SOUVENIRS D’UN REVOLTE épisode 8
Par Jacob
Les derniers actes – Mon arrestation
(suite)
– Indiquez-moi donc un peu le chemin pour éviter la régie, les gendarmes et les gendarmeries ?
– Oh ! ça c’est pas bien difficile, dit-il officieusement et, en personne familiarisée avec les alentours, il se planta au beau milieu du sentier tout droit dans l’attitude d’un poteau télégraphique, puis, étendant le bras dans la direction de l’est, il commença ses litanies, en me citant une kyrielle de noms de villages : Abancourt, Pupicourt, Mamacourt, Seuricourt, Pierricourt, Chichicourt, puis des Picquigny, Pupigny, Pierrigny… Chichigny. À chaque nom de village, il m’indiquait la façon d’éviter la gendarmerie.
– Vous comprenez, me disait-il avec une mimique des plus comiques, vous prenez à gauche, puis tout droit… alors vous rencontrez un bois… vous le traversez… Ensuite vous prenez à droite… vous comprenez…
Et, au village suivant, c’était une nouvelle donnée topographique. Ce brave homme, comme la plupart de ses congénères de la campagne, me donnait tous ces renseignements de bonne foi, persuadé que je les comprenais. Il ne se donnait pas la peine de réfléchir qu’étant étranger à la contrée, ces renseignements, dits de cette façon, étaient pour moi du chinois. Néanmoins, je fis le monsieur qui avait compris et après lui avoir serré la main, je le quittai en le remerciant.
– Surtout, si vous rencontrez les gendarmes, ne leur dites pas m’avoir rencontré, lui dis-je en m’en allant.
– Vous dénoncer, moi ? Ah ! que nenni ! Et pour donner plus de valeur à ses paroles, il fit un geste énergique avec la main.
Parvenu au point culminant de l’ondulation que j’ascensionnais depuis un moment, je pénétrai dans sa partie la plus boisée et grimpai sur un arbre. Là, à mon aise comme un astronome dans son observatoire, je braquai ma longue-vue aux quatre points cardinaux, en cherchant de découvrir Pont-Rémy. Mais, dans ces pays du Nord, l’atmosphère n’est pas diaphane comme dans le Midi, comme à Marseille par exemple où l’on peut lire des dépêches à deux kilomètres de distance. J’eus beau donner toute sa longueur à mon appareil, mes efforts d’optique demeurèrent vains. C’est tout juste si, sur l’un des nombreux chemins et routes que j’apercevais, je vis une voiture montée par deux paysans : mais, à son allure de punaise rassasiée, j’en augurai qu’elle ne pouvait être un danger pour moi. Aussi ne m’en inquiétai-je point. Cependant cette assurance ne s’étendit pas à toutes choses. Perché sur mon arbre comme un rossignol en rupture de cage, je sondais mes méninges afin de combiner un nouveau stratagème. Comme je l’ai déjà dit, je savais les populations rurales moutonnières à l’excès. Il suffisait qu’un imbécile proposât une battue pour qu’il en résultât une levée en masse. Or, dans ce cas, je risquais fort d’y laisser mes plumes.
Donc aux grands maux, les grands remèdes. A l’instar de ce Grec qui coupa la queue de son chien pour détourner l’attention de ses détracteurs, je résolus d’incendier le bois qui me donnait asile : «Les paysans sont tout dévoués pour la chasse au cambrioleur ; mais lorsqu’ils verront les arbres flamber, ils perdront sûrement de leur enthousiasme ; et, s’il leur en reste, ils l’emploieront à éteindre le feu, ou tout au moins à le circonscrire. Pendant ce temps Jacob gagnera du terrain.» Ainsi raisonnais-je tout en mettant la main à la pâte. Je coupai autant de branches que je pus de l’arbre sur lequel j’étais réfugié, puis je descendis et fis plusieurs petits bûchers autour du fût de quelques arbres. Ensuite… ensuite, je dus m’en tenir là, car si l’idée n’était pas mauvaise, je dois ajouter que tout se coalisa pour la rendre irréalisable. Dans mon empressement je n’avais pas pensé que je ne me trouvais pas dans les Bouches-du-Rhône où le procédé m’avait réussi une fois déjà, lors d’une aventure qui m’était arrivée sur les propriétés du marquis de Forbiu. Je n’étais pas au pays du soleil, de la poussière, des cigales et de l’ailloli, mais au pays de la pluie, du brouillard, de la boue et des bistouilles. Mauvais, la pluie et le brouillard pour incendier un bois. Toutes mes allumettes y passèrent. Et puis, non seulement les arbres étaient mouillés, mais encore étions-nous au mois d’avril, fin avril, époque où la sève parcourt toutes les fibres du bois. Une vraie déveine, quoi !
N’ayant plus d’allumettes, force me fut de renoncer au système d’Alcibiade.
Après avoir jeté le coup d’œil de la fin sur mon œuvre à peine ébauchée, je scrutai l’horizon une dernière fois et n’apercevant rien de mauvais pour moi, je continuai ma marche vers l’est, en me dirigeant vers un village dont je voyais les masures.
Une demi-heure après, j’y arrivai en tenant ma tête cachée sous mon pardessus. La matinée étant plus avancée qu’à Limeux, je n’eus pas la chance de passer inaperçu comme en ce dernier village. En le traversant, je rencontrai plusieurs indigènes qui me regardèrent avec une curiosité marquée. Cela ne me surprit point. C’est la coutume de la campagne et de la petite province. Il serait plus aisé de faire le voyage au pôle Nord (couvert seulement d’une feuille de vigne), que de passer dans un village sans éveiller la curiosité publique. Aussi, au lieu de me plaindre d’une chose que je savais inévitable, l’utilisai-je à mon profit, en me renseignant auprès d’une habitante, pour savoir où je pourrais trouver une gare.
– Voyez-vous ce moulin, me dit une vieille femme toute ratatinée comme une pomme desséchée, en m’indiquant de la main ce point de repère.
Sur ma réponse affirmative:
– Eh bien, un peu plus loin, à Wiry-au-Mont vous trouverez une gare, ajouta-t-elle complaisamment.
Je n’en demandais pas davantage. Atteindre une gare avant que les gendarmeries de la région eussent communiqué entre elles, c’était tout ce que je souhaitais. Je remerciai la bonne vieille et, suivant ses conseils, je mis le cap sur le moulin.
J’avais à peine franchi les confins du village que je m’arrêtai soudain, en fouillant toutes mes poches et contre-poches. Mais, malheur de malheur ! j’eus beau me fouiller, me refouiller, m’archi-fouiller, je ne la trouvai pas. Car, je n’ai pas besoin de vous dire ce que je cherchais, n’est-ce pas ? Vous l’avez déjà deviné ? Eh bien, oui ; j’avais oublié ma longue-vue, là-bas, tout là-haut au sommet de l’ondulation, au pied de l’arbre sur lequel j’avais grimpé. Sur le coup, j’en fus peiné : une si belle longue-vue ! on se chagrinerait pur moins que cela, pas vrai ?
(A suivre).
Tags: Alexandre Jacob, campagne, fugitif, fuite, incendie, Jacob, Limeux, Pont Rémy, Romain Louvel, Souvenirs d'un révolté, Wiry au Mont
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