Les Agitateurs de la Jeunesse Internationale
Dans les souvenirs rassis qu’il adresse à Jean Maitron en 1948, Alexandre Jacob évoque son implication dans la création, à Marseille, de la feuille L’Agitateur en 1897. « Cette troisième série du journal est due à l’initiative du groupe La Jeunesse Internationale » nous dit René Bianco sur la fiche qu’il dresse dans ses 100 ans de presse anarchiste. De ces deux sources, nous pouvons alors tirer les noms de ceux qui, entre autres, cette année-là, organisent l’agitation et la propagande libertaire dans la cité phocéenne. Alain Sergent parle lui d’une petite bande active qui porte ses coups avec éclectisme (Un anarchiste de la Belle Epoque, p.33-34) : distribuer et vendre à la criée de la brochure Les crimes de Dieu de Sébastien Faure à la porte des églises, saboter de l’élection de Rostand à la Ciotat à l’aide de feu fénian déposé dans les urnes, enfûmer une église avec du phosphore, etc. C’est d’ailleurs avec un des membres de cette Jeunesse Internationale, Victor Rappalo, que le jeune anarchiste est arrêté pour fabrication d’explosifs. L’engrenage vers l’illégalisme est enclenché d’autant plus facilement que certains membres de la JI ou de collaborateurs de L’Agitateur ont déjà subi des condamnations et ne rejette pas forcément le principe de reprise individuelle. D’autres, à l’image d’Escartefigue, optent par la suite pour une voie nettement moins risquée et s’aventurent dans le jeu politique traditionnel que les anarchistes abhorrent tant. Nous n’avons pas inclus dans cette série de biographies les noms d’Emile Babault, d’Arthur Roques, et d’autres encore, le premier n’intervenant que dans l’arrestation de Jacob en 1897 et le second participant au coup du Mont de Piété de Marseille le 31 mars 1897.
CALAZEL Fernand : Né à Nîmes (Gard), le 25 septembre 1865, serrurier mécanicien puis marchand ambulant. Demeurant à Marseille, 8 cours Belsunce en 1896 et 1897, il déploie alors une intense activité, convoquant de nombreuses réunions, participant à des conférences publiques et y prenant souvent la parole (en particulier le 1er 1897 à la Bourse du Travail). Il organise également les conférences de Sébastien Faure et Louise Michel des 19 et 20 mai 1897. Abonné au Libertaire, il diffuse ce journal à Marseille.
CHAUMEL Maurice Léon : Né le 5 mars 1875 à Marseille, célibataire, peintre en bâtiment, il a une vie assez mouvementée : le 6 avril 1893, il est condamné à 15 jours de prison pour « désertion à l’intérieur ». En janvier 1897, il est écroué sous l’inculpation d’outrage et rébellion à agents et condamné le 23 à deux mois de prison. En juin, il est à nouveau condamné pour cris séditieux et le tribunal correctionnel le condamne le 6 juillet à 2 mùois de prison. ces incidents lui valent d’être inscrit en novembre 1897 sur les Etats anarchistes dans la 1e catégorie avec la mention « exalté et militant ». De fait Chaumel est très remuant. Il perturbe aussi bien les prêches dans les églises (le 11 décembre 1897 à la Belle de Mai) que les réunions électorales (avril – mai 1898). Il a la parole facile et en use largement dans de nombreuses réunions publiques où il porte la contradiction et développe les théories anarchistes. Il donne lui – même un grand nombre de conférences notamment en 1898. La même année, il préside celle de Sébastien Faure et fait le coup de poing contre les membres de la Ligue Antisémite. En 1899 et 1900, il apparaît dans de nombreuses réunions et fait une active propagande en faveur de Dreyfus puis, tout en restant anarchiste, et à ce titre anticlérical, il évolue vers le bouddhisme. Cette évolution le place à l’écart des compagnons.
CHEYLAN Jules Antoine : Né le 2 mars 1861 à Marseille. Ouvrier chaudronnier. Membre du groupe « Les rénovateurs » dès 1890, il assiste à de nombreuses réunions souvent en compagnie de sa femme. Cela lui vaut d’être porté sur la liste des anarchistes « à surveiller » en mars 1892, puis d’être inscrits sur les Etats en première catégorie c’est à dire classé comme anarchiste dangereux. Demeurant à Marseille, 2 rue Cerechelli, puis 42 rue du Bon Pasteur (en 1894) ce dernier domicile est perquisitionné à de nombreuses occasions. Militant actif, il fait partie de la Jeunesse Internationale et collabore à la publication de l’Agitateur.
ESCARTEFIGUE Marius, Charles, Honoré, dit Jouvarin : Né le 2 novembre 1872 à Marseille, il demeure 2 rue Crinas, et suit les cours de l’école d’ingénieurs (rue Duguesclin) en 1890 – 1892. Il est renvoyé au début de 1893 « en raison de la part active qu’il a prise au mouvement anarchiste ». Sous le nom de Jouvarin, il milite en effet activement de 1892 à 1898 et appartient avec Calazel, Cheylan, Chaumel et Gros à la Jeunesse Internationale. Intelligent et doué d’une certaine facilité de parole, il fait de nombreuses conférences et causeries, notamment : « socialisme, état et religion » le 16 janvier 1896, « la question sociale » le 15 mars 1896, « le sabotage » le 2 décembre 1897, « la sociologie du théâtre » le 25 décembre 1897, « Wagner » le 19 mars 1898. Il collabore au Libertaire, surtout quand cet hebdomadaire est imprimé à Marseille en 1898. On le signale également pendant cette même période parmi les compagnons qui vont porter la contradiction dans les réunions publiques ou qui perturbent les réunions électorales. de même, il fait partie du commando anarchiste qui saccage le 1er février 1898 la brasserie marseillaise, rue Saint Basile où la ligue antisémite tenait une réunion. On le voit également à la Bourse du Travail où il prend la parole le 1er mai 1897 et le 1er mai 1898. Il s’écarte cependant du mouvement vers 1899 et s’oriente vers le socialisme. Installé à Toulon, il est élu conseiller général en 1901, conseiller municipal en 1902 puis maire de cette ville en 1904.
GROS Frédéric : Cet homme appartenant à la Jeunesse Internationale nous est presque totalement inconnu. Nous savons juste qu’il prend la parole lors d’un meeting organisé à Marseille, salle de l’ancien Asile de Nuit, pour protester contre la condamnation à mort de Vaillant et contre la répression des anarchistes. On le retrouve quelques jours après cette réunion qui a réuni environ 2000 personnes du fait notamment de la présence de Sébastien Faure. Un rapport de police signale la présence de Frédéric Gros lors d’une soirée familiale et anarchiste le 14 janvier de cette année.
GUY François est né le 12 août 1843 à Béziers (Hérault). Il exerce la profession de cultivateur. Il habite d’abord Béziers, 60 avenue de Bedarieux puis vient s’installer à Marseille. Il loge successivement dans un garni, 45 rue Curiol (en 1896), puis 16 rue Pierre qui rage et enfin 43 rue Charras. Déjà collaborateur de L’Agitateur en 1893, il publie en avril 1897 un numéro unique d’un journal intitulé « Pamphlet d’un jour, philosophie moderne sur l’invention d’un dieu« . Il meurt à l’Hôtel dieu où il était en traitement le 13 décembre 1899.
MOREL Louis : Né à Lyon le 14 octobre 1862, ouvrier cantonnier, milite comme anarchiste dans sa ville natale avant de venir s’installer à Marseille avec sa compagne Félicie Merlin. Dès son arrivée, il prend la gérance de L’Anarchia (avril 1890) et loge loge alors 5 rue Saint Victoret. Il milite ensuite activement et se signale particulièrement par son zèle à diffuser la presse anarchiste sur la voie publique. En 1892, après avoir assuré un moment la gérance de L’Agitateur, il s’enfuit de la ville pour se soustraire à l’exécution d’un mandat d’arrêt décerné contre lui pour escroquerie, délit commis de complicité avec Charles Maury. Il est condamné le 24 novembre de la même année à deux ans de prison pour excitation au pillage. On le retrouve ensuite à Narbonne où il se voit infliger quinze jours de prison par le tribunal correctionnel, le 20 septembre 1894, pour falsification de livret de chasse. De retour à Marseille, il est condamné peu après (10 octobre 1894) à un mois de prison pour escroquerie. En février 1895, il assure un moment la gérance de l’hebdomadaire Le Balais. Le 18 avril de la même année, il est arrêté à l’issu de la conférence donnée au théâtre Chave par Bernard Lazare, et qu’il présidait, mais il est relâché presque aussitôt. Il est arrêté à nouveau l’année suivante le 10 mars pour vol qualifié, puis relaxé, mais le mois d’après la police se saisit de lui à son domicile, 9 rue de la Darse, le 21 avril, et il est condamné le 30 juin 1896 pour tentative de vol avec effraction à 5 ans de prison et 5 ans d’interdiction de séjour. Détenu à la maison centrale de Nîmes, il est rayé de la liste des anarchistes du département le 1er septembre 1896. Cependant Morel revient à Marseille en 1897 et participe avec Alexandre Jacob au vol du Mont de Piété de Marseille et à divers autres cambriolages. Il serait d’après les dires de Bernard Thomas, devenu un informateur de la police marseillaise. Son activité militante proprement dite aurait toutefois cessé.
RAMPAL Emile : Nous ne savons pas grand-chose de ce personnage qui appartient à la Jeunesse Internationale de Marseille en 1896-1897. Il apparaîtrait, selon René Bianco, dans l’Agitateur sous les pseudonymes de Rinaldain ou de Pertuis. ,L’homme serait alors un chansonnier amateur et se serait produit à la soirée familiale du groupe Les Egaux le dimanche 26 a vril 1896 à Marseille.
RAPALLO Victor : Né le 4 mai 1878 à Marseille. Célibataire. Ouvrier typographe. Il est signalé en janvier 1897 comme anarchiste militant. Son patron est « satisfait de son travail mais lui reproche d’être un anarchiste convaincu et de développer sans cesse ses théories« . Il participe aux deux numéros de l’Agitateur en février et mars. Quelques mois plus tard, il est victime avec Alexandre Jacob d’un agent provocateur (Leca) qui lui procure des explosifs puis les dénonce. Rapallo est condamné le 1er septembre 1897 à six mois de prison par le tribunal correctionnel de Marseille. Sorti de prison le 11 février 1898, il revient à Marseille où il loge au 13 montée de Saint Esprit. Il continue à participer aux réunions anarchistes et participe à l’expérience marseillaise du Libertaire de mars à juin de cette année. Il part se fixer à Paris à l’automne 1898 et travaille un moment comme typographe au Libertaire dans lequel il publie quelques articles.
ROCH Edouard : Né à Lyon le 21 décembre 1859, tapissier, vient à Marseille à plusieurs reprises. Il subit diverses condamnations à Lyon, Toulon, etc. … En 1897, il loge dans un garni, 22 quai du port, et assume la gérance de la 3e série de L’Agitateur. La déclaration du journal est faite au parquet de Marseille le 30 janvier de cette année. La préfecture des Bouches du Rhône en profite pour dresser de lui un portrait plus que défavorable : « Le déclarant, marié, divorcé, âgé de 37 ans, (…) n’habite Marseille que par intervalle et y demeure pour le moment en garni (…). Sa conduite, sa moralité sont mauvaises. Il voyage de ville en ville, fréquente les filles de mauvaise vie et les réunions anarchistes où il se fait remarquer par sa violence. Ne travaillant pas de son métier, il ne vit que du produit de la vente des journaux sur la voie publique« . S’ensuit alors une liste des condamnations d’Edouard Roch : adultère, complicité d’adultère mais aussi vol. Faut-il pour autant considérer le gérant de L’Agitateur comme un prête-nom utilisé par la Jeunesse Internationale pour contourner toute éventuelle mesure répressive à l’encontre du journal ? L’année suivante, il occupe un emploi de matelassier dans un magasin situé 8 rue Saint Laurent et il en profite pour faire de la propagande anarchiste auprès des clients qui fréquentent l’établissement. Au cours de l’année 1898, il organise diverses réunions publiques puis, quittant sans doute la ville, disparaît des milieux anarchistes marseillais.
SARTORIS Augustin : Né le 24 novembre 1875 à Nîmes (Gard). Cordonnier. Il a milité successivement à Marseille, Nîmes, Avignon. Sa collaboration à divers journaux commence en 1897 avec L’Agitateur et, de 1898 à 1900, nous pouvons retrouver sa signature dans Le Libertaire. En 1899, il se trouvait, semble – t – il, à Avignon.
Sources :
– Bianco René, La presse anarchiste dans les Bouches du Rhône, mémoire de maîtrise, I.E.P. Aix en Provence, 1971, publication CIRA Marseille, 1972
– Bianco René, Le mouvement anarchiste à Marseille et dans les Bouches du Rhône, thèse de troisième cycle I.E.P. Aix en Provence 1977, publication CIRA Marseille, 1978
– Bianco René, Un siècle de presse anarchiste d’expression française 1880-1983, doctorat d’état, Université de Provence, 1988
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