Pour les jeunes


TélétubbiesLong est l’article « Pour les jeunes », signé Adrien et paru dans le deuxième et dernier numéro de L’Agitateur en date du 18 février au 2 mars 1897. L’organe libertaire de la Jeunesse Internationale de Marseille disparaît en effet après celui-ci, faute de moyens financiers.

Tout en dénonçant le processus de fabrication de la misère sociale que seule l’anarchie serait à même de résorber, l’anonyme auteur qui se cache derrière un simple prénom pourfend l’acceptation par ces futurs adultes du militarisme et de l’exploitation : « O inconscience, que de crimes tu idolâtres ! ».

Propos que l’on retrouve aisément dans les Souvenirs d’un révolté d’Alexandre Jacob lorsque celui-ci regrette amèrement le rêve de retraite du chef de gare Nacavant, à Pont Rémy qui, toute sa vie, a œuvré honnêtement pour la bonne marche des trains et du pays. Paroles que l’on retrouve encore avec force et virulence sous la plume de Libertad en 1905 dans l’article Résignés du premier numéro de la feuille individualiste l’anarchie.

De là encore, le rôle néfaste d’une éducation libérale et prosélyte qui bourre le crâne d’une jeunesse insouciante pour lui faire pratiquer le culte de la charogne. Le texte qui suit ne brille pas par son originalité dialectique. Il n’en véhicule pas moins un des thèmes récurrents de la propagande libertaire : le refus des dogmes et principes sociaux qui construisent et maintiennent l’inégalité. Ici, le groupe à qui l’on s’adresse est par voie de conséquence particulièrement ciblé, la jeunesse constituant de facto un public de choix pour les libertaires de Marseille et d’ailleurs.

 

manchette de l\'AgitateurL’Agitateur

N°2

Du 18 février au 2 mars 1897

Pour les jeunes

Jeunes insouciants et résignés, écoutez ce que disent les anarchistes !

Dès l’âge le plus tendre, vous êtes mis à la charrue, au bagne terrible qu’est le travail en notre régime d’exploitation ; vous supportez ; que dis-je ?; c’est une gloire pour vous, la plupart du temps, que dès votre plus tendre enfance l’on vous fasse remplir les fonctions d’adulte, alors que vos forces sont à peine sur le point d’éclore et que cette précocité dans la lutte n’est qu’un ramassis d’excès qui abrègeront vos jours ! Oui, depuis vos plus tendres souvenirs vous avez entendu les louanges faits aux bons travailleurs et le mépris jeté à la face des improductifs. Et vous ne pensez point malheureux que ces improductifs, ces fainéants, ce sont ceux qui vont vous exploiter ; ceux qui, par leurs prérogatives insensées, produisent les vos souffrances zet le peu de plaisir dont vous profitez. Non ! Vous ne le soupçonnez même pas. Vous comprenez ou vous croyez comprendre qu’il faut qu’il en soit ainsi ; qu’il est logique qu’il y ait des riches et des pauvres ; que la barque sociale a besoin de pleurs, d’ignorances, de peines et de misères, comme elle a besoin aussi de plaisirs désordonnés, de savoirs disproportionnés, d’orgies salissantes et d’exploitations criminelles ! Vous croyez, tels que vos ascendants, que vous êtes nés pour tout ce chaos sans raison : les uns bien vivre et ne rien faire, bien savoir et bien faire souffrir, tandis que d’autres n’ont que soucis, privations, ignorance, brutalité et esclavage ! Il faut que cela soit, dites-vous. Par l’éducation que vous avez reçue, il vous parait logique d’être soumis. Vous pensez faire acte d’être humain ; vous êtes persuadés de remplir un devoir ! – O inconscience, que de crimes tu idolâtres !

Vos pères, vos éducateurs, les prêtres, les moralistes blancs et rouges vous ont dit que votre existence ne pouvait se maintenir que par cette soumission, et vous ne cherchez point à savoir, vous recommencez le cycle du passé, acceptant tout, et heureux vous vous estimez si le travail ne vous abandonne ! Peut-être espérez-vous qu’un jour vous serez plus favorisé de Dame Fortune, que quelque chance vous surgira et qu’à votre tour vous parviendrez au rang des exploiteurs, que vous ferez enfin partie des privilégiés en passant dans le camp des trafiquants de vies humaines, ce qui vous fera vivre un peu sur le dos de vos frères infortunés ? Votre pensée, on l’a dit souvent, est absorbée par cette seule ambition. Vous n’attendez qu’une occasion pour sortir de l’usine, de la mine ou de l’atelier ; vos conceptions s’arrêtent à ce mirage, vous ne voyez pas plus avant.

Si, vous ambitionnez souvent gloire et laurier, bénévolement vous vous enthousiasmez au son des tambours et des clairons ! – certains d’entre vous seraient tant heureux d’être sur un champ de bataille à mitrailler des frères en révoltes, ou des miséreux comme eux, forcés de s’aligner et de se convertir aux canons guerriers de leurs exploiteurs mutuels !

Oui, votre cœur se soulève au bruit des fanfares guerrières ; l’idée de revanche, d’honneur ou de patrie illumine votre esprit et vous vous jetez tête basse dans la fournaise meurtrière qu’est le militarisme – cette université de tous les vices, cette école du crime !

Le jour où les lois de la conscription vous appellent afin de sortir un numéro qui vous marquera du signe honorifique ( ?) de soldat, vous ne songez plus aux misères de l’atelier, vous vous avilissez au contact d’orgies absurdes, et fiers vous êtes d’être comptés parmi les « portes-sabres » – les chiens de garde du capital, qui font le digne métier de massacreur de l’humanité !

Quelles nobles passions vous animent ! Quelles belles pensées vous guident ! Ne semble-t-il pas que vos conceptions sont à jamais faussées, que votre individualité n’existe pas ? Voyez donc à quoi vous destine cette foi absolue en vos éducateurs, à ces principes anciens, à ces symboles ignobles qui n’ont comme but que la destruction de notre espèce ? Veuillez songer une bonne fois pour toutes ce que sont et ce que valent vos idées acquises, transmises à notre sens cérébral par tout le tam-tam patriotique, politique ou religieux, fait dans l’intérêt d’une classe spoliatrice au détriment d’une classe spoliée ? Alors, peut-être, votre illumination fera place à la froide et saine raison ! Peut-être pour la première fois, vous ferez partie des êtres pensants – seuls qui méritent le nom d’hommes !

Ah ! Si vous pouviez comprendre le triste rôle qu’on vous fait jouer ; si, spontanément, votre imagination faussée, redevenait naturelle, qu’elle s’éclaircit pour un instant, quelle honte subiriez-vous dans ce moment de clarté, de quel trouble vous seriez entouré ! Une frayeur incomparable s’emparerait de tout votre être et vous auriez pitié de vous-même ; vous ne voudriez plus jamais être complice de pareilles atrocités ; plus vous ne voudriez servir d’esclave, maintenir votre propre asservissement !

Oui, réfléchissez à tout cela, veuillez comprendre enfin qu’il y a mieux ; que votre vie pourrait être plus souriante, plus belle et qu’il ne dépend que de vous que cela soit. Pensez par vous-même et jetez au rancart toutes les vieilles idées quez vous a légué le passé. Efforcez-vous de vouloir et alors vous pourrez !

Vouloir quoi ?

Que l’avenir n’appartienne plus au passé ; que votre vie ne soit plus à la merci de jeunes inutiles qui vous assassinent ; que votre exploitation disparaisse, faisant place à la solidarité ; que votre frêle intelligence se développe librement, sans aucune entrave extérieure à votre intérêt ; que les jouissances physiques, morales et intellectuelles ne soient plus l’apanages de quelques-uns au détriment de tous ; que de tout enfin, de tout ce qui existe, si vous en éprouvez le besoin, vous puissiez en disposer à votre guise, en user jusqu’à complet assouvissement de ce besoin, Telles sont les choses que vous devez aspirer à parvenir, tel est le problème qu’il faut résoudre.

Comment le pouvoir ?

Par l’abandon de votre insouciance, de votre résignation, de vos passions viciées et malsaines de votre esprit aux conquêtes guerrières, de votre croyance aux bienfaits du capital et des gouvernants, de votre étroite et fausse morale, enfin, de votre aveuglement produit par votre inertie cérébrale.

Alors que tout ce bagage faux, hypocrite, ambitieux, retardataire, absurde et inhumain, aura disparu de votre état d’âme, que l’analyse de tout et pour tout sera faite en chaque mentalité individuelle, que les passions caractéristiques du raisonnement vous auront saisis, que les mesquineries habituelles auront livré le champ libre à l’étude des causes du mal, à la recherche des moyens propres à votre affranchissement, alors disons-nous, vous le pourrez parce que vous l’aurez voulu, parce que cultivant votre intellectualité vous voudrez cultiver celle des autres, et qu’ainsi par une commune action tous nos efforts seront réunis pour atteindre le sommet de l’idéal social entrevu : l’Anarchie.

ADRIEN

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