Marseille, 31 mars 1899


Mont de PiétéLe vol du Mont de Piété fait rire « Marseille jusqu’aux larmes, et toute la France avec elle » nous dit Alexis Danan en 1935 dans le magazine Voilà. Et pour cause, commis le 31 mars 1899, il est mis à jour le lendemain, 1er avril. Repris dans le détail par Alain Sergent, on le retrouve largement romancé dans les biographies de Jacob commises par William Caruchet (Marius Jacob l’anarchiste cambrioleur, p.21-25) et Bernard Thomas (Les vies d’Alexandre Jacob, p.104-107) qui précise même : « Ce style est celui qu’adoptera Arsène Lupin ». On le retrouve dans la bande dessinée 26 rue de la Martinière, tome 4 de la série Pêcheurs d’étoiles de Lacaf et Moriquand. On peut enfin l’ouïr dans le premier des deux cd accompagnant la première édition des Ecrits de l’illégaliste chez L’Insomniaque. Pourtant les sources manquent sur ce truculent larcin. Quelques notes de police, conservées aux Archives Contemporaines de Fontainebleau attestent néanmoins de la véracité des dires de Jacob à Maitron en 1948 puis à Alain Sergent en 1950. Dans ces deux versions de ce vol, conçu comme un acte de révolte, quatre hommes pillent le Mont de piété de Marseille. Il ne sont encore  que quatre puis deux (Jacob et Arthur Roques) dans le compte-rendu du procès d’Amiens fait pour le compte de la Préfecture de police de Paris. Les quatres hommes sont déguisés en policiers. Roques, le plus vieux, revêt les habits du commissaire Jules Pons, nom qu’il emprunte à sa généalogie familiale. L’acte se signale donc par une mise en scène soignée révélant des qualités d’organisation, de la préparation et surtout de la discrétion. Tel est le sens que l’on peut donner aux propos tenus par le compagnon Broussoloux lors de la soirée familiale anarchiste, organisée 5 jours avant la coup d’éclat, au bar Lyrique, 20 Grand Rue à Marseille : « Si quelque camarade veut agir dans un sens quelconque, qu’il ne se confie à personne ; il ne sera certainement pas trahi. On peut agir isolément quand les efforts tendent à un même but ».  Rien ne dit bien sûr que Jacob y assistait. Certes le voleur n’a pas agi seul. C’est peut-être pour cela que les coupables sont vite (le mot est relatif mais montre l’importance de l’affaire) connus. Nous ne savons rien sur le quatrième homme ayant participé à la drolatique indélicatesse du Mont de Piété de Marseille. Toujours est-il que Jacob est condamné à cinq ans de prison par contumace deux mois après son forfait. A l’image de René Bianco, dans La presse anarchiste dans les Bouches du Rhône (p.221), nous pouvons avancer qu’un des deux autres complices, Louis Maurel aurait été retourné par la police. Celui-ci a été acquitté le 9 juin. Mais Joseph Jacob, le père, également poursuivis pour cette affaire, sort libre aussi du tribunal. Le père de l’anarchiste serait ainsi peut-être le quatrième homme. Cela contredirait de facto l’idée d’un homme ayant délaissé femme et enfant par addiction alcoolique. Un rapport du commissariat spécial de Marseille en date du 4 juillet signale l’arrestation de son voleur de fils, ancien « membre de la bande qu’avait formé Lecca et qui désolait les différents quartiers de la ville »,  à Toulon en compagnie d’un deuxième associé. Rappelons que Lecca est celui-là même qui, en 1897 avait donné Jacob à la police Marseillaise après lui avoir fourni l’Indicateur Anarchiste, ce qui occasionna son arrestation pour fabrication d’explosif. Les deux compères arrêtés reviendraient d’Italie. Jacob indique à Maitron que cette arrestation serait encore le fruit d’une dénonciation. Mais le document nous pose problème quant à la présence réelle d’Arthur Roques, « professeur de vol », avec son jeune élève. Claude Barousse, biographe de Roques, souligne un départ précipité pour Vichy après l’affaire du Mont de Piété. Mais Roques a en revanche très bien pu accompagner Jacob en Espagne, commettre quelques vols avec lui dans le Languedoc et, après deux mois de cavale, se séparer de lui avant que celui-ci ne se dirige sur Turin et Milan. L’affaire du Mont de Piété, au-delà de sa dimension comique, marque donc bien un tournant ; elle confirme l’appartenance du jeune Marseillais à la famille des illégalistes anarchistes. Mais cette toute relative célébrité suscite également une pression policière en conséquence. Il est alors sûr qu’après le 1er avril 1899 un engrenage est enclenché.

 

caricature des Monts de Piété par Ricardo Florès dans l\'Assiette au Beurre, 1905Alain Sergent

Un anarchiste de la Belle Epoque

p.41-43 : On accuse les journalistes d’exagérer systématiquement mais, en l’occurrence, ils firent preuve d’une grande sobriété de détails. La réalité était beaucoup plus savoureuse. L’affaire avait été montée par Jacob avec la complicité d’un autre anarchiste nommé Roques, sur les indications d’un troisième libertaire Morel, qui venait de sortir de prison. La victime choisie était fort peu intéressante, et fort propre à servir de bouc émissaire à la vindicte des illégalistes. Les commissionnaires du Mont de Piété, dont l’activité a été interdite depuis longtemps, prêtaient sur les reconnaissances à très fort intérêt, et, comme beaucoup de gens ne pouvaient se libérer, ils devenaient finalement propriétaires des objets engagés au Crédit Municipal contre un prêt généralement insignifiant.

Le 1er avril, Jacob se présenta, accompagné de Roques et de deux autres anarchistes. Roques avait revêtu une redingote, coiffé un gibus, et ceint une écharpe tricolore à laquelle pendait la frange dorée d’un brassard de premier communiant. Roques, Jacob étant trop jeune pour jouer le rôle, se présenta comme étant commissaire de police chargé d’effectuer une perquisition au sujet d’une affaire très grave. Après avoir montré son mandat, qui était bien entendu un faux, il continua : « Vous avez ici une montre qui fait partie du produit d’un vol accompli après un quadruple assassinat. Vous n’êtes pas encore accusé de complicité mais je vous conseille de ne pas gêner l’accomplissement de notre mission ». Le commissionnaire effondré se mit, ainsi que son employé et sa femme, à la disposition de Roques et de Jacob, son soi – disant secrétaire. Le magasin fut fermé et l’inventaire commença. Il dura trois bonnes heures. Tandis que les deux acolytes faisaient semblant de vérifier la comptabilité du commissionnaire, Roques plaçait chaque pièce dans une valise que Jacob notait sur une liste qui devenait de plus en plus longue. Quand tout fut terminé, les menottes furent mises au commissionnaire et à son employé qui durent monter avec Jacob dans un taxi, tandis que le reste de la bande, chargé de valises, s’engouffrait dans une autre voiture.

Le convoi s’arrêta devant le palais de justice et, tandis que ses compagnons s’éclipsaient par une porte, Jacob conduisait ses prisonniers devant celle du Procureur de la République. « Attendez là » ordonna – t – il après les avoir fait asseoir sur une banquette. Puis il entra dans le cabinet du procureur, y passa quelques instant sous prétexte de s’informer des formalités pour enlever une contrainte par corps à indigents et, sortant, déclara au commissionnaire, après avoir récupéré ses menottes : « Le procureur va vous interroger. Moi, je m’absente un instant, mais surtout n’essayez pas de vous évader ». Puis, il s’en alla rejoindre ses complices et toute l’équipe fila pour Barcelone.

Le commissionnaire et son employé continuaient à se morfondre. Au moment de la fermeture, le concierge s’informa, répondit que le procureur était parti depuis longtemps. Alors, le commissionnaire, de plus en plus inquiet, se mit à gesticuler en tenant des propos que le fonctionnaire jugea incohérent. Il en référa aussitôt à un juge d’instruction qui, pressé de partir, commanda de mettre ces hurluberlus en cellule. Là, comme les victimes de Jacob ne cessaient de se lamenter, un brigadier de gendarmerie les interrogea, trouva l’affaire des plus bizarres et alerta quelque autorité. Le pot – aux – roses fut alors découvert et Marseille s’en paya à cœur joie au sujet de ce poisson d’avril d’une si belle couleur locale

 

Télégramme

Marseille, 04 avril 1899

Commissaire Spécial à Intérieur Sûreté, Préfet, Commissaire Spécial Valence, Sous-Préfet Montélimar, Préfet Marseille, M. Paoli Commissaire Spécial Nice

Anarchiste Jacob Alexandre, aurait quitté Marseille pour destination inconnu en compagnie d’un nommé Roche, sorti récemment de prison Marseille où il était détenu pour vol. Jacob : 1m66, cheveux, sourcils châtain clair, barbe naissante, visage ovale, teint pâle, marche courbée.

 

Rapport n°990

Commissariat Spécial de Marseille à Ministère de l’Intérieur,

Anarchiste Jacob Alexandre

Duplicata transmis à Préfecture

Marseille, le 10 juin 1899

J’ai l’honneur de vous faire connaître que l’anarchiste Jacob Alexandre a été condamné le 9 courant à 5 ans de prison et 50 francs d’amende pour escroquerie commise au préjudice de M. Gilles, commissionnaire au Mont de Piété, en se faisant passer pour commissaire de police.

Son père et un sieur Maurel, poursuivi pour complicité, ont été acquittés.

Jacob se serait réfugié à Nîmes où il se cacherait sous le nom « d’Albert ».

Sa photographie et sa notice individuelle ont été adressées à mon collègue de Nîmes.

Le Commissaire spécial

Lesbre

 

Rapport n°372

Commissariat spécial de la gare de Nîmes

Anarchistes

Jacob Alexandre

Nîmes, le 22 juin 1899

L’anarchiste Jacob Alexandre, dit Albert, typographe, récemment condamné par défaut à Marseille, à 5 ans de prison, se trouverait actuellement à Nîmes.

Il fréquenterait l’anarchiste Fabre Denis et logerait chez lui ou chez le compagnon )Erny Frédérico).

Cet individu vient quelques fois au café Dayre, 22 rue de la Vierge, avec Fabre. Il se cache la figure dans un mouchoir et parle rarement.

Il est vêtu d’un complet en coutil gris et coiffé d’un chapeau mou noir.

Le Commissaire spécial

Envoyé à M. le Préfet et à Sûreté Générale.

 

le boni, caricature de Ricardo Florès dans l\'Assiette au Beurre, 1905Note

L’anarchiste Jacob Alexandre qui demeurait impasse Amédée Autran 6 a été arrêté avant-hier à Toulon sous l’inculpation de vol et reconnu comme étant l’auteur du vol commis le 31 mars à la rue du Petit Saint Jean chez M. Gilles commissionnaire au Mont de Piété.

Marseille, le 3 juillet 1899

(Branco)

 

Rapport n°1098

Commissariat spécial de Marseille

04 juillet 1899

Duplicata transmis à Préfecture

J’ai l’honneur de faire connaître que l’anarchiste cambrioleur Jacob Alexandre vient d’être arrêté à Toulon avec son complice Roch Arthur, dangereux repris de justice sorti de la prison Saint Pierre il y a 3 à 4 mois environ.

Jacob a été condamné par contumace le 9 juin dernier par le tribunal correctionnel de Marseille à 5 ans de prison et 50fr d’amende pour escroquerie.

Je crois devoir rappeler que cet individu Cet individu, après avoir été condamné le 3 août 1897 par le même tribunal à 6 mois de prison et 50fr d’amende pour association à une bande de malfaiteurs s’était depuis quelques temps placé au premier rang des malfaiteurs de notre région.

En effet, en dehors de ses opinions anarchistes qui le rendent très dangereux, Jacob aurait participé à plusieurs tentatives de vols avec effraction. Pour (beaucoup), il n’a pas été poursuivi ayant toujours réussi à dépister les recherches.

C’est ainsi qu’il aurait pris une part des plus actives à la tentative de vol commis dans le courant de juin 1898 à la fabrique de plomb des Chartreux dans laquelle il était employé comme comptable (rapport n°1537 du 22 juin 1898).

Le 19 mars 1899 il aurait avoué à un camarade avoir essayé de fracturer, dans la nuit, les troncs de l’église du Vallon de l’Orial mais n’avoir pas réussi sa tentative criminelle, sa perforeuse s’étant brisée. Il ajoutait également que quelques jours auparavant il avait tenté de pénétrer dans un couvent des environs de la ville, mais qu’il avait été mis en fuite par une ronde de moines (rapport n°573 du 29 mars 1899).

La capture de Jacob est la fin de la bande qu’avait formé Lecca et qui désolait les différents quartiers de la ville. Presque tous les membres de cette association de malfaiteurs sont aujourd’hui entre les mains de la justice.

Le Commissaire spécial

 

Dossier de presse « La bande sinistre et ses exploits »

Procès d’Amiens

1e audience,

8 mars 1905

Il y a quelques années, à Marseille, Jacob et trois de ses complices se présentaient chez un commissionnaire du Mont de Piété et se faisaient passer le premier pour le commissaire de police du quartier, les autres pour le secrétaire et les inspecteurs.

– Je suis porteur d’un mandat d’arrêt vous concernant, dit Jacob à l’infortuné commissionnaire, pour éviter tout scandale nous allons vous conduire en voiture au palais de justice.

La victime se laissa emmener dans l’un des coupes amenés à cet effet: arrives devant le palais, tandis que ses hommes pillaient et mettaient littéralement à sac la demeure du com­missionnaire, Jacob tenait celui-ci en haleine dans le véhicule … puis Ie quittait brusquement sous prétexte d’aller rendre compte de sa mission au procureur de la République. Ce coup d’audace rapporta aux bandits la bagatelle de 500000 francs d’objets d’art et de numéraire.

(…)

Les membres de la bande

(…) En 1899, il commet une escroquerie audacieuse au préjudice de M. Gilles, commissionnaire au Mont de Piété. Il s’était fait passer pour le commissaire de police et, accompagné d’un complice qu’il disait être son secrétaire, s’était, sous prétexte de perquisition, fait remettre par M. Gilles des bijoux et des valeurs.

2e audience,

9 mars 1905

Interrogatoire de Jacob

Celui-ci est né à Marseille le 27 septembre 1879.

– A l’age de 11 ans, vous vous étés embarqué a bord des Messageries maritimes.

-Oui.

– Vous revenez à Marseille et vous entrez dans une imprimerie.

Jacob ne répond pas.

– En 1897, vous aviez à peine 18 ans, vous êtes arrêté a Marseille et condamné par la cour d’appel d’Aix, pour fabrication et détention d’explosifs, à six mois de prison et 50fr d’ amende.

-Hein!

C’est à cette époque, 1897, que Jacob fait la connaissance d’un nomme Arthur Roques, malfaiteur dangereux et habile et qui parait avoir été son professeur de vol.

Tous deux sont obligés de quitter Marseille à la suite d’une escroquerie des plus audacieuses, commise le 31 mars 1899, au préjudice d’un nommé Gilles, commissionnaire au mont-de-piété, chez lequel ils s’étaient présentés en se faisant passer pour le commissaire de police et son secrétaire, et par qui, sous prétexte d’une perquisition, ils s’étaient fait remettre des bijoux et des valeurs.

– Pourquoi insister, dit Jacob, puisque je le reconnais ?

Depuis cette affaire, Jacob, sous le nom de Jules Pons, parcourt avec Roques les villes du Midi et commet des vols à Poilhes, à Lodève, à Béziers, à Narbonne.

– Votre complice Roques doit de n’être pas poursuivi actuellement à une condamnation ­aux travaux forcés à perpétuité pour fabrication et émission de fausse monnaie, prononcée le 14 mai 1902 par les assises de la Charente-Inferieure.

 

Alexis Danan

Le vol au Mont de Piété de Marseille par Lacaf et MoriquandArticle Jean Valjean 1935

dans Voilà

18 mai 1935

Ce Marseillais, à peine sorti des culottes courtes de l’adolescence, ce n’était point le fanfaron des histoires. Il recruta, patiemment, toute une équipe de « collaborateurs » de sa trempe, et, pour l’instruire dès l’abord de ce que serait sa manière, avant tout truculente, sans préjudice de la plus folle audace, il imagina cette première offensive du Mont de Piété, qui fit rire Marseille jusqu’aux larmes, et toute la France avec elle. Lui qui avait tant pâti des perquisitions, c’est par une perquisition bouffonne qu’il entendit inaugurer ses exploits. Armé de faux papiers de police, il exigea du Crédit Municipal l’inventaire des bijoux, exprima sévèrement ses doute sur la régularité de certaines opérations, emporta contre reçu pour 400000 francs de bagues, de montres et de colliers, et puis, afin de corser l’invraisemblable aventure, emmena « sous bonne escorte » le directeur tout effaré chez le Procureur. Demeuré seul dans les couloirs du parquet, le malheureux fonctionnaire, après quatre heures d’attente, manifesta si vivement son impatience de s’expliquer, que le Procureur, le tenant pour un fou, requit son admission immédiate dans un asile

 

Alexandre Jacob

Souvenirs rassis d’un demi-siècle

Avec la collaboration de trois associés (un commissaire de police, deux agents et un secrétaire – j’étais le secrétaire) nous opérâmes une perquisition dans un bureau du Mont de Piété à Marseille. Je passai ensuite en Espagne (Barcelone) puis en Italie (Turin et Milan). Revenu à Toulon j’y fus arrêté sur la dénonciation d’un salaud que j’avais obligé.

Sources :

         Archives Contemporaines de Fontainebleau, 19940455, article 6, dossier 512 : Jacob Alexandre Marius 1897 – 1908

         Archives départementales des Bouches du Rhône, 1M1370 : dossier de surveillance d’Alexandre Jacob 1897-1899, M6/3350

–    Archives de la préfecture de police de Paris, EA/89 : dossier de presse « La bande sinistre et ses exploits« 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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