Barrabas et les PD
La case est le lieu de vie du forçat ; c’est là qu’en théorie il doit se trouver hors période de travail. Là, , on joue, on vend de la nourriture, on boit, on se tue pour de la nourriture, pour une fiole de tafia, pour l’argent contenu dans le plan d’un autre détenu, pour l’argent perdu au jeu, pour tant et tant d’autres raisons plus ou moins valable. Là, on s’accouple aussi, par plaisir, pour de l’argent encore, pour de la protection. Alexandre Jacob ne pratique pas les distractions illicites, mais tolérées, de la case. Il les juge aliénantes, c’est-à-dire faisant partie intégrante du processus normatif d’intégration à ce système totalitaire et pénitentiaire qu’est le bagne. Mais si Barrabas répugne à l’inversion sexuelle, il ne la blâme pas. Contrairement à certains anarchistes qui vécurent l’enfer du bagne, contrairement même au docteur Rousseau qui considère l’homosexualité hors norme dans des conditions d’existence habituelles, c’est-à-dire libre, contrairement à de nombreux reporters venus effrayer leur lectorat, l’ancien forçat Jacob l’estime naturelle, comme toute autre pratique sexuelle, et, à juste titre, légitime dans un milieu exclusivement masculin et aux passions exacerbées. Les textes qui suivent montrent cela. Le passage, très long, du livre du Dr Rousseau sur l’homosexualité fera l’objet d’un article à part : l’Oncle et les PD. De la même manière, le lecteur pourra se référer à la nouvelle, La comique aventure du môme à Pépète, écrite par Jacob à Fresnes en 1927 et que nous avons mis en ligne dans ce blog. L’hétérosexualité ne devient possible que lorsque le bagnard peut « approcher de très prés des femmes d’agents et de fonctionnaires » (lettre au député Lafont le 11 janvier 1932). C’est-à-dire quand il parvient à se faire placer comme garçon de famille après sa nomination à la 1ère classe. C’est le cas du matricule 34777 à partir de 1920. C’est également le cas d’un bagnard, mort par intoxication alimentaire, dont les rapports avec la femme d’un surveillant engendrèrent un énorme scandale sur les îles à la suite de la découverte de leur correspondance. Alexandre Jacob raconte le fait à sa dernière compagne, Josette Passas, en 1954. L’onanisme, l’abstinence et l’homosexualité constituent donc les règles générales de la vie sexuelle au bagne et marquent les rapports des bagnards dans la case. Mais il faut aussi envisager l’homosexualité sous l’angle de relations violentes de dépendance. Le « dur » protège le « môme ». Ces liens exacerbent les tensions et, comme n’importe quels autres plaisirs, se négocient. Finalement, nous retrouvons les mêmes schémas relationnels qu’ailleurs, à ceci près qu’il n’existe plus de femmes bagnards depuis au moins 1906 et que les hommes ne sont pas libres.
Souvenirs du bagne,
Editions Les Passés Simples,
p. 256-260 :
L’amour au bagne. Les « mômes »
(…) Ce vice immonde a ses principaux propagateurs dans les condamnés arabes qui si disputent les jeunes gens des nouveaux convois, dont quelques-uns déjà sont familiarisés avec ces odieuses pratiques.
(…) Le pavé parisien fournit chaque année à la Guyane un grand nombre de sujets passifs qui gardent là-bas leur sobriquet, tel la Sarah des Batignolles qu’exploitait un hercule de la Villette, la Rouquine du Châtelet, depuis longtemps au bagne, qui, pour devenir concessionnaire, avait accepté ses faveurs à un commandant de pénitencier et tient aujourd’hui au Maroni un commerce de mercerie en compagnie d’une femme reléguée qu’il a épousée.
(…) L’Algérie apporte aussi son contingent. Les transportés arabes sont presque tous actifs ; les passifs viennent des compagnies de discipline ou des bataillons d’Afrique. Au nombre de ces condamnés militaires comptait un dégénéré qu’on appelait simplement la Fille et qui répondait en tout point à son sobriquet. C’était l’infidélité en personne. Son « ami », qui s’était fait condamné aux travaux forcés pour éviter la séparation, s’était suicidé de désespoir dans la prison d’Avignon.
Car il y a parmi ces dégénérés des amoureux passionnés qui seraient admirables d’attachement et de dévouement, si leur vice n’était aussi épouvantablement répugnant. Ils ont pour le conjoint toutes sortes de prévenance, le cajolent, le soignent et s’évertuent par mille moyens à lui rendre un peu plus supportable sa terrible condition
(…) A côté de ceux qui arrivent au bagne tout dressés, il y a ceux qui s’y corrompent par curiosité, par goût, par nécessité, et ceux aussi qu’on viole. Les vicieux de tempérament qui, libres, n’ont fait que frôler cette fange, s’y hasardent faute de mieux et s’y vautrent bientôt à corps perdu. Les autres, et plus spécialement les faibles, les malingres – et ils sont nombreux –, prennent un mâle pour les aider dans leur travail et les protéger contre les méchancetés et les sarcasmes des plus forts. Au besoin, les gardes-chiourmes favorisent ces monstrueuses unions. (…) Donc, pour le faible qui n’a pas le courage de s’évader, s’il ne veut pas succomber à la faim et aux coups, il n’y a qu’une issue : se marier comme disait Casalonga. Et les pauvres êtres ne résistent pas longtemps à la fatale « endosmose » – c’est ainsi qu’on qualifie au bagne l’acte contre nature – ; s’il n’y viennent pas par un penchant naturel, ils y arrivent par obligation.
La contagion, qui a là une excuse presque, n’est plus explicable que par un état absolu de corruption quand elle est constatée chez les surveillant militaires. Car messieurs les gardes-chiourmes ne se contentent pas d’être ivrognes, voleurs, brutaux et meurtriers, ils sont encore sodomites. Je n’en citerai que quelques-uns dans la hâte que j’ai de clore ce chapitre.
Moi Clément Duval, bagnard et anarchiste
p.195-196 : Alors chaque jour je voyais Thiervoz et causions de Simon, qu’il aimait comme un fils et tenait sous sa protection. Ce qu’il n’avait pas besoin, Simon étant capable de se faire respecter.
Néanmoins, contre ces individus dégoûtants (sans vouloir remonter aux causes) comme on en rencontre au bagne, bien souvent la force en impose.
C’est ainsi qu’un jour Thiervoz administra une correction à un des ces tristes individus, rapport à ses assiduités près de Simon, auquel il donnait souvent une ration de pain et de tabac. Simon le prenait comme venant d’une bonne nature, sensible aux souffrances d’autrui qu’il soulageait dans la mesure du possible. Aussi, ne comprenant rien à l’intervention de Thiervoz, il lui fit des reproches. Mais quand ce dernier lui eut exposé quel était le but intéressé de ce soi-disant bon cœur, Simon, accompagné de Thiervoz, alla le trouver et lui demanda des explications, le somma de sortir de la case, de venir seul avec lui afin de lui montrer qu’il n’avait besoinde personne pour se faire respecter. Trop lâche pour accepter la proposition, Simon dut se contenter de lui cracher à la figure, et lui rendit ses rations de pain et de tabac dans l’espace d’un mois.
La vie des forçats
p.146 : Une heure après qu’ils étaient en case, les hommes avaient complètement déposé le masque qu’ils remettaient le matin pour aller au travail. Les invertis, en faisant des effets de torse et de jambes, raccrochaient sans vergogne dans le coursier. Sans vergogne, ils allaient en quelque coin sombre et se livraient pour dix sous. Tanet, Oldjohn et aussi le romanichel X…, dit Lamothe, pouvaient aussi bien cracher leur mépris. Ils n’en avaient cure. Leur passe terminée, ils couraient porter leurs dix sous à leur homme. Ah ! Misère, que ne fais-tu pas faire aux hommes.
Les compagnons de la Belle
p.15 : A partir de ce moment, on considéra Julien comme son petit ami, son môme, pour employer l’expression dont les forçats se servent afin de désigner celui qui joue un rôle passif dans les relations sexuelles entre deux hommes.
Je souffrais de voir Julien de devenir le jouet de cette ignoble pratique de la vie des bagnards. Toutefois Julien me déclara qu’il n’avait accepté l’amitié de Dédé que pour éviter les sollicitations incessantes des autres hommes.
Avec les « durs », de Cayenne à Caracas
p.16 : Enfin des évadés prétendent que certains surveillants éprouvent pour les « petits mômes » aux manières délicates, un penchant coupable. Et comme il arrive que plus d’une femme de gardien s’éprend de la même passion pour le joli garçon qui lui vaut l’infidélité de son mari, on juge de la quantité de drames intimes dont Cayenne est, chaque jour ou plutôt chaque nuit, le triste théâtre.
Bagne
p.97-98 : Depuis 1925, chaque homme a droit à son hamac particulier qu’il possède d’ailleurs depuis 1929, ce qui au point de vue des mœurs constitue tout de même un léger progrès.
Les mœurs … Songez à ce que peuvent être celles de ces hommes abandonnés ainsi, sans femmes et sans surveillance, à tous leurs instincts.
Lorsqu’ils rentrent au pénitencier, après l’appel du soir, les gardes-chiourmes les conduisent à leur case qui contient parfois jusqu’à quatre-vingt hommes. ils ferment la porte derrière eux, tournent la lourde clef, et dans l’angoissante touffeur de la nuit tropicale, livrés à tous leurs instincts d’hommes mauvais, à toutes leurs pensées, à toutes les possibilités, sans surveillance et sans contrôle, ils abandonnent les condamnés. Malheur alors aux faibles … Malheur aux jeunes … Malheur à tous ceux qui ne sont pas de taille à se défendre ou qui ont inspiré le désir d’un de leurs codétenus …
Ce qui se passe alors, ce qui peut se passer, le lecteur l’imagine. Et, songeant à tous ces hommes privés de femmes, à leurs perversités, à tout ce que la nuit peut engendrer de sombre et de honteux, je pense en même temps à tous ceux qui ne sont pas foncièrement pervertis, à tous ceux chez qui la conscience et la propreté morale n’a pas encore entièrement disparu, et avec une grande pitié, je crois pouvoir affirmer que de toutes les humiliations auxquelles le bagne les a conduits, celle-là est la plus dure, et certes la plus imméritée.
L’enfer du bagne
p.51-57 :
La pédérastie
Les moeurs homosexuelles ne sont l’apanage ni d’une époque, ni d’une catégorie sociale.
Elles ont toujours existé depuis que le monde est monde. La Bible y fait de nombreuses allusions.
Sous la proche antiquité, ces pratiques étaient considérées comme normales ; elles n’étaient pas l’objet de cette exclusive qui n’a cessé, depuis, de les atteindre et de les déconsidérer jusqu’à nos jours.
Certes, je ne fais pas un plaidoyer en abordant cette question épineuse : je me contente de faire des constatations qui s’imposent. C’est au lecteur d’en tirer les conclusions.
Les mémoires du temps et les historiens qui vécurent aux environs de l’ère chrétienne, nous apprennent qu’à Sparte, après un combat, le plus beau guerrier était la récompense du plus brave. A Athènes, les adolescents se liaient entre eux d’une amitié amoureuse, que ne dénouait pas toujours leur mariage. Tout ce qu’il y avait de plus illustre dans la Grèce et dans Rome, s’adonnait aux moeurs homosexuelles.
De nos jours, avec plus d’hypocrisie et non moins d’intensité généralisée dans toutes les classes de la Société, la pédérastie ne cesse de se produire dans la pluralité de ses manifestations. Cela, notamment au sein des collectivités d’où l’élément féminin est exclu – par exemple, les lycées et collèges, les écoles supérieures et pratiques d’internat. Elle est coutumière, également, dans les marines de guerre et de commerce. Les milieux littéraires et artistiques, les gens du théâtre et du cinéma y sont enclins. Tout cela est archi-connu, irréfutable.
Alors, pourquoi vouloir faire de la pédérastie une exclusivité, une particularité du bagne – comme certains plumitifs ont tenté de l’accréditer aux yeux du grand public ?
Pourquoi, aussi, vouloir faire croire que ces moeurs s’y étalent avec cynisme – alors qu’au contraire la plus grande discrétion, les précautions les plus minutieuses sont de règle dans les manifestations effectives de leur pratique …
Les bagnards privés de femmes, ont l’excuse de la nécessité, du pis-aller qui les obligent à y recourir, alors que dans la vie civile ils ne s’y adonneraient pas.
La pédérastie est certainement une des plaies du bagne, sans contestation possible.
Elle a des conséquences qui la rendent encore davantage malfaisante. En effet, elle entraîne des jalousies, des disputes et aussi des meurtres.
Au bagne, on s’entretue surtout pour la possession de ces efféminés, que l’on appelle là-bas – à juste titre – des planches à guillotine. Inversement, ces unions spéciales sont génératrices d’amitiés souvent profondes.
Leur degré sentimental et passionnel, est souvent plus intense que celui de l’amour naturel et normal.
Parmi les pédérastes passifs, il faut distinguer les passionnés et les intéressés. Les premiers sont des malades, des prédisposés ; les autres spéculent sur leurs attraits pour leur bien-être matériel. Que dire des pédérastes actifs ? II est certain que l’on doit les mettre sur le même plan. L’activité de ceux-ci, rejoint immanquablement la passivité de ceux-là … Du moins, lorsqu’ils ont le physique adéquat à l’emploi.
La Tentiaire, ses agents, n’ignorent rien de ce qui se passe. Chaque dossier le mentionne, négativement ou positivement, en ce qui concerne cette question.
En n’intervenant en rien dans ce domaine intime, l’Administration, pour une fois, montre-t-elle une psychologie avisée ?
Alexandre Jacob
Lettre au député Ernest Laffont,
11 janvier 1932
(…) Et savez-vous ce que votre collègue, très honorable collègue, entend par ignominie ? Rassurez-vous ce ne sont pas les sévices de la règle et du climat, ce ne sont pas les vols, les brigandages commis par les agents et les fonctionnaires contre les forçats, ce n’est pas la gabegie, c’est tout simplement la pédérastie. Mais, coquin de sort, ils n’ont rien entre les cuisses vos collègues ? Ils sont châtrés ? Que voulez-vous que les forçats fassent de leurs gamètes ? C’est naturel cela. Naturel comme boire, manger et respirer. Cela résulte des conditions spéciales auxquelles ils sont assujettis plutôt que de leur vouloir. Est-ce une raison pour les gratifier de la réclusion aggravée ?
Et en cellule, est-ce que le détenu ne se masturbe pas jusqu’à en perdre la raison ? J’en sais quelque chose. J’ai purgé neuf ans de cachot, les pieds aux fers, en tout treize ans de régime cellulaire. Je n’ai nulle honte de l’avouer, je me tapais le nœud au moins deux fois par jours. Il est vrai que j’ai évité la pédérastie, peut-être aussi parce que j’ai pu approcher de très près les femmes de fonctionnaires. (…)
Alexandre Jacob
Lettre à Josette Passas, 1954
Plus fort que tout cela, mais comme courage strictement moral, fut le cas d’une femme de surveillant qui eu des relations avec son garçon de famille, un forçat. Cette femme lui avait écrit quelques lettres qu’il conservât dans son sac. Ayant quitté son emploi, il passa au service du (courtage). A l’arrivée d’un courrier, Les Antilles, l’économe du bord fit cadeau aux canotiers d’un grand plat de langoustines. Sur 16 canotiers, il y eut 14 décès par intoxication. C’est pourquoi on fouilla le sac du défunt et on y trouva ses lettres. Grand émoi chez la gente surveillante. Le commandant fit appeler la petite femme et, croyant la troubler, lui montra les lettres. Imperturbable, elle répondit avec tant de cynisme que le commandant en fut suffoqué. Elle fut expédiée en France avec ses deux enfants, sans courber le front, crânement
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