Fou !
La folie d’Alexandre Jacob est un leurre. De retour d’Italie, il est arrêté à Toulon le 29 juin 1899. Cinq jours plus tard, le commissariat spécial de Marseille signale une interpellation en compagnie de « son complice Roch Arthur, dangereux repris de justice sorti de la prison Saint Pierre il y a 3 à 4 mois environ ». A cette date le compagnon de vol du jeune anarchiste, et complice dans le cambriolage du Mont de Piété de cette ville, 31 mars 1899, se trouve à Vichy, où il a loué une maison depuis le mois de mai. Il y demeure sous le faux nom de Louis Courtin avec sa femme, Marie Vors, et avec sa compagne, Julia Vors, jusqu’au mois d’octobre 1901. L’homme appréhendé avec Jacob ne peut donc être Arthur Roques, et non Roch comme l’écrit le fonctionnaire de police. Il ne peut s’agir également de Roch, gérant de feu L’Agitateur, organe de la Jeunesse Internationale en 1897, celui-ci se prénommant Edouard et non Arthur. Quoi qu’il en soit, Alexandre Jacob sait très bien le sort qui lui est réservé. S’il n’a que faire de la condamnation à un an de prison que prononce contre lui le tribunal correctionnel de Toulon, le 19 septembre 1899, c’est qu’il doit également subir la peine de 5 ans de prison pour laquelle il a été condamné à Marseille par défaut le 9 juin. L’illégaliste élabore alors toute une stratégie. En apparence simple, voire simpliste, mais au final couronné de succès. Le voleur fait appel du jugement de Toulon. Celui – ci est confirmé par la cour d’appel d’Aix en Provence le 18 octobre 1899. Mais le comportement du détenu pose problème à ses geôliers. Il présente en effet de nombreux symptômes de dérèglement psychiatrique qui poussent la cour d’appel un arrêt préparatoire à jugement médical. Jacob se retrouve interné à l’asile Montperrin de cette ville. Le jeune homme n’innove pas. Bien avant lui, son ami Jules Clarenson a déjà testé en 1891, à Marseille, et en 1892, à Bordeaux, un mode opératoire autorisant une évasion nettement plus aisée que dans une prison. Pour autant, les médecins chargés de l’observation du prévenu Jacob, se disant persécutés par les jésuites, ne semblent pas dupes de l’attitude du dit malade mental. Les incertitudes du diagnostique médical n’entament pas fondamentalement les projets d’Alexandre Jacob. Son placement en asile psychiatrique lui procure une marge de manœuvre suffisamment grande pour pouvoir envisager une proche liberté. Astreint à jouer les malades mentaux, Jacob compte sur ses amitiés anarchistes et sur celle de l’infirmier Royère pour le faire sortir de l’hôpital. C’est chose faite dans la nuit du 18 au 19 avril 1900. Deuxième coup d’éclat du jeune illégaliste après celui du Mont de Piété !
Note
L’anarchiste Jacob Alexandre qui demeurait impasse Amédée Autran 6 a été arrêté avant-hier à Toulon sous l’inculpation de vol et reconnu comme étant l’auteur du vol commis le 31 mars à la rue du Petit Saint Jean chez M. Gilles commissionnaire au Mont de Piété.
Marseille, le 3 juillet 1899
(Branco)
Rapport n°1098
Commissariat spécial de Marseille
04 juillet 1899
Duplicata transmis à Préfecture
J’ai l’honneur de faire connaître que l’anarchiste cambrioleur Jacob Alexandre vient d’être arrêté à Toulon avec son complice Roch Arthur, dangereux repris de justice sorti de la prison Saint Pierre il y a 3 à 4 mois environ.
Jacob a été condamné par contumace le 9 juin dernier par le tribunal correctionnel de Marseille à 5 ans de prison et 50fr d’amende pour escroquerie.
Je crois devoir rappeler que cet individu Cet individu, après avoir été condamné le 3 août 1897 par le même tribunal à 6 mois de prison et 50fr d’amende pour association à une bande de malfaiteurs s’était depuis quelques temps placé au premier rang des malfaiteurs de notre région.
En effet, en dehors de ses opinions anarchistes qui le rendent très dangereux, Jacob aurait participé à plusieurs tentatives de vols avec effraction. Pour (beaucoup), il n’a pas été poursuivi ayant toujours réussi à dépister les recherches.
C’est ainsi qu’il aurait pris une part des plus actives à la tentative de vol commis dans le courant de juin 1898 à la fabrique de plomb des Chartreux dans laquelle il était employé comme comptable (rapport n°1537 du 22 juin 1898).
Le 19 mars 1899 il aurait avoué à un camarade avoir essayé de fracturer, dans la nuit, les troncs de l’église du Vallon de l’Orial mais n’avoir pas réussi sa tentative criminelle, sa perforeuse s’étant brisée. Il ajoutait également que quelques jours auparavant il avait tenté de pénétrer dans un couvent des environs de la ville, mais qu’il avait été mis en fuite par une ronde de moines (rapport n°573 du 29 mars 1899).
La capture de Jacob est la fin de la bande qu’avait formé Lecca et qui désolait les différents quartiers de la ville. Presque tous les membres de cette association de malfaiteurs sont aujourd’hui entre les mains de la justice.
Le Commissaire spécial
Cour d’appel d’Aix en Provence
18 octobre 1899
La Cour d’appel d’Aix (Chambre correctionnelle) a rendu l’arrêt suivant :
Entre Jacob Alexandre Marius, représentant de commerce, 20 ans, né le 27 septembre 1879, à Marseille, fils de Léon Joseph et de Marie Elisabeth, célibataire, demeurant à Marseille, impasse Amédée Autran, villa des Trois Sœurs.
Prévenu de vagabondage et étant portezur d’instruments propre à commettre des vols.
Appelant du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Toulon, le 19 septembre 1899,
En présence de Monsieur le Procureur Général
L’audience publique ouverte, l’huissier de service a appelé la cause, le prévenu étant présent ; Monsieur le Conseiller Bayer a fait le raportde l’affaire et la lecture des pièces de la procédure, notamment du jugement dont est appel, qui déclare le prévenu Jacob Alexandre Marius coupable d’avoir été trouvé à Toulon le 29 juin 1899 en état de vagabondage, étant porteur d’armes et d’instruments propres soit à commettre des vols ou d’autres délits, soit à lui procurer les moyens de pénétrer dans les maisons ; en réparation et par application des articles 277.463.52 du code pénal, 194 du code d’instruction criminelle, le condamne à un an d’emprisonnement et aux dépens liquides à quatre vingt quinze francs et 88 centimes avec contrainte par corps ; (…) Attendu que l’attitude du prévenu, l’incohérence de son raisonnement sont de nature à faire naître des doutes sur son état mental ; qu’il y a lieu avant de statuer au fond à une observation spéciale de manière à rendre compte s’il est responsable de ses actes et à quel degré, la cour sursoit à statuer au fond, ordonne que Jacob Alexandre Marius sera soumis à une observation médicale et commet à cet effet les docteurs Dargelos, Rey et (Conde), lesquels prêteront serment entre les mains de M. le Président et leur donne mission d’examiner l’état mental du prévenu, de rechercher s’il est responsable de ses actes et quel est son degré de responsabilité. Dit qu’il sera dressé rapport de leurs observations.
Aix en Provence
Pour le traitement des maladies mentales et nerveuses
Bulletin de santé concernant M. Jacob Alexandre.
M. Jacob est toujours dans le même état. Il prétend toujours être persécuté par les jésuites qu’il dit voir et entendre. Il est encore en observation et nous n’avons pu encore nous prononcer sur la réalité de son délire. Il parle toujours de ses idées anarchistes et des bombes qu’il veut confectionner. Santé physique bonne.
Aix en Provence, le 27 février 1900.
Un anarchiste de la Belle Epoque
p. 48 : Emprisonné, Jacob se pourvoit en appel et est transféré à Aix. Mais il sait bien que le jugement sera confirmé. Alors il simule la folie et est envoyé en observation à l’asile du Mont Perril, le même qui abrita Van Gogh. Un surveillant anarchiste, recommandé par des camarades d’Aix, lui conseille d’accentuer les signes de déséquilibre afin d’être envoyés dans la section des agités où il bénéficiera d’un isolement propice à l’évasion. Jacob joue si bien son rôle que le directeur de l’asile envoie à la famille des nouvelles peu rassurantes. J’ai retrouvé dans les vieux papiers jaunis que Jacob a tirés pour moi de son grenier, une lettre dans laquelle il affiche son pessimisme nuancé d’ailleurs de scepticisme :
Bulletin de santé concernant de Monsieur Jacob
Monsieur Jacob est dans les mêmes dispositions. Il se prétend persécutés par les jésuites, accuse des hallucinations de la vue, et ne veut pas entendre parler de sa famille. Monsieur Jacob est en observation et nous ne sommes pas encore tout à fait fixés sur la réalité de son délire.
Aix en Provence le 14-1-1900
Le Directeur Médecin
En réalité, Alexandre, grâce au surveillant complice, est en rapport constant avec sa famille et prépare son évasion qui devient possible à partir du moment où il se trouve isolé dans une cellule.
Sources :
– Archives Contemporaines de Fontainebleau, 19940455, article 6, dossier 512 : Jacob Alexandre Marius 1897 – 1908
– Archives Départementales des Bouches du Rhône, 159U105 : arrêt n°842 de la cour d’appel d’Aix en Provence,
– Archives privées, Guy Denizeau
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