SOUVENIRS D’UN REVOLTE épisode 7


Souvenirs d’un révolté

Par Jacob

Les derniers actes – Mon arrestation

(suite)

Ce ne fut pas pour des prunes comme vous l’allez voir. Au même instant, la voilà qui déplie le télégramme et se met à le lire en me tournant le dos. «Pour le coup, ma belle ! tu ne pouvais mieux faire», lui dis-je. Mais, elle ne m’entendit pas, car il est bon de vous dire que je me trouvais au moins à deux bons kilomètres du château. N’importe, cette distance ne m’empêcha pas de lire le petit bleu tout comme si je l’avais eu entre les mains.

«Arriverons ce soir», disait laconiquement la dépêche. Et c’était signé : «Pétalugue». Pas de chance ! C’était M. le marquis de Pétalugue qui, pour une cause quelconque, retournait à l’improviste. Avouez tout de même que, sans le concours de la longue-vue, il nous en serait arrivé du propre. Nous serions allés à l’assaut du château et nous aurions reçu des coups de trique. Voilà, braves gens, à quoi servent les appareils d’optique…

Or, lors de mon dernier voyage – voyage de décentralisation, s’entend -, j’étais muni de mon inséparable longue-vue. Ce n’était pas un de ces vieux clous que l’on trouve à l’étalage de chaque bazar, non, mais une longue-vue des plus puissantes : je vous prie de croire que ce n’était pas de la camelote. Du reste, s’il vous restait un doute à cet égard, qu’il me suffise de vous dire que je me l’étais offerte chez l’amiral Aubry de La Noë, à Cherbourg : un vieux loup de mer qui s’y connaît dans ces sortes d’outils.

Aussi, dès que j’eus exploré les environs à l’œil nu, mis-je à contribution les puissantes propriétés de mon appareil en le braquant dans la direction de la gare. Certes, il m’aurait été bien difficile de pouvoir lire les quelques affiches qui ornent la gare : pensez donc ! il faisait si sombre ! Mais je pus très bien distinguer tout ce qui se passait sur les quais de la voie. Quel branle-bas, mes enfants ! Les uns couraient par ci, les autres allaient par là ; certains enfin se tenaient collés aux portes vitrées examinant ainsi ce qui se passait à l’intérieur de la gare. Sans doute devait-on secourir les agents : je dis secourir car à ce moment j’ignorais que l’un d’eux était mort. Tout ce va-et-vient, ce remue-ménage de la population du village, ne me dit rien qui vaille. Je connaissais assez l’esprit public de la population rurale pour la savoir disposée à organiser une battue dans les environs. Aussi, résolus-je de gagner du terrain. Après m’être assuré que personne ne venait dans ma direction, je continuai ma route, sur la gauche, en descendant la butte, de façon d’éviter Érondelle.

Lorsque j’eus mis quelques kilomètres entre moi et Pont-Rémy, j’usai d’un stratagème qui, pour être fort simple et des plus connus n’en réussit pas moins. Je pris quelques-unes des cartes commerciales que je portais toujours sur moi, indiquant ma pseudo-profession, mon ancien domicile, et le tout sous un faux nom ; puis je les déchirai en menus morceaux que je parsemai sur le chemin sur un parcours de quelques décamètres ; ensuite, je revins sur mes pas en marchant sur l’herbe, évitant ainsi de laisser trace de l’empreinte de mes chaussures ; et je continuai ma marche dans une nouvelle direction, en coupant à droite, à travers champs, en ayant soin de scruter l’horizon.

En débouchant d’un petit bois dans lequel je m’étais engagé depuis quelques minutes, je me trouvai soudain sur la lisière d’un village. La route était devant moi. J’y entrai et piquai droit sur le village. La plaque indicatrice apposée contre l’une des premières maisons que je rencontrai m’apprit que je me trouvai à Limeux. Un peu plus loin, je fis la rencontre d’un gamin de 8 à 10 ans, qui sortait d’une ferme d’où s’échappaient les hennissements des chevaux et les beuglements des vaches. Je l’accostai en lui demandant où se trouvait la gendarmerie. Sans chapeau, la tête recouverte de mon pardessus, je craignais d’être inquiété. De là ma demande.

– La gendarmerie ? répéta-t-il avec surprise. Mais il n’y en a pas. Elle est à Pont-Rémy.

Satisfait par sa réponse, je lui glissai quelques sous dans la main. Il ouvrit de grands yeux d’un air ahuri et, lorsque j’arrivai au coude de la route, en me retournant, je le vis encore planté au même endroit où je l’avais quitté, regardant et retournant avec étonnement les pièces de monnaie qu’il tenait dans sa main. Les bienfaits de la civilisation n’ont pas encore pénétré jusqu’ici, me dis-je. La mendicité y est inconnue.

Lorsque j’eus franchi le village, je quittai la route en coupant à travers champs. Sans avoir les dimensions d’une route départementale, voire même d’un chemin vicinal, le chemin d’écorche, comme l’on dit en Provence, sur lequel je m’étais engagé, était très bien entretenu. Aussi en profitai-je pour avancer aussi vite que mes forces me le permettaient.

Deux kilomètres après Limeux en franchissant une ondulation de terrain dont l’un des versants était boisé jusqu’au sommet, je rencontrai un vieux bonhomme de paysan à la physionomie joviale et pétillante de santé. Il me produisit une si bonne impression que je résolus de lui demander quelques renseignements. D’ailleurs, je n’avais pas l’embarras du choix.

Généralement, le paysan est l’ami du contrebandier ; quelquefois est-il contrebandier lui-même. S’il ne fait pas un commerce de la fraude, tout au moins fait-il usage des matières prohibées. Aussi échafaudai-je une histoire dans ce sens-là, pour la lui raconter afin de justifier mes questions.

– Eh bien! ça va-t-y, vieux père ? lui demandai-je en lui tendant la main comme si je l’avais connu depuis des années. Et, tout en lui serrant la main, je débitai mon boniment.

– Voyez, lui dis-je en lui montrant ma tête nue (j’avais enlevé le mouchoir ; cela me faisait trop remarquer à mon idée), j’ai perdu mon chapeau et cassé ma bicyclette dans ma lutte avec les ambulants. La régie et les gendarmes sont à mes trousses…
– Ho ! les cochons ! s’exclama-t-il en m’interrompant.

Il y a du bon, pensai-je. Puisqu’il les appelle «cochons», ils ne sont pas de ses amis. Et, profitant de sa bonne disposition, j’ajoutai que j’étais père de famille ; que j’avais deux enfants, etc. ; lancé sur ce terrain-là, je lui en aurais raconté bien d’autres. Lorsque je jugeai que le «père de famille» avait produit son effet, tout bas, confidentiellement, en lui parlant à l’oreille, comme si j’avais eu peur que les pierres et les herbes nous entendissent, j’ajoutai :

(A suivre).

Tags: , , , , , , , , , ,

1 étoile2 étoiles3 étoiles4 étoiles5 étoiles (1 votes, moyenne: 5,00 sur 5)
Loading...

Imprimer cet article Imprimer cet article

Envoyer par mail Envoyer par mail


Laisser un commentaire

  • Pour rester connecté

    Entrez votre adresse email

  • Étiquettes

  • Archives

  • Menus


  • Alexandre Jacob, l'honnête cambrioleur