Fou fuyant


EvasionTout en jouant les aliénés, Alexandre Jacob s’apprête à prendre la poudre d’escampette. Le 19 avril 1900 au matin, la direction de l’asile Mont Perrin constate que la cellule n°1 est désespérément vide. Panique à Aix en Provence. Le rapport circonstancié que le médecin–chef de l’établissement psychiatrique établit le 20 de ce mois permet de reconstituer l’évasion de l’anarchiste. Cette version diffère quelque peu de celle narrée par Alain Sergent, qui en fait le deuxième grand coup d’éclat de la carrière du jeune illégaliste. Là, point de pistolet lancé à Jacob pour faire fuir l’infirmier venu empêcher la fuite.

Tout se passe comme si le médecin couvrait un défaut de surveillance du gardien alors que l’hôpital avait été prévenu d’une possible tentative d’enlèvement de l’anarchiste par des compagnons. L’évènement met au grand jour un réseau de soutien pour faire sortir le fou Jacob de la maison des dingues. Pour le médecin, l’homme a bénéficié de complicités internes. C’est Royères, acquis à la cause libertaire, et qui ne tarde pas à quitter Aix en Provence.

Mais avant il fait le lien avec l’extérieur et donne tous les renseignements utiles sur l’hôpital. C’est pourquoi le Docteur Dargelos se demande comment les complices de Jacob ont pu savoir où se dernier se trouvait. Ce questionnement authentifie néanmoins le propos de Sergent, c’est-à-dire une évasion préparée de l’intérieur. A l’extérieur, famille (Joseph Jacob) et amis complotent. La police n’est pas dupe non plus de la pseudo folie du voleur qui a été arrêté à Toulon l’année précédente.  Elle sait son implication dans le mouvement libertaire et les réseaux qui en découlent. C’est pourquoi nombre de rapports de surveillance émaillent le dossier de l’interné Jacob bien avant son évasion. Sont ainsi repérés à Aix en Provence Emile Babault et un certain Roux. Le premier avait été arrêté avec Jacob en 1897 pour fabrication d’explosif. Le second est pour nous un inconnu.

C’est pourquoi aussi, dès le lendemain de l’évasion, se mettent en place des recherches dans toute la France. Echec de l’entreprise. La préfecture des Bouches du Rhône ne compte plus les réponses négatives de ses homologues de province et d’Algérie. La Sûreté Générale, à Paris, prend directement l’affaire en charge. L’homme est passé entre les mailles du filet. Jacob pourrait même se trouver en Amérique. Stratagème malicieux : il brouille les pistes en envoyant une fausse lettre aux copains du groupe de Menpenti de Marseille. Mais il se cache en réalité chez une vieille connaissance de la Sûreté Générale. Ernest Saurel fut l’ami de Casério. Cet activiste du drapeau noir, dont la notice individuelle indique « un caractère sournois », accueille à Sète un certain Jean Concorde. Et de là, se constitue la première brigade des Travailleurs de la Nuit. Alexandre Jacob porte désormais le n°252 de l’état signalétique des anarchistes signalés comme disparus.

Un anarchiste de la Belle EpoqueAlain Sergent

Un anarchiste de la Belle Epoque

p.48-49 : En réalité, Alexandre, grâce au surveillant complice, est en rapports constants avec sa famille et prépare son évasion qui devient possible à partir du moment où il se trouve isolé dans une cellule. Celle-ci est capitonnée, elle ne comporte pas de fenêtre mais, au plafond, une espèce de hublot. A la date prévue, le soir son père et deux amis franchissent le mur de l’asile, montent sur le toit par une échelle et l’un d’eux cogne au hublot. Mais il faut casser la vitre, le bruit fait accourir un gardien qui braque une lampe électrique par un guichet et va pénétrer. Aussitôt une ruse vient à l’esprit de Jacob : « Envoyez-moi le revolver … dit-il très distinctement. Merci, je le tiens ». L’autre n’ose plus entrer. Alexandre grimpe par la corde à nœuds et, comme il est en chemise, se déchire les épaule et le ventre aux éclats de verre en passant par le hublot. Une voiture attend au dehors. Il franchit le mur à son tour, saute dans le véhicule. Il est libre !

Télégramme transmis par téléphone du parquet

Marseille le 19 avril 1900

Procureur général Aix à Procureur Marseille.

Veuillez prescrire d’urgence très actives recherches en vue de faire arrêter Jacob Alexandre, anarchiste dangereux que des anarchistes ont enlevé cette nuit de l’asile d’Aix où il était en observation. Jacob qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt de Mr de Possel du 24 avril 1899 a été condamné par le tribunal de Marseille pour escroquerie au préjudice du Mont de Piété. Affaire Gil.

Télégramme

Sûreté Intérieure à Préfets, Sous Préfets, Commissaires Spéciaux

20 avril 1900

Veuillez faire arrêter l’anarchiste Jacob prénommé Alexandre Marius aliéné des plus dangereux qui s’est évadé avant-hier de l’asile d’Aix en Provence. Cet individu est sous mandat d’arrêt. Signalement : profession typographe, âge 20 ans et demi, taille 1m67, cheveux sourcils châtain clair, barbe naissante, front couvert, yeux gris noirs, nez moyen, bouche grande, menton rond, visage ovale, teint brun mat. Avisez-moi en cas de découverte.

Préfecture des Bouches du Rhône

Sous Préfet Aix à Préfet Marseille

20 avril 1900

L’anarchiste Jacob Alexandre, placé en observation à l’asile d’aliénés d’Aix a été enlevé cette nuit au moyen d’une corde à nœuds. Prière de loe faire rechercher. J’ordonne recherche dans mon arrondissement.

Signalement : 20 ans, 1m65 environ, cheveux bruns courts, arcades sourcilières développées, oreilles pavillon très développé et écarté, teint presque olivâtre, barbe naissante ;

Copie transmise à Monsieur le Commissaire Central pour qu’il veuille bien prescrire d’urgence les recherches nécessaires et, en cas de découverte, de faire conduire cet aliéné dangereux à l’asile de Saint Pierre ou d’Aix.

Pour le Préfet

Le conseiller de Préfecture

Signé : Maillet

Commissariat Spécial de Marseille

Marseille le 20 avril 1900

J’ai l’honneur de vous faire connaître que l’anarchiste Jacob Alexandre s’est évadé dans la nuit du 18 avril courant, de l’asile d’Aix où il avait été placé en observation à la suite d’une condamnation prononcée par le tribunal correctionnel de Marseille.

Cette évasion a été préparée de longues mains car déjà, par rapports 561 et 437 et 24 du 24 mars dernier, je faisais connaître que plusieurs anarchistes de notre ville, parmi lesquels Roux et Babault formaient le projet de délivrer Jacob.

La direction de l’asile des aliénés d’Aix a été tenue au courant de ce qui se préparait et des exemplaires des photographies de Roux et Babault lui a été adressés le 22 mars dernier.

Roux a d’ailleurs été reconnu par le personnel de l’asile pour s’être présenté plusieurs fois afin d’obtenir un emploi de jardinier, ce à quoi il n’a pas réussi.

La police de la ville d’Aix a également reconnu dans la photographie adressée Roux Pierre pour s’être rendu plusieurs fois à Aix et avoir fréquenté les lieux mal famés.

Quoique d’après l’enquête faite, il soit établi que Roux n’a pas quitté Marseille ces jours derniers et qu’il n’a pas pu par conséquent prendre une part effective à l’évasion ; il est permis de croire qu’il aurait trouvé à Aix une personne qui, mise au courant de son projet, a fourni à Jacob les moyens de prendre la fuite. Ce dernier s’est évadé au moyen d’une corde à nœuds après avoir percé le plafond de sa cellule.

Je crois devoir rajouter que Jacob est un individu très dangereux qui a subi plusieurs condamnations dont une pour fabrication d’explosifs.

Le Commissaire Spécial

Asile Mont Perrin, Aix en ProvenceAsile d’aliénés d’Aix

Direction

Aix le 20 avril 1900

Monsieur le Sous Préfet,

J’ai l’honneur de vous faire connaître les circonstances dans lesquelles s’est produite l’évasion du nommé Jacob Alexandre, évasion dont je vous ai donné avis aussitôt qu’elle a été constatée.

Jacob s’est évadé par le ciel – ouvert de sa cellule au moyen d’une corde à nœuds qui lui a été jetée du toit. Les individus qui ont ainsi rendu possible cette évasion, ont du parvenir sur ce toit du quartier cellulaire en suivant le mur du préau ; arrivés au ciel – ouvert, ils ont descellé le vitrage extérieur, tiré à eux un volet en bois et un volet vitré et fait tomber le grillage intérieur au moyen d’un gros bâton qui a été trouvé sur le toit. Il ont pu alors laisser tomber la corde dans la cellule en la maintenant pour permettre l’ascension de Jacob qui, avec leur aide, a passé entre les barres en fer restées en place ; cette explication résulte des constatations que nous avons faites tant dans la cellule où la corde à nœuds pendait que sur la toiture. C’est à l’heure du lever, c’est à dire vers 5h1/2, que le gardien constatait la disparition de Jacob. Etant donné les circonstance de cette évasion, toutes recherches par nos propres moyens m’ont paru inutiles et je me suis empressé de vous faire connaître cet événement en avisant aussi M. le procureur général, Jacob étant un prévenu en observation pour expertise médico – légale. Depuis son entrée à l’asile, Jacob était maintenu en quartier spécial (3e quartier) et couchait en cellule. A la suite de la communication que vous avez bien voulu me faire relative à un projet d’évasion, préparé par les anarchistes, des ordres furent donnés pour qu’une surveillance plus étroite fut exercée sur ce prévenu. Il ne quittait plus le quartier cellulaire que pour prendre l’air dans la cour commune du 3e quartier et il était de bonne heure réintégré dans la cellule n°1, située en face de la chambre du gardien dont la porte restait ouverte. Le veilleur faisait des rondes fréquentes et devait s’assurer de la présence de Jacob dans sa cellule comme, du reste, des autres malades à chacune de ses tournées.

D’autre part, Jacob ne recevait aucune visite du dehors si ce n’est celle de sa mère et de son père qu’il a, du reste, refusé de voir. Il semblait en somme que toutes les mesures eussent été prises pour prévenir une évasion.

Il résulte de mon enquête que les gardiens se sont conformés à mes instructions, toutefois le veilleur n’a pu préciser l’heure à laquelle il avait constaté la présence de Jacob dans sa cellule. Cette négligence n’a pas favorisé l’évasion mais il eut été possible de provoquer des recherches utiles. Quant au gardien, il n’a rien entendu, ces diverses manœuvres ayant été faites avec la plus grande habileté.

Il reste un point à éclaircir : comment les individus qui ont favorisé l’évasion de Jacob connaissaient – ils sa présence dans la cellule n°1 et étaient – ils des diverses manœuvres que nécessite le ciel – ouvert ? Si quelque agent du personnel de surveillance s’est fait leur complice, il ne peut se trouver que parmi les gardiens révoqués depuis l’admission de Jacob à l’asile et c’est pourquoi j’ai cru devoir donner leur nom au magistrat instructeur, au cours de l’instruction qu’il a ouverte sur cette affaire.

Veuillez agréer Monsieur le Sous Préfet l’assurance de mon respectueux dévouement

Le Directeur Médecin

Préfecture des Bouches du Rhône

Direction de la Sûreté Générale

4e Bureau

Marseille le 21 avril 1900

Le Préfet des Bouches du Rhône à Monsieur  le Président du Conseil, Ministre de l’Intérieur

J’ai été avisé et vous ai fait connaître que l’anarchiste Jacob Alexandre s’était évadé dans la nuit du 18 courant de l’asile d’aliénés d’Aix où il était placé en observation.

Dans le courant du mois de mars dernier, le commissaire spécial de Marseille vous a signalé, en même temps qu’à moi-même, les agissements des anarchistes marseillais, notamment de Roux Pierre qui, avec Babault Emile, avait conçu le projet de préparer l’évasion de Jacob et s’était rendu plusieurs fois à Aix dans ce but.

M. le Sous Préfet d’Aix, ainsi que M. le directeur de l’asile, avaient été mis au courant du plan projeté par les amis de Jacob et des instructions avaient été données pour qu’une surveillance étroite fut exercée sur cet anarchiste qui était sous le coup d’un mandat d’arrêt de M. le Juge d’Instruction de Marseille et avait été condamné par défaut, par le tribunal de Toulon à 5 ans de prison pour escroquerie.

J’ai l’honneur de vous transmettre copie d’un rapport de M. le Sous Préfet d’Aix relatant les circonstances dans lesquelles s’est produite l’évasion de Jacob.

Pour le Préfet

Le Sécrétaire Général Délégué.

Télégramme

10 août 1900

Intérieur Assistance à Préfets France et Algérie

Le nommé Jacob Alexandre Marius né à Marseille le 27 septembre 1874 de Joseph Léon et de Marie Elisabeth s’est évadé le 18 avril 1900 de l’asile d’aliéné d’Aix en Provence ce malade est signalé comme anarchiste aliéné dangereux je vous pris de rechercher dans les asiles publics d’aliénés de votre département quartiers d’hospice maisons privées et dépôts de mendicité si,le sieur Jacob n’aurait pas été hospitalisé dans un de ces établissements veuillez me fournir d’urgence les renseignements que vous avez recueillis.

Commissariat Spécial de Marseille

N°1596

Anarchiste Jacob Alexandre

Marseille le 15 novembre 1900

Rapport

Je crois devoir vous faire connaître que le cercle libertaire de Menpenti a reçu une lettre de l’anarchiste Alexandre Jacob informant les camarades qu’il était depuis quelques jours arrivé en Amérique. Il ajoute qu’après son évasion de la maison d’aliénés d’Aix où il était en observation, il s’était caché à Avignon d’où il était parti après s’être procuré, dit – il, une somme de 2000 francs

Je crois devoir rappeler que Jacob avait été condamné le 12 septembre 1900 par le tribunal correctionnel de Toulon à un an de prison pour vagabondage. Il était également sous le coup d’une condamnation à cinq ans de prison prononcée par défaut par le tribunal de Marseille.

C’est à la suite de ces condamnations qu’il aurait été placé en observation à la maisonb d’aliéné d’Aix d’où il s’est évadé avec la complicité de compagnons qui n’ont pu être retrouvés.

Le Commissaire Spécial

Etat signalétique des anarchistes signalés comme disparus 1900

N°252 : JACOB ALEXANDRE MARIUS, typographe, né à Marseille le 29 septembre 1879, fils de Joseph et de Marie Berthou, taille un mètre 67, cheveux et sourcils châtains clairs, front couvert, yeux gris, nez moyen, bouche grande, menton rond, visage ovale, teint pâle. Evadé de l’asile d’aliénés d’Aix en Provence le 18 avril 1900, signalé comme dangereux, est l’objet d’un mandat d’arrêt.

Sources :

–         Archives départementales de l’Hérault, 4MP1291 : état des anarchistes signalés comme disparus

–         Archives Départementales des Bouches du Rhône, 1M1370 : dossier de surveillance d’Alexandre Jacob 1897-1899

–         Archives Contemporaines de Fontainebleau, 19940455, article 6, dossier 512 : Jacob Alexandre Marius 1897 – 1908

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