Attila, Barrabas et Marius versus Michel


le comandant Michelportrait de Jacob dans la République du Centre, avril 1951La lettre qui suit rétablit quelques vérités que le commandant Michel, dans le magazine Confessions avait en 1937, quelque peu déformée pour faire de Jacob un aventurier hors norme et donner de l’épique à son récit. Car Jacob ne fait pas qu’évoquer le temps où il fut Barrabas. Ses affirmations prouvent un choix politique et social des victimes des cambriolages des Travailleurs de la Nuit : ainsi, ne cambriolait-on pas ceux dont le « cas ne relevait pas du camp ennemi », c’est-à-dire ceux qui ont une certaine utilité sociale : médecin, écrivain, professeur, etc. Attila a des principes, Barrabas aussi. Mais comme pour les vols, l’agent de la Tentiaire donne sa version du bagne, cherchant à augmenter d’une manière exponentielle la dangerosité de son « vieil ennemi » pour mieux se mettre lui-même en valeur. D’autres depuis ont suivi, fabulant par exemple sur le cambriolage commis à Rochefort chez Pierre Loti. La translation lupinienne peut alors se mettre en branle. La vérité de Barrabas, d’Attila et du vieux marchand forain intervient à un moment où Maitron cherche à connaître d’une manière plus approfondie « le cas témoin » de l’illégalisme pour sa thèse en histoire sur le mouvement anarchiste français. Marius, contrairement à ce qu’affirme l’historien marxiste, n’en conclut pas pour autant à une condamnation radicale de cette pratique libertaire. De là la définition qu’il donne du crime et de la délinquance.

Jean Maitron5 mai 1949

Cher monsieur Maitron,

Vos scrupules vous honorent. Tous les historiens n’ont pas ce souci de l’exactitude. La fantaisie l’emporte très souvent sur l’objectivité. C’est le cas notamment pour ce reportage du commandant Michel, publié dans Confessions, que j’ai pu emprunter à un ami qui réside a Issoudun, ainsi qu’un numéro de Voilà que je vous adresse par même courier. C’est l’attente de la réception de ces deux périodiques qui a motivé mon retard à vous répondre. Je vous prie de m’en excuser.

Le commandant Michel raconte que nous avons remis 10000 francs chez un client infortuné. Ce n’est pas exact. La vérité est que nous n’avons rien pris parce que, à la lecture de quelques lettres, nous avons constaté que son cas ne relevait pas du camp ennemi. Un fait assez analogue, encore que déterminé par d’autres considérations, s’est produit à Rochefort chez M. Pierre Loti, plutôt littérateur qu’officier de marine.

Le commandant Michel raconte aussi que j’ai voulu le tuer avec une sorte de baleine de parapluie. C’est plutôt comique. A la corvée on nous donnait un sabre de débroussage (coupe-chou) qui, pour le cas relaté, aurait été plus efficace. La vérité est qu’un pauvre diable du nom de [illisible] me demanda un conseil pour avoir quelques paquets de tabac. Je lui conseillai d’aller me dénoncer au commandant. Il cacha une aiguille à fabriquer les semelles d’espadrilles, emmanchée sur un manche en bois sur le sous-toit de ma cellule, et fit après sa dénonciation en précisant qu’il m’avait vu cacher cet objet. Il reçut en récompense cinq paquets de tabac et m’en remit deux.

Quant à la tentative d’empoisonner les deux citernes du camp destinées à l’alimenta­tion de l’élément pénal, il s’agit là encore d’une dénonciation de détenu. Mais, à la réflexion, pourquoi empoisonner de l’eau à l’usage exclusif des condamnés ? D’autre part, chaque citerne étant d’une contenance de 28 000 litres, y avait-il à la pharmacie des un toxique assez puissant et en quantité suffisante pour obtenir un résultat satisfaisant ? Assurément pas. Pure littérature. Le commandant Michel n’était pas une brute. De surcroît il était honnête. Cela s’entend pour dire qu’il ne faisait pas de camelote. II ne percevait que son du des rations, alors que la plupart de ses confrères s’octroyaient la part du lion.

Je ne suis pas commerçant sédentaire mais marchand ambulant. Si je suis dénommé Alexandre Jacob lors de mon procès et présentement Marius Jacob cela tient à cette circonstance. Marchand forain, j’ai du me procurer un barnum. Le fabricant prenait alors (en 1933) 25 francs par lettre. J’ai donc choisi la solution la moins chère.

Le chiffre de 5 millions me parait gonflé. II est vrai qu’a la fonte les métaux précieux n’avaient pour nous que leur valeur intrinsèque. De même les pierreries: perles, diamants, saphirs, etc.

Vous faites une distinction entre le délinquant politique et le délinquant de droit commun. De fait, ce n’est là qu’une opinion d’école. Des auteurs fort orthodoxes tels que Ganand, Maxwel, G. Vidal opinent pour la non-discrimination. Selon ces auteurs, toutes les infractions aux lois pénales sont d’ordre politique. Certes, subjectivement, il y a une nuance entre l’illégaliste idéologique et l’illégaliste tout court. Chez le premier, l’élément moteur est l’esprit de révolte contre un ordre social tyrannique, alors que chez le second, le motif déterminant semble ne s’inspirer que d’un désir de lucre. Mais objectivement, cette nuance s’estompe. Un moteur à essence et un moteur gazogène, bien que mus par des moyens différents, font tous deux parcourir le même nombre de mètres aux véhicules qu’ils actionnent.

Vous voudrez bien excuser mes pattes de mouche. J’ai les doigts perclus de rhumatismes. Dois-je vous faire retourner les dix feuillets que vous m’avez adressés ? Je les tiens à votre disposition. Les deux revues (Voilà et Confessions) n’étant pas a moi, je vous prie de vouloir bien m’en faire retour.

Veuillez agréer, cher monsieur Maitron, l’expression de mes meilleurs sentiments.

Jacob

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