ILLEGALISME (Encyclopédie anarchiste) M. Pierrot


logo livre anarchiste (Le vol). La propagande pour l’illégalisme et le vol peut avoir quelque influence sur de jeunes écervelés. Elle expose ceux qui se laisseraient aller à ce moyen, commode en apparence, de « se débrouiller » à gâcher lamentablement toute leur exis­tence. Même à ce point de vue personnel, au point de vue purement égoïste de se tirer d’affaire, 1e moyen ne vaut rien. Nous l’avons vu, il y a une douzaine d’an­nées. Sauf exception rarissime, il ne donne aucun résul­tat. Le métier de joueur ne vaut pas grand chose. Celui de voleur est bien pire, car aucun enjeu ne vaut la perte de la liberté.

Un bourgeois vivra de ses rentes, c’est-à-dire en para­site. Mais un pauvre diable d’individualiste qui ne veut pas se prostituer dans le travail salarié, comment fera-t-il ? Il sera forcé de vivre d’expédients, c’est-à-dire que lui aussi vivra en parasite… J’ai entendu souvent dis­cuter sur la légitimité ou non. de la reprise individuelle, sur l’utilité de certains gestes. Or, il y a un critérium très commode et que je n’ai jamais vu énoncer claire­ment. Pour juger si un homme vit d’une façon sympa­thique, il suffit de savoir s’il vit ou non en parasite : que ce soit un rentier, comme un bourgeois, ou que ce soit un simple estampeur, un escroc, un souteneur, etc. Tout être qui vit en parasite ne peut avoir notre sym­pathie. Il faut que chacun travaille selon ses forces. Les enfants, les vieillards, les malades, les convales­cents, etc sont dispensés d’un travail productif. Ce qui froisse notre sentiment de justice, c’est l’existence du parasitisme social. C’est contre ce parasitisme que nous nous élevons ; ce n’est donc pas en ajoutant un para­sitisme à un autre qu’on créera une nouvelle morale.

Notre morale, celle que nous opposons à la morale du parasitisme, est celle du travail . Bien entendu, il .s’agit de travail productif, je veux dire de travail utile au point de vue social et non au point de vue du profit individuel. C’est ainsi qu’il ne suffit pas de travailler, il faut encore se rendre compte de la destination du travail. Un ouvrier qui fabrique des canons, un maçon qui participe à la construction d’une prison, un gardien de cette même prison, font du travail nuisible. Les tra­vailleurs utiles sont exploités, c’est vrai, mais notre libération à tous et la possibilité d’une nouvelle morale sont justement dans l’effort des travailleurs contre cette exploitation. Il faut que le travail utile, le travail néces­saire (dont les humains ne peuvent s’affranchir, puisque notre vie en dépend) il faut que ce travail ne soit plus exploité par une classe parasite.

Le vol reste un moyen précaire et temporaire d’échap­per à la faim et à la mort — il faut bien vivre — et, dans ce cas, la morale chrétienne absout le vol. A plus forte raison nous, anarchistes, n’avons pas contre les voleurs la répulsion que professent les honnêtes gens.

Nous savons, d’ailleurs, que la vie de ces honnêtes gens est fondée sur le vol et le parasitisme. La seule diffé­rence, c’est que le vol des bourgeois est légal. Un voleur nous semble donc tout aussi « honorable » qu’un finan­cier, par exemple. Mais quant à faire du vol (illégal) un système, ce serait reconnaître le parasitisme ce serait élever à la dignité d’une morale de révolte un moyen individuel de se tirer d’affaire, sans que le prin­cipe de propriété en souffre la moindre atteinte… Le vol ne s’attaque pas à  la cause de la propriété : il ne s’atta­que pas aux conditions du travail. Le vol s’en prend à la propriété, à la richesse, une fois constituées, ou du moins à une infime partie de cette richesse. Mais il ne s’oppose pas à la naissance, au développement et à la reproduction de cette richesse, au contraire. Les pertes subies à la suite d’un vol ne font que pousser le patron à pressurer davantage le travail de ses ouvriers. Le voleur professionnel n’a même pas intérêt à anéantir la richesse bourgeoise : il en vit, à peu près comme le larbin de grande maison vit sur le coulage de l’office… Les voleurs n’ont jamais eu une action sociale. Ce n’est pas non plus en prenant l’habitude de faire du tort à autrui, quel qu’il soit, qu’on devient révolutionnaire….

Une société humaine, quelle qu’elle soit, ne peut vivre que par le travail, chacun travaillant à son métier, cha­cun. solidaire et dépendant du travail d’autrui. Une société ne peut pas être fondée sur le vol. Comment vivrait-elle ? Le vol ne produit rien. Les richesses pro­duites par le travail attirent l’appétit des fainéants et des voleurs. Dans toute société il y a des voleurs légaux, des parasites. Nous cherchons à nous en débar­rasser. Est-ce pour admettre d’autres parasites, les illé­gaux ?

Sous prétexte que la société est mal faite, quelques voleurs se posent en champions des opprimés ; ils se vantent de récupérer les richesses mal acquises (reprise individuelle). Mais ils ne changent rien à l’ordre social existant. Leur activité (si j’ose dire) ne supprime pas les causes du parasitisme ; au contraire, ils en profi­tent… Le vol entre au compte des profits et pertes dans toute entreprise capitaliste, mais, en définitive, c’est aux dépens des travailleurs…

Les illégalistes ne peuvent pas non plus se vanter de travailler au progrès moral : la duperie ne peut engen­drer que la méfiance. Ils n’ont pas non plus à se parer d’une auréole héroïque. Pour vivre, pour réussir (tem­porairement) ils cherchent naturellement le moindre risque. Ils n’ont pas l’ambition de cambrioler Roths­child, c’est impossible ; donc ils cambrioleront les chambres de bonnes, au 6e, ils refileront de la fausse monnaie à de pauvres ménagères, ils abuseront de la confiance naïve de leurs propres camarades. Je n’invente rien. L’expérience du passé est là. — M.  PIERROT.

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