Souvenirs d’un révolté
Environ deux semaines après la clôture du procès d’Amiens, le 22 mars 1905, Alexandre Jacob est transféré sur Orléans où il doit y être jugé pour deux cambriolages commis avec son complice et ami Royère et surtout pour avoir fait feu sur l’agent Couillot venu arrêter, avec son collègue, les deux voleurs. C’est là, « au pays des frelons », que commence la longue correspondance avec Marie sa mère. Mais l’honnête cambrioleur entreprend aussi, pour briser l’ennui de l’enfermement, la rédaction de ses mémoires d’illégaliste.
« Il y a plus d’un mois que j’ai commencé d’écrire quelque chose et depuis j’en suis toujours au premier chapitre » écrit-il au en mai 1905. Il s’agit en réalité du dernier chapitre des Souvenirs d’un révolté, intitulé Les derniers actes et relatant le cambriolage de la maison Tilloloy à Abbeville, la fuite dans la campagne picarde et l’arrestation à Airaisne. Jacob donnant aussi sa version de la mort de l’agent Pruvost à la gare de Pont Rémy. Le 3 juillet, l’écriture a grandement avancé : « Depuis que j’ai reçu le papier, je n’ai pas cessé d’écrire, ce jour j’en suis à mon 112e recto : j’en ai à peu près le double pour finir« .
Le manuscrit, de petite taille (100mm sur 155), ne comporte finalement que 174 pages brochées. Le tout, couvert d’un papier feutre couleur lit de vin, est dédié à Marie Jacob et porte en exergue le célèbre aphorisme de Proudhon : « La propriété, c’est le vol« . Faut-il y voir une espèce de filiation où Marie Jacob joue son rôle de génitrice et le philosophe anarchiste vient se substituer au père naturel ?
La narration de la nuit du 22 au 23 avril 1903 fourmille de renseignements. Elle est entrecoupée de considérations libertaires sur l’ordre, l’autorité, la lutte des classes envisagée sous le prisme du vol … autant de thèmes justifiant l’activité illégale de l’anarchiste Jacob. Celui-ci donne donc son point de vue et sait se mettre en scène dans un ouvrage rythmé et conçu comme un roman d’aventure. Le scénario s’appuie alors sur l’extrême réalisme des descriptions que viennent confirmer les séances du procès d’Amiens et surtout les sources policières que nous avons pu consulter.
Une fois l’ouvrage terminé, Alexandre Jacob l’a très certainement envoyé à Me Justal, son avocat, à Amiens. Le 5 novembre, alors qu’il se trouve au dépôt pénitentiaire de Saint Martin, de Ré dans l’attente de son départ pour la Guyane, il recommande d’ailleurs à sa mère de lui réclamer le texte. C’est chose faite le lendemain de sa libération, le 1er octobre 1905. Et, dans un courrier en date du 3 décembre, il la félicite ensuite d’avoir confié ses Souvenirs aux compagnons du journal Germinal :
« Ce n’était point l’intérêt qui m’a déterminé à les écrire. Je n’ai agi que par pure complaisance pour Germinal en bon souvenir de son attitude lors de notre procès. Lorsqu’il me sied de traiter la question capitale du capital, ce n’est pas de cette plume que je me sers, mais d’une autre ; tu sais bien ? Celle qui est émoussée pour l’instant« .
Alexandre Jacob entend bien apporter, depuis ses geôles orléanaise et rétaise, sa pierre à l’édifice de propagande anarchiste en appuyant l’effort des compagnons en liberté. La feuille libertaire picarde a couvert le procès d’Orléans (24 juillet) dans son n°21 (du 30 juillet au 12 août) puis celui de Laon. Publiés sous forme de feuilleton, les Souvenirs d’un révolté s’étalent du n°33 au n°58, soit du 30 décembre 1905 au 20 juillet 1906. Après tout le bruit fait autour du procès d’Amiens, Germinal entend bien profiter du cadeau fait par le voleur pour augmenter ses tirages.
Le roman feuilleton est, en effet, un moyen classique et traditionnel qui a fait la richesse des grands journaux nationaux. Les libertaires amiénois l’utilisent à cette fin mais aussi dans le but de faire perdurer le souvenir d’Alexandre Jacob et de son message révolutionnaire qu’ils ont visiblement fait leur. Il y a donc de la part de Germinal la volonté de faire de Jacob une icône de l’anarchie au même titre que Vaillant, Henry ou Ravachol. Précédemment, le n°17, du 4 au 17 juin, annonçait la vente de photographies d’Alexandre Jacob et de Léon Pélissard au prix de 50 centimes chacune (60 par la poste). L’annonce de la publication des Souvenirs, faite dans le n°32 (du 17 au 30 décembre 1905), affirme une fois encore la force des convictions anarchistes d’Alexandre Jacob :
« On verra par ces mémoires, écrites en une forme attrayante, qu’il n’y avait pas chez Jacob qu’un cambrioleur ni même qu’un tempérament mais aussi un esprit d’analyse et de critique très développé ainsi qu’une sage philosophie« .
Mais le procédé de mythification, en vogue à la suite de la propagande par le fait (1892-1894), ne l’est plus guère en 1905 auprès d’une grande part des compagnons rentrés dans les syndicats et, après le dernier extrait des Souvenirs, la présence d’Alexandre Jacob dans le journal semble disparaître définitivement. En outre, lorsque paraît le premier épisode de ce texte, Alexandre Jacob vient de débarquer aux îles du salut (6 janvier 1906). Il faut alors attendre la sortie des Ecrits chez L’Insomniaque en 1995 pour que ce texte soit de nouveau publié. La maison d’édition anarchiste de Montreuil le reprend, cinq ans plus tard, dans le petit opuscule, Travailleurs de la Nuit de sa collection A couteaux tirés. Elle l’inclut à nouveau, en 2004, dans la réédition augmentée des Ecrits de Jacob.
L’Insomniaque s’est appuyé sur le manuscrit original, actuellement conservé par le CIRA de Marseille, là où Germinal avait tronçonné le texte de l’honnête cambrioleur en 25 épisodes en y apportant de très légères modifications orthographiques et grammaticales. Seul un paragraphe a été enlevé. Dans ce passage, Jacob narre une conversation de picards avinés et attendant, tels des charognards devant l’agonie de leur proie, l’arrivée des assassins de l’agent Pruvost que l’on conduit à la prison d’Abbeville. On peut aujourd’hui trouver Les Souvenirs d’un révolté sur internet. Nous avons choisi de les diffuser, comme Germinal en 1905, en 25 épisodes. Nous y avons inclus le passage enlevé (mis entre parenthèse) et laissé la mise en page de L’Insomniaque. Les images venant illustrer, accompagnant plutôt, ce texte fondamental sont issues de la bande-dessinée réalisée en 2006 par Roman Louvel qui reprend superbement et d’une manière extrêmement fidèle le propos de l’illégaliste. C’est d’ailleurs de cette BD, que l’on peut se procurer à partir du Jacoblog (cliquer ICI ou sur colonne de droite, rubrique : « Souvenirs d’un révolté » la bande dessinée), qu’est issue la première de couverture de la biographie publiée par l’Atelier de Création Libertaire en 2008.
Airaisne, 22 avril 1903. Ceci est l’histoire d’un Waterloo bien particulier, la fin d’une généreuse entreprise de démolition et de déplacement des capitaux.
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