JUGEMENT (Encyclopédie Anarchiste)


la justice(sentences juridiques). On appelle ­ nous l’avons vu – jugement l’opération de l’esprit par laquelle, après avoir confronté des propositions ou des solutions différentes, nous nous décidons pour celle qui nous paraît la plus équitable ou la plus opportune, en un mot. la meilleure. On dit – terminologie courante astreinte aux réserves de relativité – qu’un homme a un jugement sain ou un bon jugement quand la rectitude de son esprit lui permet une confrontation exacte et complète des propositions ou des solutions en présence, et quand la décision qui résulte de sa comparaison est approuvée par notre raison. Par une dérivation naturelle, on appelle jugement le résultat de l’opération intellectuelle, c’est-à-dire la décision, et plus particulièrement encore on applique ce mot à la décision d’un juge.

La précision du langage juridique distingue entre ces décisions, selon la juridiction dont elles émanent. Il importe de fixer ces différents termes : le profane les mélange et nous avons vu plusieurs fois les chroniques judiciaires elles-mêmes les confondre.

Le juge de paix, juge unique composant. ce que le Code appelle sans intention malveillante un tribunal inférieur, magistrat appelé à statuer sur les contraventions de simple police et les infractions qui lui sont déférées par la loi, rend des jugements. Les tribunaux civils de première instance, soit qu’ils jugent en matière civile, soit qu’ils jugent en matière correctionnelle rendent des jugements. Les tribunaux de commerce rendent des jugements. En matière de justice militaire, les décisions rendues par les conseils de guerre et les conseils de révision sont des jugements.

Les cours d’appel sont des juridictions du second degré. A part quelques exceptions motivées par la qualité des personnes (hauts dignitaires, etc.) elles ne statuent pas en matière neuve, elles ont à examiner le jugement rendu pour l’infirmer ou le confirmer. Elles arrêtent, c’est-à-dire elles fixent définitivement l’interprétation du fait pour l’application du droit, et statuent en conséquence soit en maintenant le jugement attaqué, soit en le réformant. L’appelant ou l’intimé (celui qui a formé l’appel ou celui qui l’a subi) n’ont plus que la ressource de recourir à la cour de cassation sur la question de savoir si la loi a été bien et exactement appliquée, la discussion ne pouvant plus s’ouvrir sur la ques­tion de fait qui est tranchée.

Les cours d’appel rendent des arrêts.

La cour de cassation rend des arrêts.

Le mot arrêt est très ancien, et son usage, dans le domaine judiciaire, remonte au XIIe siècle. Le fait qu’il s’appliquait aux décisions des juridictions supérieures légitime notre étymologie.

En matière criminelle, on appelle verdict la déclaration du jury sur la culpabilité ou la non-culpabilité de l’accusé, le verdict résout en outre par une réponse affirmative, sinon par son mutisme, à la question de savoir s’il existe des circonstances atténuantes en faveur de l’accusé. Le terme de verdict est spécialement réservé à cette déclaration du jury, et c’est à tort que quelques journalistes l’ont parfois appliqué aux jugements du conseil de guerre.

Sur le vu du verdict (le terme légal c’est : la déclaration du jury) la cour d’assises rend un arrêt.

Le conseil de préfecture rend des décisions qui s’appellent des arrêtés. Le Conseil d’Etat rend des arrêts.

On appelle sentence arbitrale la décision rendue par des arbitres que les parties ont constitués par un compromis.

Le président d’un tribunal (ou le magistrat qui le remplace) sont appelés à statuer en référé pour ordonner une mesure urgente. Ils statuent sur la difficulté et la décision rendue est une ordonnance.

Un litige porté devant un tribunal civil est défini et circonscrit par les conclusions des parties. Ces conclusions délimitent le champ du débat. Le tribunal doit statuer sur tous les chefs des demandes unilatérales ou respectives ; il ne peut accorder au-delà de ce qui est demandé. Comme le dit le langage judiciaire, il ne peut statuer « ultra petita ».

Les conclusions sont signifiées d’avoué à avoué et sont prises ensuite à la barre. Elles constituent la matière légale de la demande et de la défense. Les plaidoiries qui développent ces conclusions, si elles sont essentielles pour éclairer le juge, n’ont point pour effet d’introduire dans la procédure, désormais fixée, un élément nouveau. Les débats une fois clos, l’affaire est soumise au délibéré des juges. Cette délibération est exigée par la loi. La décision est rendue à la majorité des opinions. Cette décision doit être rédigée dans un jugement écrit, et le jugement doit être prononcé à l’audience publique par le tribunal composé des mêmes juges que ceux qui ont assisté aux débats.

Quand le jugement est reporté à une audience ultérieure, il peut arriver que le tribunal ne soit plus composé exactement des mêmes juges ; le débat doit être recommencé même si dans la nouvelle composition du tribunal n’entre qu’un seul juge qui soit resté étranger à tout ou partie des débats. Dans la pratique, lorsque ce cas se produit, les avocats ou les avoués reprennent à la barre leurs conclusions respectives : les débats sont censés avoir été recommencés et terminés à nouveau.

Le jugement, avant son prononcé, est rédigé sur une feuille volante qui s’appelle la minute. Le greffier prend sommairement note de la décision et constate par cette inscription qu’elle a été rendue. Le cahier sur lequel cette note est prise se nomme le plumitif. La présence et l’assistance du greffier à toutes les audiences du tribunal est exigée par la loi. La minute doit être signée par le président et par le greffier. Elle est remise au greffe, où elle est transcrite sur papier timbré en écriture grossoyée ; d’où vient à cette copie ainsi monumentée le nom de grosse. La grosse constitue un titre aux mains du plaideur auquel elle est délivrée, et il doit se garder de la perdre ou de s’en dessaisir si ce n’est à bon escient. Il ne pourrait s’en faire délivrer une autre que par une procédure assez épineuse : la procédure en délivrance de seconde grosse.

caricature parue dans l\'Assiette au BeurreAnalysons un jugement et voyons de quels éléments il se compose : D’abord cette énonciation qu’il est rendu au nom du souverain, c’est-à-dire sous la République, au nom du peuple français. L’indication qu’il a été rendu par tel tribunal, en audience publique et à telle date. Ces mentions sont en quelque sorte son intitulé. Il indique ensuite les noms, prénoms, adresses et qualités des parties, distingue le ou les demandeurs d’avec le ou les défendeurs, et l’intervenant ou les intervenants s’il y a lieu, mentionne leurs avocats et leurs avoués.

Alors vient le point de fait, c’est-à-dire l’exposé.

Le jugement relate l’assignation qui a introduit l’instance et tous les actes de la procédure, l’ordonnance qui a permis d’assigner sans préliminaire de conciliation (pratique usuelle pour décharger les juges de paix), les constitutions des avoués (déclarations par lesquelles ils se notifient qu’ils sont chargés de représenter devant le tribunal leurs parties), les avenirs qu’ils se sont donnés (invitations de porter l’affaire à l’audience). Le jugement constate que l’affaire est sortie du rôle (les affaires viennent à tour de rôle, c’est-à-dire à leur tour par ordre d’inscription), le jugement constate qu’après plusieurs remises elle est venue ce jour à l’audience pour être plaidée, que les avocats assistés de leurs avoués (cette assistance réelle et matérielle est devenue une fiction) ont repris leurs conclusions, et que le minis­tère public a été entendu (autre fiction, car le ministère public, dans la plupart des cas, s’en rapporte même tacitement à la justice et ne conclut que dans les affaires qui par leur importance ou leur difficulté comportent son intervention). L’exposé continue par le point de droit ; il résume les questions que le tribunal avait à trancher. Ce résumé répond à cette préoccupation juridique et légale que le tribunal ne peut sans excès de pouvoir, dépasser les bornes du litige.

L’exposé est alors terminé, il s’appelle les qualités du jugement, par abréviation et parce que son premier soin, on l’a vu, est d’indiquer les noms et les qualités des parties. Ces qualités sont rédigées par l’avoué de la partie qui obtient le jugement en sa faveur. Cet avoué signifie les qualités à son confrère, et en cas de désaccord sur leur teneur, un juge la règle.

Après les qualités, vient le jugement proprement dit, c’est-à-dire le texte de la décision rendue par le tribunal. Cette décision se compose de deux parties bien distinctes : a) les motifs ; b) le dispositif.

Les motifs sont l’ensemble des raisons qui ont déterminé le tribunal. Le dispositif est la sentence rendue par ces motifs.

La partie essentielle, vitale du jugement, c’est le dispositif, mais il est de doctrine et de jurisprudence que les motifs éclairent le dispositif, qu’ils peuvent dissiper l’obscurité d’une disposition, si cette disposition, faute d’être expliquée par les raisons de décider, restait ambiguë.

La troisième partie du jugement n’importe pas moins à sa validité.

Il mentionne la signature du président et du greffier. Cette mention est suivie de la constatation que le jugement a été fait (c’est-à-dire rédigé après délibération dans les termes de la loi et conformément à l’opinion de la pluralité) et prononcé en audience publique. Il indique la composition du tribunal, constate la présence du ministère public et l’assistance du greffier.

Vient ensuite la formule exécutoire qui confère au jugement l’efficacité. Le Président de la République française mande et ordonne à tous huissiers requis de mettre le jugement à exécution, aux procureurs généraux et au procureur d’y tenir la main, à tous commandements et officiers de la force publique d’y tenir la main.

La justice rendue serait plus belle si le jugement s’arrêtait là, mais une mention discrète et insidieuse nous apprend « in fine » que le jugement a dû être enregistré. Suit l’énonciation du droit perçu et qui s’ajoute à tant d’autres droits préalablement exigés et versés. La démocratie a fait de sa justice un luxe de jour en jour plus coûteux. Là aussi toutes ses promesses, tous ses programmes de gratuité sont des propos au vent.

De plus en plus la République se fait fiscale ; ses grands services sociaux ouvrent leurs guichets et ferment leurs couloirs aux citoyens modestes ; et la justice fait payer cher et ses cures et ses coups.

Ce que nous venons de dire sur les jugements s’applique aux jugements en matière civile, et peut, avec quelques modifications, convenir également aux jugements correctionnels.

Dans une poursuite correctionnelle, la procédure suivie à la requête du Parquet ou à la requête du plaignant, par voie de citation directe, ne comporte pas l’assistance légale et obligatoire d’un avoué. Le jugement correctionnel est donc très simplifié ; ses qualités disparaissent en ce sens qu’elles ne forment pas un exposé méthodique destiné à être signifié avant d’être incorporé dans le corps de l’acte. Le jugement correc­tionnel mentionna les parties poursuivantes et poursuivies. Dans la pratique, et pour les cas ordinaires, le jugement est prononcé par le président sans écriture préalable, noté par le greffier, rédigé ensuite pour être transcrit sur le registre. A la différence de ce qui se passe au civil, il doit être signé par tous les magistrats qui y ont concouru et non par le président seul.

Il doit mentionner que le président, avant de prononcer la condamnation, a donné lecture au prévenu des articles de loi applicables, il cite ces articles et les termes dans lesquels ils sont conçus.

Il vise les réquisitions du ministère public.

Il y a plusieurs sortes de jugements.

Le juge, avant de statuer sur le fond, peut être amené ou convié à trancher des difficultés préalables.

Il peut être nécessaire d’instruire la cause, « pour mettre le procès en état de recevoir jugement définitif ».

Le jugement est dit alors : préparatoire.

Il peut être nécessaire d’ordonner, avant le jugement au fond, et pour y parvenir, une mesure d’instruction, comme par exemple une enquête d’où ressortira ou non une preuve de prescrire une vérification par expertise ou autrement. Le jugement est dit alors : interlocutoire. Ces jugements interlocutoires sont fréquents notamment en matière de divorce.

Il n’est pas toujours facile de distinguer le jugement préparatoire du jugement interlocutoire. Le mieux qu’on puisse dire pour marquer leur différence, c’est que la mesure d’instruction ordonnée par le jugement interlocutoire préjuge le fond, c’est-à-dire que si la preuve est faite, le sens de la décision à intervenir est d’ores et déjà fixé. Cette distinction n’a d’ailleurs qu’une portée théorique.

Les jugements préparatoires et interlocutoires se groupent sous cette dénomination : jugements d’avant dire droit.

« Dire le droit » est une expression qui rappelle en trois mots toute la doctrine romaine et toute l’organisation judiciaire à l’époque de Rome. Les termes impliquent l’étroite association de la décision à rendre avec l’équité, sa subordination rigoureuse au pouvoir dont la justice émane : ce pouvoir c’était, à Rome, l’être social que composait, si compact, si homogène dans son esclavage à la chose publique, le peuple romain.

II

Un jugement est dit par défaut dans deux cas.

Lorsque le défendeur n’a pas constitué un avoué qui « occupera » pour lui dans la procédure.

Lorsque, ayant constitué avoué, il n’a pas conclu.

Le jugement, dans le cas contraire, est contradictoire.

Le jugement de défaut est susceptible d’opposition. Les effets de l’opposition sont d’anéantir le jugement et de replacer les parties, au point de vue de la procédure, dans l’état où elles se trouvaient au lendemain de l’assignation lancée par le demandeur.

L’opposition peut être formée jusqu’au moment où il résulte d’un acte d’exécution que le défendeur a eu connaissance du jugement rendu.

Le jugement est signifié par huissier commis. Si le défendeur a été touché personnellement par la signification, c’est-à-dire si l’huissier a signifié l’acte au défendeur en parlant à sa personne, le délai pour former opposition est d’un mois.

Si le jugement est rendu par défaut faute de conclure, comme il est certain que l’avoué a eu connaissance du jugement à lui signifié et a dû prévenir son client, le délai est modifié. Il est ramené à huit jours à compter du jour de la signification faite à l’avoué.

Ces règles sont applicables, pour le délai, aux jugements rendus en matière civile par les tribunaux de première instance et aux jugements rendus par les tribunaux de commerce. Les jugements de défaut rendus par un juge de paix ne sont susceptibles d’opposition que dans les trois jours de leur signification, à moins de prolongation accordée par le juge de paix, en prononçant le jugement de défaut, si notoirement le défendeur n’a pu être instruit de la procédure suivie contre lui. En matière correctionnelle, la règle est différente : l’opposition à un jugement qui a prononcé une condamnation par défaut est recevable dans les cinq jours de la signification qui en est faite au prévenu ou à son domicile. Cette opposition peut être formée par une déclaration au greffe ou par une simple notification, même par lettre missive, au Procureur de la République. Elle doit être en outre notifiée à la partie civile, s’il y en a une, c’est-à-dire au plaignant ou à la personne lésée qui est intervenue au débat en déclarant y prendre position et réclamer des dommages-intérêts. Toutefois, si le prévenu, condamné par défaut, n’est pas touché personnellement par la citation, il a le droit de former son opposition jusqu’à la prescription de la peine, à moins qu’il ne résulte d’actes d’exécution qu’il a eu connaissance du jugement.

Au délai de cinq jours ci-dessus indiqué, il convient d’ajouter les délais de distance calculés d’après le lieu où la condamnation a été prononcée et le lieu où la signification a été faite.

III

Un jugement est ou non susceptible d’appel, selon l’importance du litige évalué en francs.

Il est dit en premier ressort dans le premier cas, et en dernier ressort dans le second.

Cette étude sommaire laisse dans l’ombre des cas trop spéciaux. Ainsi le jugement de défaut profit joint, c’est­-à-dire celui qui est rendu contre un défendeur défaillant alors que d’autres défendeurs comparaissent. Le défendeur défaillant doit être purement et simplement réassigné par huissier commis. Ainsi encore les jugements rendus en chambre du conseil sur procédure simplifiée, notamment pour les actes de notoriété en vue du mariage, pour le paiement des droits universitaires, etc.

« La Cour rend des arrêts, et non pas des services », a dit Séguier. Puisse venir le jour où cette belle parole s’imposera même aux tendances politiques ou aux prétentions parlementaires ! Ce jour-là nous paraîtront plus archaïques les vers de La Fontaine :

Selon que vous serez puissant ou misérable
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Les financiers passeront sous la toise commune, et les mercantis, pendus par les pieds, verront leurs poches se dégonfler de l’argent mal acquis. N’appuyons pas trop sur le clavier du rêve. Remarquons, pour ajouter à nos définitions, que La Fontaine s’est servi d’un terme impropre. Il a dit les « jugements » de cour et non les arrêts, mais il voulait sans doute généraliser…

Paul MOREL.

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