Jacob, Janine, Robert, Josette, Pierre, Guy, Paul, Madeleine et moi
Il y a quelques temps, Jean-François Amary nous a écrit une lettre à notre demande. Sa femme, Janine, et lui disposaient des archives personnelles d’Alexandre Marius Jacob. Ce fonds, précieux entre tous, a depuis été déposé au CIRA Marseille. Le vieux marchand forain, en 1951, rencontre un jeune instituteur de la Drôme chez lui, dans son hameau de Bois Saint Denis. Immédiatement, l’amitié qui lie les deux anarchistes, Robert Passas et Alexandre Jacob, semble indéfectible. Le « jeune vieux », comme l’appelle Robert Passas, lui a donné tous ses papiers. Quand nous avons contacté Janine et Jean-François, Robert Passas était décédé depuis trois ans. Sans eux, notre travail sur l’honnête cambrioleur n’eût pu être possible tant est grande la richesse documentaire de leurs archives. C’est donc tout naturellement que nous avons pensé que la voix, ou plutôt la plume, de Jean-François devait s’exprimer ici, dans ce blog. Il nous raconte alors son Jacob et tous les amis qu’il a pu connaître et apprécier à travers le souvenir de l’illégaliste.
le 14 juillet 2008
Un Robin des bois, un redresseur de torts, ainsi mon copain Jean-Jacques, fils d’anar espagnol exilé chez nous (en pleine Beauce, entre Orléans et Chartres) depuis 1936, qui devait avoir le « Sergent » dans sa bibliothèque, me présentait JACOB au début des années soixante-dix.
Les anecdotes savoureuses qu’il me contait achevaient sans problème, la conquête de mon libre-esprit par l’idéal anarchiste. Nous n’avions pas participé aux « événements » de mai 68, mais Jean-Jacques me parlait de plus en plus de « contestation », de « fédéralisme libertaire », d’ « autogestion ».
Tout ne m’emballait pas là-dedans, mais peu à peu, je devenais conscient de ce qui ne va pas sur cette terre pour que tout le monde puisse y vivre en paix.
Je peux donc me définir comme un « soixante-et onzard ».
(…) Sur les conseils de Jean-Jacques, j’avais acheté le livre de Bernard Thomas, mais j’attendais je ne sais quoi pour le lire. Pendant les années quatre-vingt, nous allions mes copains Christian, Alain et moi aux conférences « Défense de l’Homme » organisées par Maurice Laisant à Paris, et il nous arrivait d’y rencontrer Guy Denizeau, un des derniers amis de Jacob, qui nous en parlait évidemment. Nous fréquentions depuis dix ans Pierre-Valentin Berthier qui ne tarissait pas d’éloges pour le cambrioleur anarchiste.
Puis est sorti le Carruchet, en 1993.
Allez savoir, pourquoi, lui, je l’ai lu tout de suite, et il m’a donné envie de lire le Thomas dans la foulée. Comme Carruchet évoquait les époux Passas qui l’avaient documenté, j’ai tout de suite pensé aller les voir avec mon vélo (je suis cyclotouriste), puis je me suis dit qu’ils devaient être suffisamment sollicités sans moi, et j’ai oublié ce projet.
En 1995, j’ai accompagné Christian, un copain qui interviewait Olivier Cueto, des éditions de l’Insomniaque à Montreuil, pour une émission d’une radio-libre, anar, à Lille. Ce « rappel » très éloquent m’a fait du bien, et Jacob est revenu hanter mes rêves.
La même année, Christian m’a écrit : « puisque tu descends dans le midi avec ton vélo, pourquoi n’irais-tu pas voir les époux Passas ? Outre Jacob, vous pourriez parler vélo puisque c’est avec ce moyen de locomotion que Robert Passas est allé rencontrer Jacob à Reuilly en 53 ! »
J’ai donc écrit à Cueto pour lui demander leur adresse. Attention, m’a t-il prévenu, Robert est gravement malade.
Avec précautions, j’ai écrit aux Passas, et j’ai été agréablement surpris un midi, de recevoir un coup de fil de Madame Passas, qui se réjouissait de ma visite, tout en me confirmant l’état inquiétant de son mari.
Me voilà parti en juin 96 avec tout mon bardas sur un vélo flambant-neuf, avec le livre de Sergent dans les bagages pour les soirées sous la tente. (…) Me voilà donc un samedi soir devant la porte des Passas. Un peu déçu par ce pavillon plutôt récent, alors que je m’imaginais un ancien presbytère noyé dans la verdure. La maîtresse de maison, beaucoup plus jeune que je ne me l’imaginais, m’a tout de suite mis en confiance, m’a décrit la maladie de son mari, et m’a préparé à le rencontrer. Alité et sans forces, il s’est assis pour me recevoir et bien me regarder. Il parlait très peu mais son regard en disait long, très long. Janine, sa deuxième épouse, de vingt-deux ans plus jeune, avait invité Josette pour me rencontrer. (…) Nous avons passé une soirée toute en émotions, autour de la table à laquelle on approchait Robert sur son fauteuil roulant. Jacob était bien entendu le centre de la conversation, l’amitié aussi avec un grand A, le même que celui de l’amour.
Ironie du sort, Janine avait refusé que je plante ma tente sur la pelouse et m’avait aménagé un coin douillet dans le grenier de la maison. A mon chevet se trouvaient quelques numéros du « Musée du soir » (littérature prolétarienne), de Défense de l’Homme et de « La Tour de Feu », revues auxquelles avait collaboré Robert.
Le lendemain matin, alors que je rangeais mes bagages dans mes sacoches, Robert m’a demandé de lui accorder une journée de visite supplémentaire. (…) Nous avons parlé de Jacob, d’anarchie, du bagne, de cyclo-tourisme, mais aussi de poésie (Robert en écrivait depuis son plus jeune âge), de littérature, et de protection animale, (…).
Le lundi matin, c’est bien entendu en larmes que nous nous sommes séparés. Je ne pourrai jamais oublier Robert dans son fauteuil, couverture sur les jambes, le regard mouillé d’émotion, et Janine gesticulant sur la route avec ses signes d’adieux, pendant que je zigue-zaguais sur mon vélo en gravissant la côte de Chatuzange le Goubet.
Toute la journée, j’ai pensé à mes nouveaux amis et leur sens de l’hospitalité, que je n’ai jamais rencontré que chez les pacifistes et les anars.
(…) Le 23 septembre, lendemain de la grande manif anticléricale à Paris où mes copains et moi déroulions les banderoles du C.R.O.A., Robert s’est éteint.
(…) En septembre 97, je quittais définitivement ma maison natale, celle aussi de mes parents et grands parents, pour m’installer à Chatuzange, avec Janine, au milieu des bouquins de Robert. Josette est devenue ma « mère adoptive ».
Nous avons d’abord confié les lettres de Jacob à sa mère et à ses amis, dont Robert était dépositaire, à Jean-Marc Delpech qui commençait ses recherches pour sa thèse, puis nous les avons remises au C.I.R.A. de Marseille.
En juin 2006, alors que nous ne sortons jamais de la fermette paternelle de Janine, que nous retapons petit à petit, nous avons répondu à l’invitation de Jean-Marc qui devait défendre sa thèse à l’Université de Nancy. Ce fut pour nous un grand moment de « Jacobisme », d’amitié et d’amour une nouvelle fois. (…) Très éprouvante pour Jean-Marc, la présentation de sa thèse a été pour nous un régal. Au premier rang du public, Josette avait parfois tendance à piquer du nez…
Mais j’ai oublié d’évoquer Paul Bourdonneau. Ami de jeunesse de Robert et Josette et comme eux ancien du Service Civil, objecteur de conscience et pacifiste, passionné d’informatique, il s’est amusé à retranscrire toutes les correspondances de Jacob, et c’est grâce à son travail de Bénédictin que les copains de l’Insomniaque ont pu publier « Ecrits » de Jacob. Dès ma visite de juin 96, Janine m’a conduit chez lui, et depuis, nous nous rencontrons plus ou moins régulièrement. A 88 ans, quasiment aveugle, Paul surfe sur Internet pour y trouver des archives musicales. Et actuellement, il fait des trouvailles sur Jacoblog et le site de Radio-libertaire.
Aux Congrès de l’Union Pacifiste, j’ai fait la connaissance de Madeleine Briselance dont les parents étaient amis avec Jacob.
Depuis une trentaine d’années, je suis ami et correspondant de Pierre-Valentin Berthier qui lui aussi était ami avec Jacob, même après avoir quitté son Berry natal pour vivre à Paris.
Un soir, nous avons eu le plaisir de le voir à la TV, questionné sur Jacob par l’animateur Delarue dans son émission consacrée au vol.
Infiniment plus grand a été depuis mon plaisir, quand chez eux à Montmartre, Pierre-Valentin et son épouse Suzanne, m’ont projeté un « rush » de cette émission, non diffusé sur l’antenne, où l’on voit Pierre-Valentin complètement délesté de tout le contenu de ses poches, par un très habile ancien pick-poket Belge reconverti dans la police, qui volait ce soir là la vedette à l’animateur. Voir, au gré des pitreries de l’invité voleur, le visage de Delarue se décomposer par la jalousie est un régal inoubliable. Une facétie qu’aurait certainement appréciée Jacob.
2008 : Guy Denizeau est mort récemment. Pierre-Valentin a perdu sa chère Suzanne et âgé de 97 ans, il voit ses dernières forces l’abandonner, et la cécité le terrasser. Madeleine bien que plus jeune, est elle aussi cassée par la maladie. Paul lui s’accroche à son ordinateur, et son éternelle bonne humeur étonne tout le monde. Josette (…) entretient une correspondance de ministre partout dans le monde où elle s’est fait des amis. Elle voyage un peu moins qu’avant, mais de stage en stage (danse, ésotérisme), elle rencontre toujours des gens, qui deviennent des nouveaux amis, et la chaîne s’allonge autour d’elle.
Jacob lui n’a pas pris une ride. Le voilà qui réapparaît dans la thèse de Jean-Marc, publiée ces jours-ci (15 mai en principe) et aussi dans un CD et une BD incessamment.
(…) Personnellement, je lui dois outre l’amour de ma vie et par conséquent mon doux exil en Dauphiné, l’enracinement de mon idéal anarchiste et pacifiste, même si Jacob ne l’était pas pacifiste.
Quelle place lui accorder dans mon Panthéon ? Difficile à le départager avec Gaston Couté, poète libertaire beauceron, Louis Lecoin et quelques autres défenseurs de nos idées.
Jacob n’a jamais cessé de montrer qu’il était un « sur-homme » dans le sens où doté d’une intelligence exceptionnelle, il l’a mise entièrement au service d’une cause, celle de la défense des opprimés.
Qu’est ce qui fait que de rares personnes comme lui se mettent au service des autres, alors qu’une grande majorité voudrait mettre les autres à son service ?
HOMME LIBRE, Jacob, malgré presque vingt-cinq ans d’emprisonnement dans les pires conditions. Il est resté libre et digne jusqu’à la fin qu’il a choisie et organisée ainsi qu’il le voulait.
S’il fallait le résumer par un slogan, ne serait-ce pas : « A BAS TOUTES LES PRISONS » ?
Jean-François Amary
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