    Entrez votre adresse email

  • Étiquettes

  • Archives

  • Menus


  • Alexandre Jacob, l'honnête cambrioleur