Mercredi 22 mars 1905
Cent quatre ans. 22 mars 1905. 22 mars 2009. Sombre anniversaire. Le verdict du procès d’Amiens vient de tomber. Indulgence d’un jury qui n’aurait pas suivi les recommandations du ministère public ? Indulgence d’un jury qui accorde des circonstances atténuantes ?
Pas sûr.
Malgré les plaidoiries estimées brillantes de Mes Justal et Lagasse, le verdict est lourd malgré les atermoiements d’une presse qui, à l’image du numéro de Gil Blas en date du jeudi 23 mars, le trouve « plutôt bienveillant ». Malgré les sept acquittements, force est restée à la loi. Le lecteur peut être rassuré. Ce sont de belles condamnations à mort sans utilisation de guillotine. Pas d’Abbaye de Monte-en-l’air pour les Travailleurs de la Nuit. Le couperet de la mécanique à Deibler ne tranchera pas de tête cette fois-ci. Horizon vert et équatorial pour neuf des vingt-quatre accusés qui ont fait sensation pendant la session des assises picardes. Horizon sombre plutôt. La mort assurée en moins de cinq ans selon la statistique officieuse. La prison métropolitaine pour les autres et pour Marie Jacob en particulier. Rose Roux, la compagne de l’honnête cambrioleur, y laisse sa peau en 1907. Malheur aux vaincus ! Seul, le sort de Jacques Sautarel, littérateur, bijoutier, anarchiste et receleur, semblent quelque peu émouvoir journalistes et avocats. Sept sortent pourtant libres des mains d’une justice forcément de classe. Chasse aux pauvres et à l’anarchiste sous couvert de lutte contre l’insécurité galopante. 22 mars 1905. Le procès est terminé. Justice est faite. La presse parisienne est repartie. La Picardie peut dormir tranquille. Alexandre le voleur est devenue Jacob le bagnard. Attila a revêtu la livrée d’infamie de Barrabas. La matricule 34777 doit expier. La journée est narrée dans les colonnes de L’Abbevillois le lendemain, dans celles de la Gazette des Tribunaux deux jours plus tard. Le rapport du brigadier Doyen à la Sûreté Générale de Paris (23 mars) rend pourtant compte d’un capital de sympathie accumulé par le voleur anarchiste et les autres Travailleurs de la Nuit. Une foule de plus de deux mille personnes assiste en effet à la sortie des accusés condamnés. Les cris fusent. Et la presse ne peut s’empêcher de signaler avec une certaine mauvaise foi que les « Vive Jacob ! » sont bien vite étouffés par ceux de « A mort ! ». 22 mars 1905 : le spectacle judiciaire amiénois est clos. Happy Birthday ?
Jeudi 23 mars 1905
Cours d’Assises de la Somme
Les cambrioleurs meurtriers
Audience du 22 mars
L’audience est ouverte à 10h05. Les expulsés ne sont toujours pas là.
Monsieur le Président ayant fait remettre à chacun des jurés un exemplaire de l’acte d’accusation, « Bonnefoy » demande la parole « pour relever les ereurs qui se sont glissées dans cet acte d’accusation ».
« Je vous prie, dit-il aux jurés, de prendre des notes. C’est pour moi un droit de me défendre, c’est pour vous un devoir de m’écouter ».
Et, pendant près d’une demi-heure, Bonnefoy répète ses explications sur les fausses pièces d’identité dont il était possesseurs, sur son séjour rue de la clef, sur ses antécédents, sur l’affaire Bernard (lequel, dit-il, n’était pas son patron mais son associé et qui ne s’est pas suicidé sous ses yeux mais pendant son sommeil), sur sa vie toute de travail, sur ses rapports avec Clarenson et sur son rôle dans l’affaire de la rue Quincampoix.
« Partout où vous verrez mon nom, dit-il en terminant, consultez le dossier et vous trouverez une pièce démentant l’acte d’accusation.
« Augain, à son tour, fait de nouveau remarquer que plusieurs témoins l’ont reconnu comme étant à Angers, alors qu’il était en prison, et il s’en remet avec confiance aux jurés.
Les débats sont clos et, avec le cérémonial accoutumé, les jurés sont reconduits dans leur salle de délibération où ils auront à répondre à 696 questions.
La délibération du jury
Le jury est entré en délibération un peu après 10h1/2 du matin est sorti à 8h45 du soir de la salle spéciale où il était réuni et gardé par la force armée.
La délibération a donc demandé 10h15.
Pendant ce temps ceux des jurés qu’un besoin pressant appelait hors de la salle étaient conduits à l’endroit où ils pouvaient y satisfaire par un chasseur à pied ou un soldat du 72e , qui les accompagnait, baïonnette au canon … jusqu’à la porte.
Le juré supplémentaire, pendant ce temps, était claquemuré seul dans une salle avec un gendarme à la porte : dix heures de prison cellulaire !
La plupart des jurés semblent encore assez dispos. En rentrant, pourtant, l’un d’eux, trahit le sentiment général de ses collègues en disant à mi-voix : « Je m’en souviendrai toute ma vie ».
A 9h10 du soir, les accusés sont introduits dans la salle d’audience.
Monsieur le greffier leur donne lecture des réponses du jury.
Monsieur le procureur général requiert l’application des articles relevés dans l’arrêt de renvoi.
Me Fabiani demande l’application de la loi de sursis pour la femme Ferré et le minimum de la peine pour Ferré.
Me Grad demande la loi de sursis pour Brunus.
Me Lagasse s’étonne qu’on n’ait pas accordé les circonstances atténuantes à Sautarel. Il développe les conclusions prises au cours des débats tendant à demander acte à la Cour de la façon dont il a été procédé au tirage au sort du jury.
Me Pierre Dubos demande la loi de sursis pour Charles.
Me Caumartin demande la confusion de la peine pour Ferrand et Vaillant avec celle qu’ils subissent à la suite d’un arrêt de la cour de Nevers.
Acquittements
La Cour, avant de se retirer pour délibérer, rend un arrêt acquittant :
Ader Alcide, Apport Georges, Augain Emile, Chalus Louis, Westermann Henri, Limonier Emile, et Tissandier Léontine pour lesquels le jury a rendu un verdict négatif.
Les condamnations
A 10h50 la Cour rend son arrêt. Elle rejette les conclusions de Mes Hesse et Lagasse concernant la façon dont il a été procédé au tirage du jury.
Elle condamne contradictoirement :
Jacob Alexandre, aux travaux forcés à perpétuité,
Bour Félix, aux travaux forcés à perpétuité,
Ferrand Joseph, à 20 ans de travaux forcés,
Pélissart Léon, à 8 ans de travaux forcés,
Bonnefoy Honoré, à 8 ans de travaux forcés,
Clarenson Jules, à 5 ans de travaux forcés
Sautarel Jacques, à 5 ans de travaux forcés,
Ferré Léon, 10 ans de réclusion,
Vaillant François, 10 ans de réclusion,
Baudy Marius, 10 ans de réclusion,
Charles Siméon, 5 ans de réclusion,
Brunus François, 5 ans de réclusion,
Blondel Noël, 5 ans de réclusion,
Roux Lazarine, 5 ans de réclusions,
La Veuve Jacob, 5 ans de prison,
La femme Ferré, 5 ans de prison.
Ferrand, Vaillant et Baudy sont de plus frappés de la relégation.
M. le Président remercie M.M. les jurés du concours dévoués qu’ils ont apporté à l’administration de la justice pendant les longs débats qui viennent de se terminer, puis il déclara la session extraordinaire close.
La séance est levée à 11h1/4.
Quelques minutés plus tard, les condamnés ont été reconduits à la prison.
Une foule immense assistait à leur dernier départ. Place Saint Denis quelques cris de : « Vive Jacob » aussitôt couverts par ceux de « A mort ! ».
Vendredi 24 mars 1905
Somme (Amiens, 22 mars)
Les débats de l’affaire dite des cambrioleurs d’Abbeville ont été clos ce matin à dix heures et demie et le jury est aussitôt entré dans las la salle des délibérations pour n’en ressortir qu’à 8h45 du soir. Le verdict est affirmatif pour Jacob, Pélissard, Bour, Rose Roux, Ferré, Bonnefoy, Clarenson, Brunus, Ferrand, Blondel, Vaillant, Sautarel, Baudy, Vve Jacob, femme Ferré, Charles.
L’accusation de participation à une association de malfaiteurs est retenue à l’encontre de Jacob, Pélissard, Bour, Ferré, Brunus, Ferrand, Vaillant et Baudy.
Jacob, Bour, Ferré, Roux (Lazarine), la Vve Jacob, la femme Ferré, Brunus, Blondel, Vaillant, Baudy et Charles bénéficient de circonstances atténuantes.
Le verdict est négatif touchant la question d’incendie concernant Ferré, affirmatif pour le meurtre et tentative de meurtre reproché à Bour et Jacob mais avec circonstances atténuantes.
Le verdict est négatif pour Ader, Apport, Augain, Charles, Westermann, Limonier, Tissandier (Léontine).
La cour prononce l’acquittement de ces derniers et se retire pour délibérer. Enfin l’audience est reprise à 10h50 et la cour rend son arrêt condamnant
Alexandre Jacob aux travaux forcés à perpétuité,
Félix Bour aux travaux forcés à perpétuité,
Léon Pélissard à huit ans de travaux forcés,
Léon Ferré à dix ans de réclusion,
Joseph Ferrand à vingt de travaux forcés et à la relégation,
Lazarine Roux à cinq ans de réclusion
La Vve Jacob à cinq ans de prison,
La femme Ferré à cinq ans de prison,
Honoré Bonnefoy à huit ans de travaux forcés,
Jules Clarenson à cinq ans de travaux forcés,
François Brunus à cinq ans de réclusion,
Noël Blondel à cinq ans de réclusion,
François Vaillant à dix ans de réclusion et relégation,
Jacques Sautarel à cinq ans de travaux forcés,
Marius Baudy à dix ans de réclusion et relégation.
Les poursuites contre Antoine Deschamps, qui s’est constitué prisonnier au cours des débats, sont disjointes du procès actuel.
Rapport à la Sûreté Générale de Paris
Jeudi 23 mars 1905
Monsieur le Commissaire,
Copie d’une lettre adressée à monsieur le commissaire de police, chef de la 3e brigade de recherches, par le brigadier Doyen, en mission a Amiens, à l’occasion du procès des anarchistes.
J’ai l’honneur de vous transmettre quelques renseignements complémentaires au sujet de la dernière audience du procès d’Amiens.
L’audience a été ouverte a 10 heures du matin.
L’accusé Bonnefoy a demandé à présenter quelques réfutations des dires de l’acte d’accusation le concernant.
Augain a également protesté contre certains passages de l’acte d’accusation. A 10 h 30, le président a clos les débats et les jurés se sont retirés pour délibérer. Le public de la salle s’est retiré et la salle d’audience n’a été occupée toute la journée que par les avocats et les officiers de service.
La délibération du jury a été terminée à 8 h 30 du soir, et l’audience a été reprise à cette heure.
Apres la lecture des réponses du jury, l’audience a été suspendue de nouveau et reprise à 9h10.
Les avocats ont parlé chacun pour son client sur l’application des peines et demandé le minimum. Me Lagasse a développé des conclusions concernant l’incident relatif au tirage au sort des jurés; il a ajouté en terminant que cette journée était la plus mauvaise de sa carrière.
La cour s’est ensuite retirée pour délibérer et est rentrée à 10 h 35 pour la lecture du verdict.
Les avocats et les journalistes qui se trouvaient à l’audience ont commente la délibération du jury en ce qui concerne Sautarel; tous s’accordaient à la trouver trop sévère et estimaient que c’était surtout l’anarchiste qu’on avait voulu punir.
Au debut de l’audience, le frère de Limonier s’est présenté au palais, demandant à y pénétrer. Le commissaire central nous a fait demander si on ne voyait pas d’inconvénient à lui accorder cette faveur; sur notre reponse négative, il a été admis à entrer à l’audience et s’est mêlé au public; il a été spécialement surveillé.
Pendant toute la journée, une grande animation régnait aux alentours du palais. Un groupe composé de la plupart des anarchistes d’Amiens a été surveillé pendant toute la soirée d’une façon plus particulière.
A la sortie de l’audience, le service d’ordre a refoulé les curieux dans les rues avoisinant la place Saint-Denis; le groupe d’anarchistes dont il est parlé plus haut s’est maintenu compact et nous avons été prévenus à ce moment que ces individus projetaient de lancer des pétards dans l’escorte au moment du passage des prisonniers.
Nous nous sommes mis alors en contact immédiat avec eux, ce qui les a fait quelque peu protester, mais les a empêchés de se livrer à des manifestations.
Apres le passage des prisonniers, le groupe a remonté la rue des Trois-Cailloux, toujours surveillé par nous; un petard absolument inoffensif a été alors jeté, mais nous n’avons pu distinguer l’auteur de cette fumisterie car plus de 2000 personnes se trouvaient à cet endroit.
Le groupe s’est ensuite dirigé en chantant l’lnternationale vers la rue Saint Roch, où il est entré au local du journal anarchiste Germinal.
Lorsque nous avons été certains qu’aucune manifestation n’était plus à redouter, nous avons levé la surveillance; il etait alors 1 heure du matin.
Les acquittés, au nombre de cinq, ont quitté Amiens par le train de 4 h 09 ; ils avaient manqué le précédent.
Doyen
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