La famille de Barrabas

Le bagne est une institution totale. Tout est contrôlé, surveillé, organisé. Une cohorte de lois, décrets et règlements définissent les rapports du bagnard tant avec l’intérieur (Administration, surveillant, fagot) qu’avec l’extérieur. Le condamné n’a le droit d’écrire qu’à une seule personne de sa famille et le nombre de lettres est limité. Une fois par mois, le matricule 34777 peut donc échanger avec sa mère, Marie, des informations à caractère uniquement personnelles. Car les missives passent sous les fourches caudines de dame censure qui œuvre aussi pour l’AP. Impossible en théorie d’activer par voie épistolaire un réseau de soutien, d’annoncer des préparatifs d’évasion ou tout simplement de donner un avis politiquement incorrect. Mais, aussi bien huilée que soit cette machine à broyer qu’est le bagne, il existe des grains de sables qui viennent l’enrayer et qui permettent la survie dans cet univers particulièrement mortifère. Barrabas use à foison de ces dysfonctionnements pour créer du lien avec l’extérieur. La correspondance avec sa mère devient ainsi vitale. Bien sûr, le bagnard peut aussi envoyer ses messages par des voies détournées. Mais l’entreprise se révèle des plus aléatoires. La lettre doit passer la porte du pénitencier et cela dépend de la personne (forçat libéré, surveillant corrompu, etc.) à qui elle a été confiée. Si elle est interceptée, elle figurera dans le dossier du condamné, conservé aux Archives de l’Outre-Mer à Aix en Provence, et ce dernier passera devant la commission disciplinaire. Le matricule 34777 subit par exemple huit  jours de cachot en octobre 1910 pour correspondance illicite. Reste alors la correspondance officielle que l’on peut aisément détourner par l’emploi de codes. Celle-ci est faite d’environ 182 lettres. Mais les missives écrites entre 1906 et 1910 demeurent aujourd’hui introuvables. Dans presque toutes, Barrabas utilise le domaine de la famille mieux tromper ses ennemis sociaux : l’AP et la police. Famille. Le mot est à considérer dans son acception la plus large possible. Père, mère, frère, sœur, tante, oncle, cousin et cousine. Amis du frères, de la sœur, du père et de la mère, etc. au total, environ 70 personnages qui évoluent de manière à la fois fictive et réelle selon qui interprète et lit les insoupçonnables lettres d’un fils enfermé à sa mère libre. Jacob peut ainsi devenir tout à la fois Auguste, Julien, Paul, Lucien et Quatre-fils. La récurrence du prénom Lucien incdique presque systématiquement une tentative d’évasion. Et, pour se jouer encore mieux de ses surveillants, Barrabas ne rechigne pas à la féminisation de ses personnages : Lucien devient Lucie et Julien Julie. IL peut également apparaître plusieurs fois sous des noms différents dans la même lettre. Le jeu suppose donc une infinité de combinaisons où les individus, les institutions, les lieux ont un rôle bien défini : Elisabeth désigne l’Administration Pénitentiaire, l’Oncle le Dr Rousseau, Myrrha Marie Jacob, etc. Le choix d’Octave pour signifier la Sûreté Générale à Paris, chargée de la surveillance des anarchistes pourrait bien trouver son origine chez le commissaire Hamard dont Jacob usurperait le prénom. Rappelons qu’Octave Hamard, qui apparaît également sous les traits de Ganimard chez Leblanc, a procédé sur Paris aux interpellations des Travailleurs de la Nuit. De la sorte, l’apparition du méchant et fourbe Octave dans les lettres du bagnard doit inciter sa mère à la plus grande prudence vis-à-vis de la police. Certains personnages demeurent néanmoins aujourd’hui encore bien mystérieux. Nous appelons donc les lecteurs d’Alexandre Jacob à nous faire part de leur suggestion sur tel ou tel protagoniste de la correspondance de Barrabas. La liste ci-dessous est extraite de l’édition de 1995 des Ecrits de Jacob par l’Insomniaque. Nous y avons ici apporté notre contribution.

Tags: 34777, Administration Pénitentiaire, bagne, Barrabas, censure, code, courrier clandestin, Elisabeth, évasion, famille, Jacob, lettre, Octave, oncle, réseau

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Cet article de JMD a été publié le dimanche 8 juin 2008 à 6:33 et est classé dans Le bagne et ses joyeusetés. Vous pouvez en suivre les commentaires par le biais du flux RSS 2.0. Vous pouvez laisser un commentaire, ou faire un trackback depuis votre propre site.