Le cimetière de Reuilly

Quoi de plus banal qu’un cimetière à la sortie d’un village, enserrant entre ses quatre murs ses indigènes morts pour la patrie ou morts pour rien ? A Reuilly pourtant, le boulevard des allongés constitue l’attraction touristique principale. C’est là que repose le célèbre aventurier, peut-être Arsène Lupin, devenu récemment prince des voleurs  pour la presse locale. Concession à perpétuité où viendrait se recueillir tous les ans, à la même date, une étrange et mystérieuse dame en noir, amante éplorée. Personne ne nous a dit si cela se produisait les soirs de pleine lune. L’anecdote, devenue depuis rumeur, elle-même transformée en légende, est véhiculée par Maurice Pillet en 1987 dans les colonnes de La Nouvelle République du Centre Ouest. Concluant son ouvrage à caractère biographique paru en 1993, William Caruchet affirme que « cette inconnue c’est Jo » (p.324), la dernière compagne d’Alexandre Jacob. L’anecdote fait aujourd’hui sourire Josette Duc-Passas dont les goûts vestimentaires la porte plus vers des tons chauds et des couleurs vives. Mais les mythes, aussi falsificateurs qu’ils puissent être, ont la vie dure.

De l’image du héros romantique à l’archétype du bandit au grand cœur, il n’y a qu’un pas que la logique de la rumeur n’hésite pas à nous faire franchir. Alea jacta est. Rectifier le tir, quitte à tomber dans un autre travers. La voix du tourisme local se plait à préciser, quand on lui demande de nous narrer Marius, les écarts pédestres du vieux marchand forain devant la gendarmerie locale à chaque fois qu’il descendait au bourg, depuis sa maison du Bois Saint Denis. Ne surtout pas en faire un héros, que la morale réprouverait. Voir à ce propos le récent article du Berry Magazine que nous avons mis en ligne. Bref, et comme nous le faisait remarquer il y a peu notre correspondant local, aucun des autres sites (son église romane, sa commanderie, sa boite échangiste, etc…) et personnages remarquables (Yves du Manoir et Paul Surtel) n’atteignent l’importance prise par Alexandre Jacob. De là, les fréquentes allées et venues constatées sur sa tombe. Pour un peu, on finirait par se croire au Père Lachaise avec les hordes perdues de touristes fanatiques des Doors et de leur charismatique chanteur Jim Morisson. Heureusement, le cimetière de Reuilly est nettement plus petit que son homologue parisien.

Pas très loin du centre-ville. Facile d’accès. Au début des années quatre-vingt de l’autre siècle, une pancarte des Amis de Reuilly et de ses Environs indiquait à l’entrée du dit cimetière la direction à suivre pour trouver la « tombe d’Arsène Lupin ». Cette pancarte disparaît peu de temps après sa mise en place. Claude Nerrand nous a dit avoir été accusé un temps de l’acte terroriste dont nous tairons l’identité de son auteur réel. Le fait serait insignifiant s’il ne mettait à jour d’abord l’imposture lupinienne faite à l’ancien illégaliste et révélait ensuite les bienfaits touristiques de cette démarche. La pancarte fut rapidement remplacée par une autre, fléchant la « tombe de Marius Jacob ».  Mais la demeure initiale et éternelle du bagnard revenu de l’enfer guyanais n’a pas résisté au temps, c’est-à-dire aux assauts du gel à la fin des années quatre-vingt-dix. Le quidam ne pourra donc mirer aujourd’hui ce buste de femme sans visage orné d’un décor floral. Il découvrira une tombe parmi les plus communes qui soit, agrémentée d’une plaque commémorative, élaborée en 2007 et rendant hommage à « Marius Jacob, peut-être Arsène Lupin ». Les mythes ont la vie dure … surtout s’ils sont savamment entretenus.

Si fatigués de la mortuaire et non moins touristique ballade, vous décidez de vous sustenter quelque peu afin de reprendre des forces avant le tour des châteaux de la Loire ou le circuit Sorcellerie et magie dans le Berry d’autrefois, passez donc prendre une de ces deux douceurs sucrées vendues localement à la boulangerie Le Prieuré, sise au centre. Elles répondent aux doux noms de Marius et d’Arsène Lupin.

Les mythes ont vraiment la vie dure.

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Cet article de JMD a été publié le jeudi 22 mai 2008 à 6:36 et est classé dans Les produits dérivés, Reuilly : Le pays où il ne se passe rien. Vous pouvez en suivre les commentaires par le biais du flux RSS 2.0. Vous pouvez laisser un commentaire, ou faire un trackback depuis votre propre site.