Robert et Marius : les premières lettres
Robert Passas est né en 1926. La lecture d’un anarchiste de la Belle Epoque d’Alain Sergent impressionne fortement ce jeune instituteur de la Drôme, récemment marié à Josette Duc. Antimilitariste, libre-penseur, anarchiste et poète, Robert Passas ne peut-être que touché par le récit épique du biographe d’Alexandre Jacob. Robert écrit alors à Marius. Et Marius lui répond, prélude épistolaire d’une amitié indéfectible qui naît de la venue, en vélo, du premier à Reuilly durant l’été 1951.
Robert PASSAS
« Les Hors la Vie »
Rue Sylvain Marmier
Romans
Drôme
Ce 22 décembre 1950
Pour Alexandre JACOB.
Nous sommes heureux, mes vingt-cinq ans et moi, de vous avoir retrouvé. Pourtant, voici à peine un mois, nous ignorions jusqu’à votre existence !
J’extrais ceci, d’un texte de HAN RYNER:
» Sommes-nous deux a posséder cette souriante vai11ance ? Si nous sommes deux affranchis de toute haine et de tout espoir proche, je proclame la beauté du monde. O généreuse humanité si, dans ma génération même tu me donnes un frère aussi profond… Nous sommes plus de deux, nous sommes plus de cent dans le vaste monde merveilleux. Mais peut-être aucun de ces cent hommes réalisés n’entendra ma voix, ou peut-être celui qui entendra ma voix ne me fera jamais savoir qu’il l’a entendue. N’importe ! Le monde est beau d’être notre père. Et., dans les temps, derrière l’horizon visible, le monde sera notre fils merveilleux, ô mes frères profonds, qui, sans cantique ivre et peut-être sans voix, travail1ez seuls à la beauté et à la sérénité futures. Ou peut-être celui qui entendra ma voix ne me fera jamais savoir qu’il l’a entendue. »
S’il vous était permis de refaire le chemin que vous avez fait,je vous jure que je marcherais à vos côtés.
C’est ma façon à moi de vous donner toute ma reconnaissance.
Votre acte de vie est à l’échelle de votre souffle. Je le comprends – l’ admets – et l’envie. A-t-il, ou non, été vain? La question n’est pas 1à. Vous avez été vous, vous l’êtes devenu : c’est là bien l’essentiel.
Je ne sais pas si l’homme est maître de son destin ; ce que je crois, c’est qu’il est maître de l’attitude devant son destin – ou presque !
Et la votre se suffit.
Permettez-moi de vous adresser, par un prochain courrier, que1ques pensée et poèmes. C’est, l’écriture, l’une de mes formes actuelles de 1utte. Ecrire, pour moi, c’est me faire ; et ma position, momentanément défensive, s’en trouve précisée. Quand, d’un regard lucide, je mesure la pente parcourue l’espace de cinq ans, tout mon être dit 1a JOIE. Certes, le geste que je veux accomplir n’est pas mûr. Mais si, pour l’instant, je me condamne à l’attente, aucune force au monde ne saurait, pour l’instant, me faire reculer d’un pouce.
Je me fous du sa1ut de mon âme : ce que je regarde, c’est santé.
Au revoir, ami. Merci. Je ne vous oublierai pas. Et puisse l’an neuf apporter autour de votre vie tout le simple bonheur que vous méritez
Je t’embrasse.
Robert Passas
Ce 2-1-1951
Cher Camarade,
J’ai été très ému par la réception et la lecture de ta lettre. Tu es plein d’enthousiasme. C’est ce qui me plait en toi. Les coeurs desséchés, comme les arbres, ne peuvent donner de beaux fruits. Mais tout cela n’est réconfortant que lorsque l’on lâche la bride a la folie du logis. Des que l’on aborde Ie réalisme de toutes choses les vilenies apparaissent. Et cela n’est pas beau. Je crains que l’homme ne soit, sinon pour toujours, du moins pour q.q. siècles encore, un loup pour l’homme. Serait-ce la disparition subite de ma regrettée compagne – Ie 16-12-50 – qui me rend si pessimiste ? C’est possible. A 72 ans je ne puis avoir Ie même ressort ni les mêmes visions qu’a 20 ans tout en restant l’adversaire irréductible de l’Etat.
Je recevrai tes envois avec plaisir. Ecrire c’est encore agir.
Ma très sincère amitié.
Jacob
Tags: 1950, 1951, Alain Sergent, Jacob, Josette, lettres, Marius, Pauline Charron, Reuilly, Un anarchiste de la Belle Epoque
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