L’homme parfait n’existe pas


Quoi de plus normal pour un instituteur de se poser la question du devenir de l’enfant. Et, pour l’anniversaire de son ami parfait, Robert Passas retranscrit deux extraits de ses lettres. Dans ces missives, Alexandre Jacob se fait institueur de l’optimisme pédagogique du Drômois. Pessimisme de la vieillesse ? Pas sûr. Jacob ne fait finalement qu’une analyse réaliste de la société des années 1950. Ce point de vue est finalement à rapprocher de celui des Souvenirs rassis d’un demi-siècle, écrits en 1948 à destination du jeune doctorant Jean Maitron. Mais là où l’historien de l’anarchisme en déduisait, malhonnêtement, une condamnation a postériori des pratiques illégalistes, Robert Passas ne retient que la finesse du propos d’un homme qui a lutté pour le bien de l’humanité.

L’homme parfait n’existe pas

29 septembre

C’est le 29 septembre 1879 que naissait mon ami Alexandre Jacob. J’ai célébré sa mort le 29 août dernier ; je veux marquer ici sa date de venue au monde.

Dans une lettre de février 1954, il m’écrivait :

« Tu me demandes mon opinion sur l’enfant, sur l’homme ?

Les enfants, c’est de la graine d’hommes ; des petits louveteaux qui, entre la 15e et la 20e année, se mueront en majorité, en moutons, pour servir de pâture à quelques-uns, les plus forts, les mieux doués, les plus rusés, disons le mot : les plus criminels.

La perfectibilité de l’homme est un mythe. L’homme – et quand je dis l’homme j’y inclus la femme – sera toujours, je dis bien toujours, un loup pour l’homme. A moins toutefois, que la science n’en fabrique un sans canine, un surhomme bon, juste, sociable, intelligent. On supposait que le changement de structure sociale ferait disparaître toutes les tares humaines. Le milieu façonnant l’individu. Voyez Russie. Moyens et résultats pire que le mal. La violence ayant toujours été, et étant encore, le critère du bien, du mal, du non et du mauvais, je ne vois pas de changement notable dans la conduite de l’homme. Avec la hiérarchie, il y aura toujours des classes. Et avec les classes, entre les classes des conflits.

Tu penseras : pessimisme de vieillard. Bien sûr, plus jeune, je croyais à un monde meilleur, à la possibilité d’une société plus humaine. Il est bon même que la jeunesse ait de ces visions d’avenir. Je ne crois plus qu’en … »

D’un autre extrait de lettre, où Jacob se réjouit que j’aie choisi la voie de l’enseignement :

« C’est bien la meilleure, celle qui permet quelque quiétude, et sans doute quelque satisfactions morales, encore que faite de pas mal d’illusions. On peut par l’éducation freiner la volonté de puissance des petits d’hommes, leur passer une forte couche de vernis moral, mais, à la moindre occasion, le vernis se dissout et l’homme apparaît couleur naturelle.

Il y a toujours du loup dans l’homme. Le rêve de l’entr’aide de Kropotkine illustré par le comportement des bêtes n’est qu’une illusion. Non pas que les bêtes se comportent autrement qu’il ne l’expose, mais parce que les bêtes ne possèdent pas cette notion de gloire que les hommes ont assimilée à travers les âges. Elles ont encore moins la notion de profit, source de tant de crimes. Alors, ne prends pas trop à cœur ta profession. Ne te crève pas le cervelet à muer une fripouille en saint. Il y a quelques saint mais si peu, si peu, que s’ils étaient cotés au marché des valeurs, le patrimoine d’une nation serait insuffisant pour en acquérir un seul. »

Cet autre passage, enfin :

« Cette vie parisienne heurte tous mes rêves, dissipe toutes mes illusions. Il y a cinquante ans, un anar – et il y en avait dans toutes les classes, surtout parmi la gent littéraire – pouvait s’offrir le luxe et le plaisir d’écrire sans vénalité. A présent pas. On n’écrit que pour ce qui paye. La lutte pour le bifteck prime toute autre considération. Je ne veux pas te citer de noms. Mais les propos que j’ai entendus, les arguments que l’on m’a servis m’ont écœuré. L’individu tend à disparaître, s’il n’est déjà disparu, pour céder la place à une espèce de robot social. Quel monde ! Quelle époque ! Il y a cinquante ans, nous rêvions d’une société future. Quel cloaque ! Le veau d’or est plus puissant que jamais. »

Paroles pertinentes. Et c’est vrai que les bêtes, qui combattent pour la faim, voir le rut, ignorent le titre de gloire, forme stupide du plaisir.

Alexandre Jacob ? Pour lui, ces paroles de Char :

« Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni regard ni patience. »

Suite et fin : samedi 24 avril 2010

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