Infaillible justice


la justiceL’instruction menée par le juge Hatté en vue du procès des Travailleurs de la Nuit permet de mettre à jour au moins deux erreurs judiciaires. Le 21 octobre 1903, le magistrat rend compte au garde des sceaux des conclusions qu’il peut tirer de l’interrogatoire d’Alexandre Jacob, effectué dix-huit jours plus tôt. L’anarchiste avoue, lors de cette séance, un vol commis dans la nuit du 22 au 23 janvier de cette année chez le lieutenant Xardel, rue des Bons Enfants à Cholet. Le cambriolage, effectué avec Félix Bour et Léon Ferré, entre dans le cadre d’une tournée, lors de la deuxième quinzaine du mois de janvier, partie de Paris et passant par Angers, Cholet, Niort, Angoulême, Poitiers et Châteauroux. Jacob omet volontairement de signaler au magistrat un probable passage par Rochefort, où les trois voleurs se sont introduits dans la demeure de Julien Viaud, marin et écrivain plus connu sous le nom de Pierre Loti. Mais les confidences du criminel Jacob ne sont pas innocentes. Elles permettent de disculper Marcel Coutaud et Gustave Picard, tous deux arrêtés et condamnés pour le vol Xardel. Marcel Coutaud est né le 15 octobre 1889 à Saint Christophe du Bois, dans le Maine et Loire. Son camarade, Gustave Picard, est légèrement plus vieux. Il voit le jour à Cholet le 10 juillet 1888. Ce sont donc deux enfants de 14 et 15 ans que le tribunal correctionnel de la capitale du mouchoir rouge envoie, le 14 mars 1903, en maison de correction jusqu’à leur majorité. Le 21 octobre le juge Hatté peut alors écrire benoîtement : « Il me parait donc établis que ces deux enfants ont été condamnés pour un fait qu’ils n’ont pas commis et que, dès lors, il y a lieu à révision ». Aussi peu glorieux que puisse être cet épilogue, l’institution judiciaire n’a aucune critique à craindre dans la mesure où le juge n’oublie pas de mentionner que la révision de l’affaire Coutaud / Picard n’entraînera pas de changement de peine. Les deux jeunes innocentes victimes de cette erreur judiciaire ne sont pas si innocentes que cela. Les petits Marcel et Gustave, nous dit l’homme de loi, ont été condamnés pour d’autres larcins. Nous ne savons pas lesquels. Deux plus tard, la cour d’assises de la Somme n’examine même pas le vol Xardel, commis pourtant par ce que la presse nationale nomme « la bande sinistre » et la presse locale plus prosaïquement « les cambrioleurs assassins ». Le 11 février 1905, le procureur général d’Amiens (Régnault ?) informe le ministre de la justice qu’il cite Hyppolite Delgeur, vice-président du tribunal de Liège, à comparaître comme témoin dans le procès à venir. C’est chez lui que Jacob s’introduit en septembre 1901. C’est d’ailleurs à cette époque qu’il commet aussi un vol à Spa dans le château de la reine des Belges Marie Henriette. La justice de ce pays commet la même erreur que son homologue française qui a envoyé les petits Coutaud et Picard finir leur adolescence dans un bagne d’enfant. Elle condamne un certain Sauvay pour le vol Delgeur. Là aussi le condamné, ayant commis d’autres vols, ne sort pas libre d’une affaire de toute évidence tout aussi mal instruite que celle du vol Xardel. L’examen du vol Delgeur à Amiens le 9 mars 1905 permet pourtant à Alexandre Jacob d’affirmer un tonitruant et ironique : « Et voilà la justice ! ». L’anarchiste peut alors placer une nouvelle déclaration dans laquelle il dit tout le mal qu’il peut penser de cette institution et des magistrats.

Dossier de presse « la bade sinistre et ses exploits »

Procès d’Amiens

2e audience

9 mars 1905

Vol à Liège                           .

Un vol qualifié avait été commis la nuit, en septembre 1901, au domicile de M. Delgeur, vice-président du tribunal de Liège (Belgique). Un nommé Sauvay, qui avait reconnu d’autres vols accomplis dans des conditions identiques à celui-ci, avait été condamné pour ce vol malgré ses protestations.

Jacob a reconnu être l’auteur du cambriolage chez M. Delgeur. Un mouchoir marqué A.H., abandonné chez M. Delgeur, a été reconnu par M. Hulot, chez lequel Jacob s’était introduit et avait volé quelques mois auparavant.

Le gouvernement belge a saisi régulièrement de ce fait la justice française.

M. Delgeur est entendu.

Jacob intervient. Il fait remarquer que Sauvay a été condamne pour ce vol. « Et voilà la justice ! », dit-il.

Une déclaration de Jacob

II a à placer une nouvelle déclaration. M. le président veut remettre celle-ci à plus tard, mais Jacob insiste:

« Malgré les progrès réalises, dit-il, l’homme est toujours un loup pour l’homme. Il s’arroge le droit de juger les hommes. Mais il ne met sa justice qu’au service des riches contre les pauvres. Il y a un siècle, les pénalités étaient atroces et cependant il n’y avait pas moins ­de crimes que maintenant. Au contraire. Donc, ce n’est pas en punissant qu’on empêche la perpétration des crimes. Le magistrat ne punit que pour défendre ses sinécures. »

Les magistrats ne peuvent subsister que dans une société corrompue. Jacob regrette de n’en avoir pas dévalisé davantage.

NB : le vol Hulot est commis au Mans le 9 juin 1901.

Sources :

–         Archives de la préfecture de police de Paris, EA/89, dossier de presse “Les bandits sinistres“

–    Archives Nationales, BB18 2261A, dossier 2069A 03

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