Roussenq au bagne et dans Le Monde des Livres
Vendredi 24 avril 2009
Le Monde des livres
« L’enfer du bagne » de Paul Roussenq : Paul Roussenq l’incorrigible
Dans un univers aussi féroce que celui des bagnes, poser un geste humain relève de la sainteté. Pour avoir passé vingt et un ans dans les geôles de Cayenne, Paul Roussenq (1885-1949) en savait quelque chose. Lorsqu’il saluait la bienveillance de tel ou tel médecin militaire à l’égard des prisonniers, cet anarchiste usait spontanément d’un lexique religieux : « Leur mérite était d’autant plus grand qu’ils n’en attendaient aucune récompense, se sacrifiant obscurément dans le cours de leur apostolat », notait-il dans L’Enfer du bagne.
Publié une première fois en 1957, ce bref témoignage décrit chaque aspect du système pénitentiaire propre à « Biribi ». Il est rédigé d’une plume sensible, qui conjugue la précision du document et l’intensité de la révolte. Roussenq y évoque non seulement l’horreur carcérale, le sadisme des gardes-chiourmes et le triomphe des mouchards, mais aussi les rares espaces de complicité entre forçats : par exemple, le jeu des devinettes, au fond du cachot, à travers les bouches d’aération. Ou encore, par-delà la violence en général et les viols en particulier, le discret déploiement des amours masculines : « ces unions spéciales sont génératrices d’amitiés souvent profondes », écrit Roussenq.
Bagnard incorrigible, réfractaire jusqu’à la folie, celui-ci multiplia les outrages contre les magistrats et les surveillants. Au point que certains de ses anciens codétenus le soupçonnèrent de « se plaire en cellule ». Lui-même justifiait son attitude par un refus viscéral de l’injustice : « On ne me demandait que d’être neutre, de ne plus me faire l’avocat des autres. (…) A ces offres de capitulation, je répondais par la lutte à outrance. »
Et au journaliste Albert Londres, qui popularisa son cas en 1923 et qui était venu le visiter dans son cachot de l’île Saint-Joseph, Paul Roussenq confia simplement : « Je ne puis croire que j’ai été un petit enfant. Il doit se passer des choses extraordinaires qui vous échappent. Un bagnard ne peut avoir été un petit enfant ».
L’ENFER DU BAGNE de Paul Roussenq. Illustrations de Laurent Maffre. Libertalia, 136 p., 10 €.
Jean Birnbaum
Tags: Albert Londres, bagne, Biribi, enfer, Guyane, Jean Birnbaum, l'enfer du bagne, L'Inco, Laurent Maffre, Le Monde, Libertalia, Paul Roussenq, Roussenq
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