Claude Nerrand, les Malbête et moi…
Mon Reuilly à moi. Rolland Hénault est un gars du cru. Mais cela ne constitue pas pour lui une règle de base, l’axiome avec un grand A, une loi universelle fondamentale pour estimer supérieure la race de ses congénères berrichons. Et, dans ce Reuilly qu’il connaît si bien, sur ce sol rouge et blanc, la réalité de Marius Jacob orchestrée par l’office du tourisme local a de quoi agacer et ne sied guère à celui qui, en 1995, fit L’éloge du plouc et qui, quatre ans plus tard, vanta les Saveurs de la terre. Le co-fondateur du magazine La Bouinotte a vivement réagi, en rubrique commentaire, à notre article sur la possibilité d’un musée Jacob à Reuilly. Nous lui avons proposé de nous conter son Jacob et son patelin, ses amis et les autres. Rolland Hénault est en pleine forme !
Claude Nerrand, les Malbête et moi…
Rolland Hénault
04 août 2010
Je ne sais pas trop à quelle année remonte ma connaissance de Marius Jacob. Mais j’ai eu vent de son existence parce qu’il a fréquenté, très peu, le marché d’Issoudun. Et j’ai un souvenir visuel de cette période : le fameux « barnum ». Les marchands ambulants formaient, vers 1950, un milieu anarchisant, avec la famille Champault, les Briselance, et, à Issoudun, il y avait également Pierre Valentin Berthier, journaliste à la Marseillaise, quotidien communiste, bien qu’il fût anarchiste, et que j’ai mieux connu ensuite, à l’Union Pacifiste, puis au Libertaire, de Maurice Laisant. En 1991, Claude Confortès avait organisé à Issoudun, à l’occasion du centenaire de la mort de Rimbaud, une soirée intitulée « la fête à Arthur ». J’allais sur la scène, accompagner Pierre Valentin Berthier.
Quant à Claude Nerrand, il n’a pas connu Marius Jacob, c’est son fond de commerce, si on peut dire. Je n’ai appris son existence que dans les années 80-90. Il était connu à Reuilly pour avoir déserté le métier de Vigneron, qui était celui de son père. Engagé volontaire, il a réussi à échapper à toutes les guerres. Ce qu’il raconte aux journalistes relève de la pure fantaisie. Par exemple, c’est à Rochefort que se situe l’épisode du vol dans la maison de Pierre Loti, pas à Paris. Et les dernières années de la vie de Marius, il n’a pas pu les vivre, il était planqué quelque part, apparemment loin des projectiles. Ce qu’il fait bien, c’est « l’Office de Tourisme », et encore, au début, il n’aimait pas du tout Jacob. Il le haïssait. Il le boycottait. Je n’ai donc aucune considération pour ce Claude Nerrand, qui raconte tout et n’importe quoi, sur le « marché noir » qu’aurait fait Marius par exemple. J’ai cru, à tort, qu’il avait fait partie de la municipalité de Jean Pierre Berlot, un communiste sympathique, mort récemment et remplacé par Patrick Henri Bertrand, plutôt socialiste et tout aussi sympathique.
Claude Nerrand n’a jamais été conseiller municipal ni avec JP Berlot, ni avec P Bertrand !
Bon, saluons Claude Nerrand et tirons la chasse d’eau !
Maintenant, Marius Jacob. C’est surtout le livre interview de Sergent qui a révélé aux Reuillois l’étonnant parcours de leur compatriote. Ils ont éprouvé, immédiatement, du respect et même de l’admiration pour ce solitaire qui n’avait guère qu’un ami : Le père Malbête, comme il dit, en parlant du grand père de Guy Malbête, vigneron émérite du Bois Saint Denis.
Il faut dire que cet « écart » du bourg de Reuilly, avait la réputation d’être « rouge ».
Mme , qui fut institutrice à Reuilly, anarchisante puisqu’elle m’avait donné la collection quasi complète de « Défense de l’Homme » de Louis Lecoin, m’a donné aussi la double explication de cette couleur rouge.
La première était évidemment en rapport avec le vote communiste de ce quartier très à part. Le Bois Saint Denis s’opposait, notamment, aux « Blancs » du Château, c’est-à-dire du hameau de La Ferté, où l’on votait à droite. Il y avait donc deux grandes « Saint Vincent », celle des Rouges et celle des Blancs ! Mais le père de Guy Malbête m’a assuré qu’il y en avait encore d’autres…C’était d’ailleurs un personnage pittoresque, aux idées avancées. Il n’allait évidemment pas à l’église mais il participait aux repas rouges du Vendredi Saint : on y mangeait force viande et l’on y buvait abondamment pour fêter la mort du Christ. Un monument (simple pierre) sur la route de Lazenay, témoigne de cet anticléricalisme solide. Il a été dressé là par les obscurantistes calotins, et il comporte cette inscription traditionnelle pour éloigner le diable : « Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Je crois qu’il subsiste une date, encore lisible.
Les Malbête et plusieurs autres étaient adeptes de la crémation et les cendres étaient dispersées dans leurs vignes. C’était une attitude laïque avant gardiste.
Mais je reviens à Madame Bougnoux : « Vous savez, au Bois Saint Denis, ils étaient rouges aussi à cause des incendies….en effet, pour se rembourser des assurances, ils n’hésitaient pas à mettre le feu à leurs meules de blé, voire à leurs hangars. Ca se passait souvent le jour du marché d’Issoudun, le samedi après midi…les assureurs ont mis longtemps à comprendre, mais cette pratique se développa également dans toute la région d’Issoudun !… »
Le père de Guy Malbête, que j’ai très bien connu (Rémy ) était un personnage haut en couleurs, courageux, très bon vigneron, comme le sont tous les Malbête. Un jour il me fit cette réflexion :
-« Gaston Chassiot…ah ! oui, c’est un bon gars, et un bon vigneron… »
Et il avait ajouté :
-« Et pourtant, il est du Château ! » (c’est-à-dire que c’était un blanc, un habitant de La Ferté.)
Souvent, quand j’allais chez Gaston Chassiot, au début des années 80, la discussion s’éternisait et se terminait par : « on va monter chez Guy (Malbête) ! » Il ajoutait, avec un bon rire approbateur : « C’est le diâble, lui… ». On comparait alors les deux pinot gris de ces vignerons hors pairs. Leurs vins étaient à la fois identiques et légèrement différents. Ca se passait au cours d’une scène très fine, très élégante, très éloignée des gargouillis des dégustations officielles. On buvait, simplement. Et on recommençait. Et puis, comme on n’avait pas compris du premier coup, on affinait.
Je reviens à Rémy Malbête. Il me parlait de Marius. Il aimait qu’il n’ait tué personne. Il aimait aussi qu’il ait volé les riches. Il se souvenait qu’il avait constamment « son ampoule dans sa poche », qu’il la montrait, qu’il ne s’en séparait pas. Il s’agissait certainement du produit qu’il avait utilisé pour s’endormir définitivement.
Marius n’avait pas fait de marché noir, il avait toujours vendu ses produits à un prix correct. On vantait particulièrement les chaussettes à rayures mauves, ou violettes, dont il avait équipé les laboureurs des environs durant la guerre et la période de pénurie qui avait suivi.
Manifestement, la famille Malbête résumait la synthèse de cette mentalité particulière du Bois Saint Denis, très proche de l’anarchisme de Marius Jacob.
Aujourd’hui encore, le CIRA vend une « cuvée Guy Malbête » en vin blanc. L’anarchiste de la belle époque a laissé à Reuilly une empreinte plus profonde qu’il n’y paraît. Longtemps, Guy a conservé la balance sur laquelle Marius pesait ses produits de mercerie. Guy s’en servait pour peser ses produits à lui, pour le traitement des vignes. Il y avait là une connivence secrète.
Mais, certainement, le terrain se prêtait à cet esprit réfractaire, anarchisant, résolument indépendant. Il se prêtait également au meilleur pinot gris de Reuilly, le gris Malbête !
Rolland Hénault
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