Joyeux anniversaire Yvonne !
16 avril 1910, Yvonne Marie Vors fête ses dix printemps. Julia, sa mère, et Marie, sa grand-mère, s’occupent seules de la fillette et d’Olga, sa cadette. Père absent pour cause de force majeure. Filles de bagnard ! La dernière fois qu’elles l’ont vu, Yvonne avait deux ans et demi et Olga à peine dix-sept mois. C’était à la prison de Saintes. Ce n’est qu’avec le convoi de l’été 1903 qu’Arthur Roques arrive en Guyane. En 1910, le transporté 32835 se trouve aux îles du Salut. Nous ne pouvons affirmer avec une certitude absolue qu’Alexandre Jacob a côtoyé sur ces trois cailloux son ancien compagnon de cambriolage, son « professeur de vol » dans le Midi. Toujours est-il que les deux hommes se trouvent au même moment au même endroit. Arthur Roques, le faux commissaire Jules Pons du fameux vol au Mont de Piété de Marseille (31 mars 1899), a été condamné aux travaux forcés à perpétuité le 14 mai 1902 par la cour d’assises de la Charente Maritime pour fabrication et émission de fausse monnaie. Peine réduite à dix ans le 7 octobre de cette année. Peine perdue qui ne change strictement rien à rien. Le prisonnier de guerre sociale Roques est astreint par ce fait à la résidence perpétuelle dans la colonie pénitentiaire en vertu de l’article 6 de la loi de 1854 sur le doublage du temps d’internement. Et, à moins que sa famille ne vienne le rejoindre là-bas, ce vieux fagot de 58 ans est donc appelé à mourir sans revoir femme (Marie Vors), amante (Julia Vors) et descendance. Yvonne et Olga doivent donc apprendre à grandir sans ce père inconnu qui, de loin, de très loin, les chérit. Car Arthur Roques est un père aimant. Les lettres, qu’il leur envoie, montrent cela. Elles permettent alors au matricule 32835 de prodiguer à ses « ratounettes », par génitrice interposée, moult conseils et recommandations en matière d’éducation et de scolarité. Arthur Roques se fait alors professeur, lui qui a quitté l’école à dix – onze ans. Mais les lettres constituent surtout un lien, un palliatif. Pour Roques, écrire à Julia, écrire à Yvonne, écrire à Olga, c’est vivre … ou plutôt survivre à l’internement. Jacob use du même processus dans sa correspondance avec sa mère. Les lettres, c’est encore la marque de la présence du père absent pour Yvonne et Olga. Primordial dans une époque où le bâtard et autre fils et filles de … sont relégués (sic) à l’arrière de l’arrière ban de la société. Arthur Roques aime ses filles. Le poème à Yvonne, que nous a gracieusement transmis Madame Simone Pons, le dit en chantant les dix ans de la petite fille. Il est accompagné d’un superbe dessin. Mais il exprime aussi la souffrance d’une relation filiale perdue. Joyeux anniversaire Yvonne !
Bonjour mon Yvonnette adorée !
Tu as aujourd’hui 10 ans
16 avril 1910
A Yvonnette
Un beau matin d’Avril, quand le rossignol chante
Son hymne à l’Eternel
Et que tout refleurit, c’est à l’aube naissante
Que tu nous vins du ciel.
Le lis était moins pur, la rose était moins belle
Que toi, mon chérubin,
Car, dans tes yeux, brillait la divine étincelle
Des élus du destin.
Autour de ton berceau j’aperçus Mélusine,
Les Grâces et les Ris
Qui disaient et chantaient : « C’est notre Benjamine
Qui vient du Paradis … »
« D’abord, nous te nommons notre reine Yvonnette
« Et dans ton petit cœur,
« Nous mettons la bonté qui, sur la vie, reflète
« La joie et le bonheur.
« Pour diriger tes pas nous te donnons grand-mère,
« Femme simple au cœur d’or ;
« Elle sera pour toi un ange tutélaire,
« Tu seras son trésor.
« Puis, petite maman sera la Providence
« Dont l’amour maternel
« Veillera nuit et jour auprès de ton enfance
« Comme un ange du ciel.
« Si ton berceau n’est pas orné de la richesse
« Des heureux de ce temps,
« Ton cœur sera rempli d’amour et de tendresse
« Pour tes pauvres parents.
« L’esprit et la beauté seront ton apanage
« Et ta grande beauté
« Te rendra, mon amour, aussi belle que sage
« Dans ta simplicité.
« Quand tes bonnes mamans seront dans la tristesse
« Et perceront des pleurs,
« Un sourire de toi plus doux qu’une caresse
« Calmera leurs douleurs.
« Ton malheureux papa vivra dans la souffrance,
« La désolation,
« Mais ton amour pour lui sera son espérance,
« Sa consolation.
« Aime le bien, chérie, car il souffre et il pleure
« De vivre loin de toi,
« Ses baisers et son cœur, jusqu’à sa dernière heure
« S’envoleront vers toi ! »
Ici finit le chant de la fée Mélusine,
Des Grâces et des Ris.
Et ce chant disait vrai : tu es ma Benjamine
Venue du Paradis !
Papa
16 avril 1910
Sources :
– Archives de l’Outre Mer, H1404/Roques
– Archives privées, fonds Arthur Roques de M. et Mme Pons
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