Roussenq dans le Midi Libre
samedi 11 juillet 2009
Histoire régionale
Vingt ans de bagne n’ont pas brisé le Gardois Roussenq
Nom : Roussenq. Prénom : Paul. Matricule : 37 664. Particularité : détient le record de jours passés au cachot au bagne de Cayenne. En publiant le récit écrit en 1942 par ce Gardois de Saint-Gilles, les éditions Libertalia nous font connaître une figure oubliée de notre histoire régionale. Condamné à vingt ans de travaux forcés pour avoir fait brûler son uniforme, Paul Roussenq, anarchiste et grande gueule, a passé 4 119 jours en cellule. Pour en savoir plus sur cet homme, surnommé l’Inco – pour incorrigible – par Albert Londres en 1923, Midi Libre est allé ouvrir son dossier de bagnard au centre des archives d’Outre-mer d’Aix-en-Provence.
« Anarchiste et antimilitariste, mauvais renseignements : la commission est d’avis qu’il y a lieu de le diriger sur la Guyane. » Le 30 août 1908, la commission de classement des condamnés aux travaux forcés scelle le destin de Paul Roussenq. Trois mois plus tôt, en Tunisie, ce Gardois alors soldat au 5e bataillon d’infanterie légère d’Afrique, les tristement célèbres « Batd’af », était passé en conseil de guerre. « Il a déclaré qu’il avait cherché à incendier sa cellule parce qu’ayant des principes antimilitaristes et anarchistes, il avait voulu affirmer ses idées par l’action directe comme protestation contre l’organisation militariste et les idées qui y sont inhérentes », écrivent les juges militaires qui le condamnent à vingt ans de bagne.
Vingt ans, qui s’ajoutent à la peine que ce garçon né à Saint-Gilles (Gard) a déjà purgé à la centrale de Clairvaux. Son crime ? Rien, ou presque. Adolescent, Paul Roussenq a quitté son village et un père violent, pour partir sur les routes. Vagabond, disent les gendarmes qui l’arrêtent peu après près de Chambery. Condamné à deux mois de prison, il fait appel. La cour lui en colle trois : « Est-ce un crime de n’avoir pas un sou et de chercher du travail ? », s’indigne-t-il en lançant un quignon de pain au visage du procureur. Réponse : cinq ans ferme. Paul Roussenq a 16 ans.
Cinq ans de centrale, vingt mois dans un régiment disciplinaire, et puis Cayenne, où il arrive en janvier 1909, avec, comme seule perspective, subir et obéir. Impossible, pour qui ne supporte ni l’arbitraire, ni l’injustice. Alors Roussenq entame son long combat contre la machine pénitentiaire. Il va tout faire pour la gripper, en piégeant sa logique administrative. « Etant arrivé à la transportation au dernier convoi, il m’a paru tout à fait bizarre et contraire à l’hygiène que l’on ne donnait ni mouchoir ni serviette », signale-t-il le 28 avril 1909 au ministre des Colonies. « Il s’ensuit que l’on se mouche avec les doigts. (…) J’espère que vous voudrez bien y faire remédier. » Alors le ministre des Colonies transmet la lettre du « transporté Roussenq » au gouverneur de Guyane, qui demande une enquête au commandant du bagne, lequel répond au gouverneur, qui écrit à son tour au ministre. A l’arrivée, des piles de paperasse, de rapports, de production administrative absurde. Exemple : le 19 mars 1912, le gouverneur écrit au ministre, pour répondre à une lettre de Roussenq qui se plaint de ne pas avoir assez de papier… pour lui écrire. « Il est impossible de donner satisfaction à ceux qui écrivent à tort et à travers. Roussenq en est arrivé à en demander 18 feuilles en un jour », souligne le gouverneur.
« Je demandais son dossier. Quand je le pris des mains du commis, je pliais sous le poids. Il pesait bien cinq kilos », écrit Albert Londre en 1923 dans Au Bagne, un reportage pour le Petit Parisien dénonçant le fonctionnement de la colonie pénitentiaire. « Il est si maigre qu’on dirait qu’il grelotte », dit-il de Roussenq, qui lui avoue : « Je ne peux plus me souffrir moi-même, je ne suis plus un homme, je suis un bagne. » Outre ses années de cachot, Roussenq va accumuler les peines supplémentaires : en tout, neuf ans, pour outrage, refus de travail, tentative d’évasion…
Les reportages d’Albert Londres, réunis dans un livre en 1930, puis une campagne menée par le Secours rouge International, un organisme d’obédience communiste, entraîneront sa libération, puis son retour en métropole, en 1932. Il a 47 ans, il est usé et cassé par cette vie d’enfermement. « C’était comme si je m’étais couché adolescent et qu’après une nuit de cauchemar, je me sois réveillé vieillard » dira-t-il alors. Il revient à Saint-Gilles, sans pouvoir revoir sa mère, morte un an plus tôt.
Devenu un symbole des victimes de l’arbitraire, il fait des conférences, est amené en 1933 en URSS, pour un voyage de quelques mois, en tire une plaquette, qu’il reniera, son texte ayant été largement réécrit par le PC. Il vivra chichement en Camargue, gérera quelques années le journal anarchiste Terre Libre à Nîmes, avant de reprendre la route, comme colporteur. Jusqu’à sa dernière étape, décrite dans l’ultime lettre qu’il adresse à son ami Elisée Perrier d’Aimargues : « Bayonne, 3 août 1949. Mon cher Elisée, je suis à bout. A Bayonne, il y a une grande et belle rivière, où, ce soir-même, j’irai chercher le grand remède à toutes les souffrances : la Mort. » Le corps de Paul Roussenq, bagnard et éternel rebelle, sera repêché trois jours plus tard dans l’Adour.
Dossier : François BARRERE
Édition du samedi 11 juillet 2009
Un Nîmois veut réhabiliter Roussenq
Daniel Vidal, militant anarchiste à Nîmes, auteur d’une biographie de Roussenq
Qu’est-ce qui vous a attiré chez Paul Roussenq ?
Son parcours d’homme, son courage pour parvenir à rester debout dans cet enfer, sa capacité à résister avec des outils de non violence active, en bloquant l’administration en la poussant dans ses retranchements. Ça force le respect, vu ce qu’on lui infligeait. C’est quelqu’un dont je partage les idées et les origines locales. Son caractère anarchiste se voit par ses liens avec le journal Terre Libre, qui était imprimé à Nîmes, et il est toujours resté en relation avec ses camarades anarchistes d’Aimargues.
Que nous apprend son histoire sur la société française ?
Cela montre la misère et le fonctionnement de la police, capable de broyer des gens pour des menus larcins, avec des peines qui n’avaient pas pour but de condamner mais de peupler les bagnes. Ils dépassent l’entendement. Il y a des milliers de gens qui y sont partis et n’en sont jamais revenus. On y envoyait les femmes, les enfants, c’était un univers parallèle à la dignité humaine. Cela dit, toutes proportions gardées, la filiation entre le monde pénitentiaire de cette époque et celui d’aujourd’hui vaut à l’Etat d’être régulièrement condamné par la Cour européenne.
Pourquoi vous battez-vous ?
J’ai voulu comprendre l’impact que Paul Roussenq a pu avoir sur son temps. Il a marqué l’histoire des bagnes, mais a été oublié de celle de sa région. Qui se souvient de lui, à Saint-Gilles, la première commune de France à avoir élu un maire Front National ? Il faut rendre à la mémoire collective le souvenir de cet homme qui a tant lutté, et qui a eu une vie épouvantable, à cause de la justice. Il n’a pas passé plus de 15 ans comme homme libre. Il mériterait une réhabilitation de la part de l’Etat.
« Paul Roussenq, le bagnard de St Gilles », brochure 4 €, frais de port compris à l’ordre de Publico – 145 rue Amelot – 75011 Paris.
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