Pélissard : un taulard chansonnier
En attendant leur procès, les compagnons d’Alexandre Jacob ne restent pas inactifs. Marius Baudy écrit ses mémoires, livret d’une vingtaine de pages dans lequel il cherche à se disculper. Jacob organise sa stratégie en vue de sa comparution devant le tribunal bourgeois. C’est à Orléans qu’il rédige les Souvenirs d’un révolté, qui relatent son arrestation à Airaisnes. Léon Pélissard, quant à lui, s’affaire à la mise au point d’une déclaration politique et, comme Baudy, d’un volume de mémoires. Celui-ci est aujourd’hui disparu, fort probablement détourné par son avocat, Me Pecquet du barreau d’Amiens, qui a également subtilisé quelques-unes des chansons composées par l’anarchiste. Nous savons que Pélissard en a notamment écrit une sur la Commune de Paris. La Diane du prolétaire, Conseils à un pègre et la Bistouille ont toutefois réussi à être publiées par le journal libertaire amiénois Germinal pour les deux premières et par la presse nationale pour la dernière. Il est vrai qu’un voleur taquinant la muse a de quoi interpeller une opinion publique friande de faits divers. Nous retrouvons alors chez Pélissard nombre des thèmes étudiés par Gaetano Manfredonia dans son livre sur la chanson anarchiste en France. Si, après les lois scélérates, celle-ci se fait moins violente et vindicative, Pélissard se gausse des effets de la censure et de la répression dans la mesure où il sait à priori le verdict qui l’attend le 22 mars 1905. De là les appels au vol et les espoirs de voir crever (au sens propre) le monde bourgeois au nom du droit à l’existence. La Diane du Prolétaire et les Conseils à un pègre ont été mises en musique par Daniel Denécheau à l’occasion de la réédition des Ecrits par l’Insomniaque en 2004. La Bistouille, sur l’air de Viens Poupoule, n’a jamais été chantée. Elle se situe plus dans la tradition de la chanson comique de cabaret mais elle se moque surtout des Picards, que l’alcool aurait abrutis et rendus dociles et serviles. « Se croire honnête parce qu’on est esclave » écrivait également Alexandre Jacob.
La Diane du prométaire
La diane du prolétaire
Depuis que le vieux temps et la belle nature
Ont enfanté le monde et notre humanité ;
Depuis que le soleil fait naître la verdure,
Prolo tu n’as jamais connu la liberté !
Les siècles aux pas lourds, apesenti par l’âge
Ont passé sur le seuil de ton triste réduit
Mais toujours ils ont vu dans leur pèlerinage
Les prolos affamés dans le soleil qui luit.
Ne sortiras-tu point de cette léthargie
Où tu restes courbés sous le fardeau des lois ?
Ne dresserais-tu point un trône à l’anarchie,
Ecrasant à jamais la race des bourgeois ?
Cette race de loups, qui t’impose et t’opprime,
Exerce sur les tiens ses sales passions ;
S’abreuve de ton sang, se vautre dans le crime,
Asservit tes enfants, fusille tes garçons.
Plus rien ne t’appartient dans le grand héritage
Du banquet de la vie, hélas ! pauvre exilé.
L’existence pour toi n’est qu’un cruel outrage
Et la plainte soupire en ton souffle exhalé.
O fils de l’astre d’or qui te chauffe et t’éclaire,
Sache qu’il luit pour toi ce globe radieux.
Apprends qu’à tous les pas que tu fais sur la terre
Tu marches sur ton bien, le bien de tous les gueux.
Assouvis en ce jour la vengeance et la haine
Qui depuis si longtemps envahissent ton coeur
Que ta puissante main, prête pour la bataille
Porte partout la mort aux rangs des oppresseurs !
Frappe ! Frappe ! Toujours d’estoc et de taille
Jusqu’à l’extinction de tous tes affameurs.
De tous ces vils bourgeois égorgés dans les villes
Offre en l’hécatombe aux vivaces corbeaux
Que toutes les prisons, infernales bastilles
S’écroulent pour toujours sur leur corps en lambeaux
L’anarchie aujourd’hui doit éclairer le monde,
Au feu de la révolte allume son flambeau !
Qu’elle règne partout sur la machine ronde,
Dans le sang des tyrans colore son drapeau.
Conseils à un pègre
Conseils à un pègre
Aux audacieux, dit-on, la fortune est promise.
Ce vieux dicton sera désormais ta devise.
Mais, pour que ton travail soit bien exécuté,
Tu diras « la prudence est mère de sûreté ».
Cette prudence dit qu’à moins d’un cas extrême
Tu ne dois te fier à d’autres qu’à toi-même.
D’un voleur équivoque, évite le concours :
Il est trop courageux et lâche tour à tour.
Pour pégrer proprement et avec assurance,
Il faut que tes plans soient bien tirés d’avance.
Si les difficultés te tiennent en éveil,
Passe une nuit dessus : la nuit porte conseil
Pour la guerre aux châteaux tu ne seras pas chiche
Respecte le prolo, dévalise le riche
Comme un vrai chevalier du levier monseigneur
Dépouille le bourgeois ce cynique voleur.
Voilà en peu de mots la règle indispensable
Qu’il te faut observer en pègre raisonnable.
Pour faire ta fortune, ajoute à ce traité
De la persévérance et de la volonté.
1er COUPLET
En Picardie, après l’turbin
On voit tous les copalns,
En manch’s d’chemis’ mal attiffés,
Aller prendr’ le café
Dans cette boisson couleur d’cirage,
On met’sans trop d’tapage
Dix sous, vingt sous,
Voire même trent’sous
D’eau d’vie qui vous brûle tout.
Trinque et bois,
C’est la loi
De tous les Amiénois
Refrain
La bistouille, la bistouille
Touille !
Touillons notre café,
Qui n’est pas trop sucré.
Ha !!
La bistouille, la bistouille
Touille !
Touillons à tout hasard
La boisson des Picards
2e COUPLET
Un Amiénois, bien bistouillé,
Va trouver sa moitié,
Lui dire: Vois-tu, mon gros chien-chien,
J ai bu dans tous les coins
Je pense à toi, pauvre Poupoule,
Quand je bois la bistouille,
Et j’viens d’aplomb
T’faire une façon.
Mais sa femme lui répond :
Fénéant !
Mécréant !
Je me sauve en faire autant.
3e COUPLET
Deux heures après, en trébuchant,
On volt la belle enfant,
Revenir au toit conjugal
D’un pas fort inégal.
Le mari, cuvant sa bistouille,
Lui dit : Viens ma poupoule,
J’ai dans I’ trognon
Un petit cochon.
Mais la belle lui répond :
C’est trop tard,
Mon Picard,
Je viens de te fair’ cornard.
4e COUPLET
Neuf mois après cet évènement,
On vit la belle enfant
Accoucher d’un joli bâtard,
Râblé comme un Picard.
Il avait les défauts d’sa mère,
Aimait les militaires.
C’était vraiment
L’portrait frappant
D’un sapeur du régiment.
Beau garçon,
Fier champion
De la repopulation.
Sources :
– Archives de la Préfecture de Police de Paris, EA/89 : dossier de presse « La bande sinistre et ses exploits
– Ecrits, L’insomniaque, 2004
Tags: anarchiste, chanson, Pélissard
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